Le Ministère des Arts et de la Culture a reçu de l’Etat togolais un budget de 30 millions de FCFA (soit 45.735 euros) pour procéder au cours de cette année à l’inventaire général du patrimoine culturel national. Il est question de redemander une autre subvention pour faire en 2012 l’inventaire du patrimoine matériel.
Avec ce financement, le Ministère des Arts et de la Culture a commencé au mois d’avril 2011 par le plus compliqué, l’inventaire du patrimoine immatériel. Yohonou (localité de Région Maritime située dans la Préfecture de Vo réputée dans le travail de forge traditionnelle) a été choisie pour l’opération tes de démarrage.
Pour conduire effectivement l’inventaire général du patrimoine, le Ministre des Arts et de la Culture a institué par Arrêté N°004 du 21 mars 2011, un Comité technique de gestion du Programme de l’Inventaire. Ce Comité technique chargé de la gestion d’inventaire général du patrimoine culturel national est présidé par le Ministre des Arts et de la Culture, avec comme Vice-président, le Prof. Thiou T. K. TCHAMIE, 1er vice-président de la CNPC (Commission Nationale du Patrimoine Culturel et Monsieur Comlanvi ZOHOU, Conseiller technique et Secrétaire Général de la CNPC comme Coordonnateur national. Le travail se fera sous la supervision de points focaux au nombre de 5. L’inventaire est placé sous la tutelle de la Commission Nationale du Patrimoine Culturel.
Il faut souligner que l’inventaire est une nécessité institutionnelle pour une protection efficace du patrimoine culturel. Son pendant indispensable est par conséquent la législation avec ce que cela comporte d’exigences au niveau intérieur en termes de réglementations et de textes pertinents et cohérents, en harmonie avec les conventions internationales garantissant la protection effective des biens culturels.
Signification et portée au plan national
L’inventaire peut être défini comme la mise à jour d’une liste, la plus exhaustive possible, des biens ou patrimoines culturels se trouvant sur l’ensemble du territoire d’un pays. C’est donc une opération qui consiste à identifier, à recenser, à inscrire et à classer les biens culturels relevant du domaine public ou privé et présentant un intérêt national du point de vue de la préhistoire, de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la technique, des sciences, de l’ethnologie, de l’anthropologie et de la géologie.
L’inventaire national doit prendre en compte les multiples facettes du patrimoine culturel : les biens immobiliers : monuments, sites, paysages naturels et culturels, ensembles urbains ; le patrimoine bâti ; le patrimoine religieux, forêts et bois sacrés ; les biens mobiliers ; les biens issus de fouilles archéologiques ; le patrimoine subaquatique : environnement marin, espèces marines… ; le patrimoine immatériel : les contes, les légendes, les parlers, les « trésors humains vivants », autrement dit les détenteurs des techniques, savoirs, savoir-faire et savoir-être en perdition qu’il est important de sauver et de pérenniser. (Cas des vieillards.)
Recommandation spécifique à propos du patrimoine immatériel
Le patrimoine immatériel a fait l’objet d’une recommandation spécifique de l’UNESCO en 1989. Il s’agit de la Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire qui délimite un cadre général et théorique d’identification et de conservation de cette forme de patrimoine et demande aux Etats de prendre des dispositions à ce propos.
Sur le plan juridique, la protection de la culture traditionnelle et populaire soulève les problèmes ci-après : la propriété intellectuelle ; la protection des informateurs ; la protection des collecteurs ; la protection des données recueillies.
Dans le cadre de cette recommandation, des pays tels que le Japon, la Corée du sud, les Philippines et la Roumanie ont mis en place un système de Trésor Humain Vivant. Ce système permet l’inventaire des formes d’expression de cultures traditionnelles, l’identification et la protection des personnes détentrices de ces pratiques et savoir-faire et qui peuvent assurer leur transmission à des jeunes. Ce faisant, le patrimoine immatériel est sauvegardé et valorisé. Le Togo qui continue de perdre ses valeurs immatérielles, gagnera en s’inspirant de ce cadre pour mener à bien sa politique de conservation et de protection de ce patrimoine en péril.
