Editions: Les problèmes de l’édition et de la diffusion du livre au Togo

Yasmin Issaka-Coubageat Photo: Gaëtan Noussouglo
Yasmin Issaka-Coubageat Photo: Gaëtan Noussouglo

La célébration du 51ème anniversaire de l’accession du Togo à l’indépendance a offert l’occasion de discuter des problèmes de la littérature, de l’édition et de la diffusion du livre au Togo. A cet effet, l’opportunité a été offerte par le Ministère des Arts et de la Culture à Mme Tchotcho Christiane Ékué, romancière, Directrice des éditions Graines de Pensées, de présenter une conférence sur la question, le 6 mai 2010 dernier au Palais des Congrès de Lomé.

La conférencière, après avoir relevé l’importance du livre et son apport dans le développement humain durable, a tenu à mieux préciser l’activité éditoriale, peu connue du grand public qui a tendance à l’assimiler au travail d’impression.

 Les acteurs du livre au Togo et leurs difficultés

Dans ses diverses articulations, les 3 tâches fondamentales de l’éditeur et donc de l’entreprise éditoriale sont les suivantes : décider des ouvrages à publier ; assumer les risques financiers de ses décisions ; coordonner, tel un chef d’orchestre, les activités de l’auteur, du ou des traducteurs, des illustrateurs, du metteur en pages, de l’imprimeur, du relieur, enfin du distributeur.

Au Togo, les différents acteurs de la chaîne du livre font face à de multiples difficultés :

Le 1er problème est la non cohérence dans les actions des auteurs. « Beaucoup « d’écrivains », peu d’écrivains ». Certains sont regroupés au sein de l’Association Togolaise des Gens de Lettres (ATGL), association moribonde, défendant peu les intérêts de ses membres. Les auteurs et illustrateurs de livres pour enfants se retrouvent quant à eux dans l’Association Togolaise d’Auteurs et d’illustrateurs de Livres pour Enfants (ATAILLE), vivier important de la production de la littérature de jeunesse. Ils se perfectionnent grâce à des ateliers soutenus par le CCF ou ma coopération française et l’OIF. Les auteurs de manuels scolaires œuvraient quant à eux dans les commissions du ministère de l’Éducation nationale. Certains enseignants, auteurs d’ouvrages parascolaires, peu au fait des pratiques éditoriales, produisent parfois des ouvrages de mauvaise facture non évalués par un comité scientifique. Les traducteurs, considérés également comme des auteurs, sont à soutenir pour la promotion d’ouvrages en langues nationales et la conservation de notre patrimoine ;

En second lieu, du côté des éditeurs, on retrouve quelques professionnels et beaucoup d’amateurs. Ils sont confrontés au manque de professionnalisme, de financement et de soutien de l’État et des mécènes, de non accessibilité au marché du livre scolaire et au crédit bancaire.

En troisièmement point nous avons les imprimeurs. Peu sont spécialisés dans la fabrication du livre. Peu compétitifs en matière d’impression de manuels scolaires, ils ont également des problèmes de formation, d’équipements et de renouvellement des équipements, d’approvisionnement en matières premières (taxes douanières élevées).

Quatrièmement, sur le marché, on retrouve peu de libraires dont la plupart se retrouvent à Lomé. Confrontés à des taxes élevées à l’importation et pratiquant le système de dépôt-vente qui n’arrange pas les éditeurs, les libraires sont beaucoup plus tournés vers la promotion d’ouvrages de littérature européenne. Résultat, peu de cas est fait de la visibilité de la production togolaise.

En cinquième lieu, le circuit de distribution est presque inexistant. La Limusco (Libraire des Mutuelles Scolaires) instituée par le Ministère de l’Education pour diffuser les manuels scolaires pourrait servir à celle de la littérature générale. Cependant, elle se montre peu intéressée car la filière est moins rentable. La Limusco elle-même doit être restructurée et redynamisée.

Enfin, pour ce qui est des bibliothèques, la fin du Projet lecture publique financé par la Coopération française a freiné l’achat d’ouvrages auprès des éditeurs pour leur approvisionnement. En outre, il y a pénurie de bibliothèques scolaires et d’entreprises.

Somme toute, la crise sociopolitique qu’a traversée le Togo pendant plus d’une décennie a sensiblement affecté le marché du livre au Togo. Beaucoup de librairies ont fermé et des éditeurs ont disparu. C’est le cas de Malidis, Sacomer, CTCE, Agaseke, NEA – principale maison d’édition nationale dont la situation reste à clarifier -, Editions Akpagnon, Editions La Rose bleue…).

