Né à Dapaong d’une mère Moba et d’un père Nawda (Niamtougou), ce comédien et metteur en scène est connu au Togo sous le nom Justin Litaaba et Dâwa Litaaba-kagnita en France. C’est un grand enfant, passionné de théâtre et grand consommateur de la bonne musique que nous avons rencontré à Strasbourg. Courtois et très enthousiaste cet artiste dramatique et administrateur de projets culturels se définit comme « un habitant de la culture qui aime les amitiés fortes qui durent longtemps. ». Il adore rigoler autour d’un pot ou de mets succulents tout en écoutant et partageant anecdotes, blagues, et histoires drôles. Il a un parcours riche. Justin Dâwa Litaaba-Kagnita est comédien, conteur, metteur en scène, musicien et chanteur franco-togolais. Après l’obtention d’une licence en sociologie à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Lomé au Togo, il débute comme comédien permanent au sein de la compagnie théâtrale Louxor de Lomé, dont il est membre fondateur avec Ramsès Alfa. Il obtient le prix du meilleur comédien au festival de Théâtre de la fraternité (FESTHEF) à Assahoun-Togo en 1999. Il entre ensuite en 2003 à l’École Supérieure d’Art dramatique de Pierre Debauche (Théâtrte Ecole d’Aquitaine) à Agen et décide d’exercer son métier en France. De 2012 à 2014, il repart en formation sanctionnée par un MASTER en Administration des Institutions Culturelles, IUP AIC d’Arles, Faculté d’Economie et de Gestion, Aix-Marseille Université. Depuis octobre 2014, il est codirecteur artistique chargé de projets de la compagnie L’Aurtiste. C’est un homme ouvert au contact facile qui a accepté de répondre aux questions de Togocultures sur son parcours et le théâtre au Togo.
Togocultures : Justin Dâwa Litaaba-Kagnita comment avez-vous découvert le théâtre?
Justin Dâwa Litaaba-Kagnita: Il y a eu quatre périodes, dans ma rencontre avec le Théâtre. J’ai découvert l’art de jouer des pièces écrites grâce à un instituteur que j’ai eu comme enseignant en classes de CM1 et CM2 à l’école primaire publique de Bodjopal à Dapaong. M. Agbogan Koffi, très rigoureux, mais excellent pédagogue. Avec deux ou trois camarades de classe, il me faisait répéter une ou deux scènes d’une pièce d’un auteur d’Afrique ou un classique français. Puis, nous les jouions devant tous nos camarades de classe. Ensuite, ce fut le collège, le début de l’adolescence au CEG Nassablé II. Nous sommes en 1990, je suis en classe de 5ème. Il fallait choisir entre l’équipe de football, la troupe d’animation politique et la troupe de Théâtre. Pour moi, le choix a été clair. Cependant, ce fut avec la Troupe Espoir de Dapaong que je me suis vraiment épanoui au théâtre amateur. J’y ai fait mes premiers pas en tant que comédien, humoriste, chanteur et danseur. En 1997, je fais la rencontre de Ramsès Alfa, alors que je suis étudiant en sociologie et membre actif du club Unesco étudiant à l’Université du Bénin (actuelle Université de Lomé). Il y a eu dès lors un bouleversement dans ma pratique théâtrale. Avec Ramsès, mon camarade, mon ami et mon frère, j’ai découvert les exigences et le plaisir du théâtre professionnel. C’est à partir de ce moment que j’ai décidé d’en faire mon métier. Nous avons parcouru tous les deux un long chemin avec la troupe du club Unesco, couronné d’un grand succès au FESTHEF 1999. Puis, il y a eu la compagnie Louxor avec laquelle nous avons œuvré, comme d’autres troupes de Lomé, non sans difficultés matérielles et financières, au développement du théâtre professionnel au Togo.
Pour autant, les chemins du grand débutant au théâtre que je suis vont s’ouvrir à moi grâce à ma rencontre avec Pierre Debauche mon maître de Théâtre. J’ai été son élève au Théâtre Ecole d’Aquitaine à Agen de 2003 à 2006 puis, son assistant de 2007 à 2010. C’est Pierre qui m’a fait découvrir toutes les dimensions de la création théâtrale, indissociable des métiers du théâtre. Avec lui, j’ai compris que tout projet de création théâtrale n’est viable que lorsqu’il se conçoit avant tout comme « un projet de bonheur ».
Togocultures : Qu’est-ce qui a changé votre vie dans ce domaine?
Justin Dâwa Litaaba-Kagnita: J’ai découvert la France et adopté sa culture grâce au théâtre. Je fais partie d’une grande famille théâtrale et mon réseau d’amis s’est agrandi. Je suis désormais riche de tout cela. Il est certain que beaucoup de choses changent en bien ou en mal dès que l’on quitte un pays ou un continent pour habiter un autre certes, mais le théâtre m’a ouvert des portes que je pensais infranchissables.
Togocultures : Vous résidez en France depuis 2003, quels sont les villes et pays que vous avez parcourus après votre formation?
