L’Afrique malade de ses hommes politiques : une affaire déjà entendue que ressasse l’actualité sur les médias, constitue une majeure partie de la littérature politique sur le continent, à telle enseigne qu’après la revue des événements post-électoraux du Kenyan, les chaotiques élections du Zimbabwe, les menaces de la faim, etc., l’observateur se fait légitimement sa religion pessimiste sur le continent, à savoir que les Africains sont incapables de changer le cours de leur histoire. En ce qui concerne son développement, il faut bien en convenir avec Stephen Smith, le rendez-vous est à la saint-glinglin.
En revenant donc sur le sujet, l’universitaire Robert Dussey ne nous réchauffe nullement la pâte d’hier ; la question a toute son importance et mérite que la mette encore plus sérieusement à l’étude car elle devient plus qu’angoissante. Mais comment écrire sur un tel sujet sans éviter de redire ce qui a été déjà dit, notamment par René Dumont1, la Camerounaise Axelle Kabou2 et même par l’ancien Premier ministre togolais Edem Kodjo et bien d’autres, sous peine de tomber dans la banalité ? Robert Dussey entame donc le sujet avec méthode et pédagogie, l’enrichissant de ses expériences de membre de la Communauté catholique Saint-Egidio sur les questions de paix, de gestion et de résolution des conflits, et aussi de conseiller diplomatique auprès du chef de l’Etat togolais, Faure Gnassingbé.
Pourquoi donc l’Afrique va si mal ? La démarche de l’auteur consiste à aller des causes aux conséquences, puis enfin de donner les solutions. Il part aux origines de la déchéance continue du continent et lui trouve deux sources : l’histoire et le présent ; l’acharnement de l’extérieur et le pourrissement de l’intérieur par les fils du continent. Ces deux types d’agression ne peuvent qu’avoir raison de la victime.
Pour Robert Dussey, il y a d’abord le tropisme de la philosophie occidentale basée sur les thèses racistes de Hegel qui considèrent l’Afrique comme n’ayant pas pris part à l’Histoire. L’ennui est que de nombreux intellectuels africains et beaucoup parmi l’élite politique en sont convaincus, d’où leur complexe à l’égard de l’Occident, et la conviction intime que les Africains sont foutus à rien. C’est la thèse du «vendredisme» d’Axelle Kabou. Il y a également la colonisation et son dépeçage à la hache du continent qui a fini par embrouiller les histoires et les consciences, créer le lit du tribalisme, l’une des causes des conflits en Afrique. Il y a ensuite la mal décolonisation et les indépendances, l’arrivée au pouvoir d’hommes politiques pervers et de cadres sans ambition, et ses conséquences délétères que l’on connaît à travers l’actualité. Il y a enfin la mise sous tutelle du continent par les institutions des Bretton Woods dont les interventions mettent à jour la mort économique et culturelle du continent, mais qui révèle également une Afrique très fragile et vulnérable sous l’influence des puissances étrangères et de la communauté internationale.
La démocratie est-elle bonne pour l’Afrique ?
Comment remédier à tout cela et aider le continent à se réveiller de la longue nuit où elle plongée depuis la traite négrière ? L’auteur propose une batterie de solutions dont la démocratie constitue l’épine dorsale pour asseoir une espèce de paix perpétuelle et le développement durable du continent, avec bien sûr l’implication de la communauté internationale, l’Onu notamment.
Comme solution idoine au développement et aux problèmes de tracé des frontières, l’auteur suggère le renforcement des intégrations régionales actuellement existantes avant de pouvoir penser à l’établissement des Etats-Unis d’Afrique, beaucoup trop prématuré à ses yeux.
Les solutions constituent la faiblesse de ce livre, puisqu’elles ne sont pas nouvelles, étant la plupart dites dans les officines internationales, le menu des discours officiels, ironie de l’histoire, des chefs d’Etat « malades » du continent. Ça laisse le lecteur sur sa faim. En ce qui concerne le chapitre de la démocratie, l’échec du processus en Afrique ne devrait-il pas amener à s’interroger sur la question que l’on éludait en accusant ceux qui ont le courage de le dire de raciste, à savoir si le principe d’une démocratie d’essence libérale et occidentale est-elle transposable en Afrique ? Tout récemment, l’essayiste camerounais Achille Mbembe a osé poser la question de la durée des alternances au pouvoir en Afrique, dans l’indifférence générale des intellectuels. Et un homme politique togolais, Me Yawovi Agboyibo avait suggéré qu’au regard du détournement des suffrages en Afrique, et la non-compréhension du principe démocratique même par les populations en majorité analphabètes, il faudrait remplacer le système démocratique par un système de cogestion.
En vérité, le livre de Robert Dussey a pour ambition de marteler encore une fois le problème, et d’amener les intellectuels à se pencher sur la question. C’est plus le débat qui l’intéresse que les solutions. Voici pourquoi son livre est pédagogique, informatif et instructif. Et pour le public togolais, très intéressant du point de vue où pour la première fois un proche d’un chef d’Etat ose poser les questions silencieuses sur les lèvres. Obsédé par la paix dans les relations humaines, Robert Dussey est auteur de plusieurs livres dont L’Afrique face au Sida (Centre de documentation missionnaire, Abidjan 2005) et Penser la Réconciliation au Togo (Editions Bognini, Abidjan 2003).
Robert Dussey, L’Afrique malade de ses hommes politiques, Editions Jean Picollec, 2008, 252 pages, 19 euros.