Kangni Alem, Les enfants du Brésil, Graines de pensée -Frat’Mat éditions, Abidjan, 2017

« Arriver à pouvoir se penser à travers ce que les coques pourries des caravelles et des bricks racontent » K.A.

Inspiré d’un réel séjour de l’auteur au Brésil à l’occasion de recherches menées en préparation d’un autre roman portant sur le même sujet, « Enfants du Brésil » constitue une sorte de « négatif » (au sens photographique, nullement péjoratif) d’un autre roman portant sur le même thème (Esclaves, JCLattès, 2009). « Enfants du Brésil » se lit à deux mains, le premier livre d’un côté, ce dernier dans l’autre, l’un appelant l’autre et vice versa, entremêlant avec dextérité les récits, comme si les deux textes avaient été écrits réciproquement entre leurs lignes.

L’ouvrage raconte l’histoire d’un archéologue sous-marin spécialisé dans les épaves des navires négriers, qui peuplent les fonds des mers, les panthéons vodous et les imaginaires artistiques. Allers et retours entre TiBrava et Salavador, les deux villes semblent se faire face dans la grande baie de tous les saints. Sont-ce des tribulations ?  Les rencontres parfois agréables dissimulent une déception au semblant goût de gawou frelaté, dans un univers faux-frère, aux apparences trompeuses et pourtant si troublantes. Si ce n’est pas le passé qui touche le narrateur, c’est alors l’avenir dont le partage est lui certain. L’atlantique sud, c’est le futur.

D’un bout à l’autre, ce livre répond à une urgence qui retient au lecteur son haleine symbolique : restaurer et légitimer un imaginaire évident que l’obscurantisme d’abord colonial puis postcolonial n’a jamais su voir, tant il est planté en réalité – un peu à la manière de la lettre volée de Proust – au milieu du paysage culturel, à la façon d’un immense baobab généalogique. Cela est vrai non seulement pour TiBrava, le Togo mais pour toute la « sous-région », la reliant ainsi à la façade atlantique opposée, si loin si proche.  A cet endroit, Kangni Alem touche le point universel de qui raconte ou écrit l’histoire des hommes, et qu’y perd-on ou gagne-t-on à en rajouter des chapitres, ou mettre en lumière certaines branches que les circonstances – qui sont tout sauf innocentes – ont laissées à l’ombre.

Comme le formule âprement Kangni Alem, si TiBrava savait parler, elle se raconterait « avec son parler baroque et métissé, sa sensibilité de ville tombée en panne sèche d’histoires, du genre de celles que l’intéressé savait raconter lui-même » (page 191).

Et c’est là que ce produit un petit miracle qui redonne à l’engagement littéraire tout son sens : la légèreté de la plume de l’auteur parvient à soulever la chape d’un passé très lourd.

Les enfants du Brésil de Kangni Alem

Le style est sensible et nous invite avec élégance à la redécouverte d’une histoire commune dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Truculent et précis, drôle et parfois même érotique. Certaines envolées sont superbes, colorées, enjouées et le lecteur est heureux de retrouver ces pointes « canailles » propres à l’auteur, ce sens de la provocation si particulier qui fait sursauter au moment précis où guettait la menace du sérieux, grand ennemi de la littérature.

Le cœur à l’ouvrage, l’auteur poursuit ici un patient travail de couture de façon à recoller des pans d’histoire que l’aliénation a méthodiquement déchirés. Ce roman s’inscrit dans le long cours, et petit à petit, d’œuvre en œuvre, les mots de Kangni Alem parviennent à lever le voile sur l’imaginaire que se partagent les gens de part et d’autre de l’atlantique sud, entre le golfe de guinée et le Brésil, en contournant toujours avec humour et lucidité les pièges.

On regrettera toutefois la maladresse de la couverture. Elle montre un cliché réalisé par Tete Kitissou qui très réaliste immortalise le sourire d’une personne certes charmante dont on suppose qu’elle évoque un personnage central du roman, mais dont la présence à la une n’est pas convenante. Trop directe et littérale, elle induit le lecteur en erreur, l’amenant faussement à croire que ce livre est journalistique voire ethnologique. A réfléchir pour une prochaine édition qui ne saura tarder.

Bernard Müller© Togocultures

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