Justin Dâwa Litaaba-Kagnita: J’ai habité Agen pendant 9 ans et vécu deux ans à Arles. Etant donné que la liste des villes que j’ai visitées est longue, je vous citerai plutôt les régions dans lesquelles elles sont situées. J’ai visité l’Aquitaine, les Midi-Pyrénées, le Languedoc-Roussillon, La région PACA, l’Auvergne, la Région Rhône-Alpes, le Poitou-Charentes, le Limousin, les Pays-de-la-Loire, la Bretagne, la Bourgogne, l’Île-de-France, la Picardie, la Basse Normandie, le Nord-Pas-de-Calais et l’Alsace. Par ailleurs, à la fin de l’école chez Pierre Debauche, j’ai été en tournée avec lui comme comédien et assistant à la mise en scène au Maroc, en Belgique, en Île-de-France, en Tunisie et participé au Festival des Francophonies en Limousin. Ensuite, avec le metteur en scène Antoine Bourseiller, j’ai découvert le Festival d’Avignon et le Théâtre antique d’Arles en Provence. Le théâtre m’a permis en outre de visiter la Hollande, le Luxembourg, la Guyane française, le Suriname, la Martinique, la Corse et récemment Mayotte qui est un département français situé dans l’océan indien.
Togocultures : Que pensez-vous de la situation théâtrale au Togo?
Justin Dâwa Litaaba-Kagnita: Avant de dire mon avis sur le Théâtre au Togo, permettez-moi de souligner que le Togo regorge de beaucoup de talents au niveau du Théâtre professionnel. Ma première école de théâtre a été Ramsès, mais je crois que j’ai beaucoup été nourri par le travail de certains aînés comme Eklu-Nattey, Béno Sanvee, Atchina Noviti, Corneille Akpovi, Banissa Méwé, Marcel Djondo, Gaëtan Noussouglo, Armand Brown. Je n’oublie pas Danaye Kanlanféï et Adama Bacco qui sont de formidables marionnettistes. J’ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec Gustave AKakpo, Amoussa Koriko, Hubert Arouna, Koka Ganda, Patricia Madjouliba, Julien Mensah, Luc Koubidina Alanda, Roger Atikpo et à côtoyer Rodrigue Norman. Je constate, cependant, que beaucoup d’artistes togolais de théâtre vivent et travaillent en Europe. Je note avec regret qu’il n’y a toujours pas de véritable politique culturelle qui intègre le spectacle vivant, notamment la création théâtrale, dans une démarche professionnelle durable. Il ne s’agit pas seulement de doter la culture d’un financement. Il est fondamental que le théâtre ainsi que toutes les disciplines du spectacle vivant puissent s’appuyer sur des structures de formation, de production et de diffusion au plan national et international. A cela doit s’arrimer un projet formel qui définit un statut juridique et social des professionnels de l’art au Togo. Bien entendu, ce travail de structuration incombe à l’administrateur public en premier lieu certes, mais il faudra que les artistes togolais s’organisent de leur côté pour mettre en commun leurs réflexions sur l’art, la culture ainsi que les différents réseaux de formation, de production et de création. Cela permettra de mieux ériger une culture artistique togolaise, forte et remarquable au plan international tout en renforçant le talent des créateurs. Il faudra que chaque artiste l’entende et opte pour un changement de mentalité qui devra s’étendre aux spectateurs. La culture de la profession artistique, l’école du spectateur, et la construction du public doivent s’appréhender comme des dimensions consubstantielles à la création artistique. C’est une démarche qui doit s’inscrire dans la durée, avec une concertation continue de tous les acteurs culturels, en partenariat avec l’éducation nationale. Il est indéniable que la production artistique et culturelle est un levier d’éducation populaire et de développement économique et social. Beaucoup de régions du monde l’ont compris et le Togo ne doit pas rater l’opportunité de devenir un pays de référence artistique et culturelle à l’échelle internationale.
Togocultures: Vos projets d’avenir.
Justin Dâwa Litaaba-Kagnita: Travailler au développement de ma compagnie de Théâtre, L’Aurtiste, basée en Alsace, à Strasbourg. Avec mon collaborateur artistique, Ivan Hérisson, nous souhaitons établir une passerelle théâtrale entre Strasbourg et l’océan indien, en collaboration avec le Théâtre National de Strasbourg (TNS) et la compagnie Ariart Théâtre de Mayotte tout en investissant le territoire alsacien par la création théâtrale. Parallèlement à ce projet de compagnie, je porte avec mon camarade et ami de longue date, Gustave Akakpo, un projet de résidence théâtrale et d’action culturelle qui aura lieu très prochainement au Togo. Nous y travaillons an collaboration avec Ramsès (Compagnie Louxor), Pierre Vincent directeur artistique de la compagnie Issue-De- Secours (Théâtre la ferme Godier de la Ville de Villepinte) et le Théâtre Aux Ecuries à Montréal (Québec).
Propos recueillis par Gaëtan Noussouglo © Togocultures