Inventorier pour connaître, connaître pour mieux protéger
On ne protège mieux que ce que l’on connaît. Ainsi, la bonne connaissance du patrimoine se trouve être le soubassement de toute action de restauration, de conservation et de valorisation. Ainsi, l’inventaire apparaît avant tout et fondamentalement comme un outil cognitif du patrimoine, un instrument d’accès à la profonde connaissance des réalités aussi bien culturelles que naturelles d’un pays, le moyen qui permet d’en offrir une protection maximale aux fins de valorisation et de promotion.
Mieux connaître, c’est aussi arriver à restituer l’histoire du patrimoine et tout ce qui touche à son existence. Il faut alors recourir à des archives et à d’autres témoignages intéressant la restitution de la pleine vérité sur l’objet patrimonial. Aussi l’inventaire permet-il d’élaborer la documentation afférant aux biens patrimoniaux. Il est somme toute un travail scientifique qui recourt à un code de principes rigoureux, à une méthodologie très élaborée avec l’utilisation d’instruments adéquats (les analyses de laboratoire par exemple), l’usage d’une norme standard spécifique afin que les résultats soient compris, traduisibles et utilisables.
Un instrument juridique de protection internationale
L’inventaire est une nécessité juridique qui oblige les Etats ayant ratifié les conventions internationales à prendre des mesures comme l’inscription, le classement des biens sur des listes nationales, et à insérer dans les lois nationales certaines clauses internationales permettant l’applicabilité effective de dispositions et engagements internationaux contractés. C’est ainsi que la Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels oblige à faire un inventaire. Cette convention est la seule qui instaure une coopération entre les Etats producteurs de biens culturels, victimes de trafics illicites et les Etats consommateurs de ces biens.
Dans le cadre de cette convention qui porte spécifiquement sur la lutte contre le trafic illicite des biens culturels, l’obligation est faite aux Etats adhérents de : dresser une liste des biens qui ne doivent pas sortir du territoire national ; instituer un certificat pour contrôler la sortie des biens culturels ; empêcher l’acquisition, l’entrée ou l’importation des biens illicites dans les musées ; ils s’engagent donc à veiller à ce que les biens existants dans les musées ou institutions des autres pays ne rentrent pas sur leurs territoires ; déterminer et prendre une législation conséquente en matière de lutte contre le trafic de biens culturels.
En définitive, un Etat contractant ne peut mener une action de recherche ou de demande en restitution de biens volés que si l’objet est inscrit sur une liste nationale, que s’il y a un train de mesures juridiques de protection et de réglementation des exportations de biens culturels (comme l’interdiction de sortie de biens culturels non assortis de certificats).
Les résultats attendus
Cerner l’étendue des réalités culturelles grâce à l’inventaire, revient à construire un discours politique dans la perspective de l’identité culturelle, à mieux aménager une politique culturelle qui implique les effets positifs suivants : la conservation des biens pour leurs valeur et caractères exceptionnels ; leur protection contre la dégradation, le vol, le pillage, le commerce ou trafic illicite… ; leur sauvetage dans le cas des périls que sont le vandalisme, les fouilles clandestines (des sites archéologiques notamment) ; la prévention et le contrôle de l’exportation de ces biens ; leur gestion raisonnée dans les institutions à l’instar des musées, bibliothèques, archives, centres ou associations culturels, parcs et jardins, pour les communautés, les générations présentes et futures qui ont besoin de les connaître et d’en tirer jouissance ; leur promotion à travers une politique d’information, de communication, de sensibilisation, d’implication des populations et de mise en valeur de ce patrimoine grâce au développement touristique ; la préservation de la vie humaine intimement liée à l’environnement.
Les enjeux de l’inventaire du patrimoine culturel étant importants, il reste à espérer que cette opération soit bien conduite pour une meilleure connaissance, une meilleure protection, une meilleure valorisation et une meilleure promotion du patrimoine culturel togolais.
Kodjo Cyriaque Noussouglo©Togocultures