 Les problèmes spécifiques de la diffusion et de la distribution du livre au Togo

La diffusion et la distribution sont primordiales dans l’entreprise d’édition. Une fois édité, le livre doit être mis à la disposition du lecteur pour lequel il a été conçu. Diffusion et distribution sont donc étroitement liées. La diffusion ou l’information autour du livre pour atteindre le public-cible est à distinguer de la distribution, acheminement du produit livre vers le marché (libraires, écoles, bibliothèques…).

Les difficultés suivantes sont à relever : absence d’une culture de la lecture ; absence d’un réseau professionnel de distribution ; manque de librairies à l’intérieur du pays ; rareté et déficience des réseaux routiers ; cherté des tarifs postaux ; peu d’information autour du livre dans les médias, etc.

L’activité éditoriale est ainsi handicapée par des écueils qui risquent de lui porter un coup fatal si des mesures adéquates ne sont pas prises pour amorcer, sinon sa promotion, du moins sa survie. Ces entraves sont les suivantes : absence d’une politique nationale ou loi sur le livre ; concurrence des multinationales de l’édition scolaire ; étroitesse du marché national ; absence des circuits de distribution professionnels ; faible pouvoir d’achat des populations aggravé par la conjoncture économique difficile ; accès difficile aux financements ; pénurie des librairies à l’intérieur du pays, etc.

 Approches de solution

Pour Mme Ekué, quelques remèdes à ces différents problèmes soulevés peuvent être indiqués : amélioration des réseaux de communication et d’information sur les potentialités réelles de l’industrie du livre dans la sous-région ; encouragement des campagnes d’incitation à la lecture ; développement de la production de manuels panafricains ; attribution de bourses et prix aux auteurs ; création de réseaux de diffusion et de centrales d’achat ; libre circulation inter-état des livres ; et surtout l’émergence d’une politique culturelle conséquente dans nos États.

Pour la conférencière, la volonté politique de promouvoir le livre au Togo existe. En témoignent la ratification de l’Accord de Florence et le projet d’élaboration de la politique nationale du livre dont les jalons ont été posés au cours de cette journée de réflexion et d’échanges. Il importe donc désormais de passer aux actions concrètes que sont : la redynamisation du Conseil national du livre ; l’application effective des dispositions de l’Accord de Florence et de son Protocole de Nairobi ; la constitution d’un fonds de soutien à l’édition à l’accès facilité pour les vraies maisons d’édition nationales produisant et diffusant des manuels scolaires ; l’introduction de nouvelles méthodes d’enseignement de la lecture ; ; la stimulation de la création littéraire et l’institution de prix littéraires (Grand Prix littéraire du Président de la République) dotés de sommes consistantes ; l’encouragement des campagnes d’incitation à la lecture ; la promotion de la littérature jeunesse pour juguler la crise de l’éducation et la crise d’identité ; l’aide à l’édition d’ouvrages littéraires en langues nationales ; l’investissement dans la formation de tous les acteurs de la chaîne du livre notamment à travers l’instauration de formations diplômantes à l’université ; la redynamisation de la Bibliothèque et des Archives Nationales ; le développement de la production de manuels panafricains ; la création de réseaux de diffusion et de centrales d’achat ; la libre circulation inter-Etats des livres ; l’organisation de salons, foires et semaines du livre au Togo.

 Nécessité pour les professionnels de la chaîne du livre de s’organiser pour mieux se défendre

Pour Mme Ékué, tous les professionnels de la chaîne économique du livre, très dépendants les uns des autres, ont compris la nécessité de s’organiser en association pour défendre leurs intérêts pour un meilleur devenir du marché du livre au Togo. Avec l’érection d’un ministère des Arts et de la Culture sensible aux préoccupations des acteurs culturels, il importe que secteurs public et privé se concertent au sein d’un Conseil national du livre à redynamiser et à doter de moyens conséquents en vue de l’élaboration d’une politique nationale du livre et de la lecture.

Les échanges qui ont suivi la présentation, ont mis l’accent sur la nécessité de mieux organiser la filière du livre, notamment à travers la professionnalisation des acteurs de la chaîne du livre ainsi que sur les actions à mener avec les ministères concernés en vue de rendre le livre plus accessible au public togolais, notamment à travers l’application de l’Accord de Florence et la réactivation des éditions de livres scolaires par les maisons d’éditions nationales.

Cyriaque NOUSSOUGLO et Yasmin ISSAKA (Responsable éditoriale et de promotion. Ed. Graines de Pensées)

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