Les cheveux fendus à la Mandela, la barbichette de bouc blanche et insolente, témoin d’une vie d’artiste épris de liberté et moqueuse de tout, Kossi Agbodo accueille le visiteur à l’entrée de son domaine, le visage intelligent lui regardant droit dans les yeux pour y percer on ne sait quel mystère. Divorcé, l’homme devrait aimer la solitude en étant seul reclus dans son atelier naturel de Togoville, loin de la ville coloniale, vivant là dans une espèce de case construite au milieu des arbres d’où il puise son inspiration, se laissant «guider les nuits par les esprits». «La nuit, je vois des formes dans mon sommeil mais au réveil, j’oublie. Et c’est en sculptant que les formes me reviennent. Les esprits de mes ancêtres sont avec moi».
Le domaine témoigne en effet d’une symbiose entre l’art et la nature : arbres et fleurs encombrent la cour, sans oublier son épervier fétiche sur un monticule de terre, non loin de cette espèce de case qui lui sert de logis. Kossi Agbodo alias Gnininvi constitue en effet l’un des rares sculpteurs de culture vaudoue existant au Togo. A partir de troncs d’arbres, branches, écorces, ce sculpteur amoureux de tout ce qui peut évoquer la croissance d’un végétal a su s’exprimer. Presque demi-lettré et ignorant tout du développement de la sculpture moderne, il reste pourtant ouvert à la modernité. Ses grandes sensations président à la découverte plastique et le conduisent simplement à la représentation qu’il a voulu faire de ses Dieux protecteurs, du quotidien, avec une vitalité surprenante, loin de toute anecdote et artifice.
Gnininvi n’est pas un sculpteur ordinaire comme ses artisans que l’on rencontre au marché artisanal de Lomé. «Je fus artisan quand j’étais encore en cours primaire et apprenait à travailler avec mon frère aîné Yawo Agbodo, pour le compte des pères catholiques. Là nous y avions créé un centre artisanal».
Plus d’une vingtaine d’années à sculpter les arbres. Puis une nuit de 2005, l’idée lui vint de sculpter les bustes et les visages d’hommes et de chimpanzés. Sa matière : le cocotier et ses produits dérivés, les palmes et les noisettes. Il en tire des hommes et femmes portant des dreadlocks, piercing au nez. Une réminiscence du mouvement rasta qu’il devait aimer. «Nos ancêtres devraient porter des dreads.»
Sur les palmes, il conçoit à l’aide des noisettes de coco des figures humaines ou de chimpanzés, avec un goût prononcé pour ces derniers. «C’est non seulement un animal puissant, habile et d’une extrême agilité, mais c’est son éternel visage grimaçant qui m’a marqué». Des cocotiers, il passe à tout support plat.
Vivant dans l’ostracisme, il a été découvert par Kossi Assou, artiste plasticien et directeur d’Ewolé, le fameux festival des arts plastiques. Jusque-là, c’était une vie au quotidien où il fabriquait des statuettes d’ordre religieux ; ce qui ne pouvait pas faire vivre son homme. Au cours d’une expo au Goethe Institut de Lomé, le public fut effaré par son art. Il vendit ses bustes à la tête géante aux dreadlocks. En attendant de toucher le jackpot, Gnininvi travaille des colliers et des bracelets médicinaux au cuivre, qu’il porte lui-même au poignet et au cou. Le visiteur peut trouver cela un peu fantasque. Mais cet artiste de religion vaudou (vodou) y croit dur comme fer. «C’est préventif contre l’hypertension.» Peut-être. Il les vend. Son premier client est un plasticien haïtien. Un autre adepte du vaudou.
Tony FEDA©Togocultures
Première publication sur le site Togocultures 2008 et réactualisé