Angela Aquereburu-Rabatel

Angela Aquereburu-Rabatel : « L’audiovisuel aura de l’avenir quand tout le monde fera sa part »

Arborant une coupe de cheveux rasés courts, Angela Aquereburu a fait une brillante scolarité dans le commerce et a opté dans la vie active pour la gestion des ressources humaines en France. La rencontre avec son mari, Jean-Luc Rabatel, réalisateur – scénariste et producteur, change le cours de sa vie et l’oriente dans le monde du cinéma. Elle en est très fière. Elle devient ainsi productrice et réalisatrice rentre au Togo et monte sa boîte, Yobo Studios, qui a frappé un grand coup avec la série « Ahoé », très suivie par les Togolais puisqu’elle est produite en Mina et en français, un subtil mélange de langues car au Togo et au sein de la diaspora, cette combinaison ravit tous les Togolais. Togocultures a rencontré cette dame humble et élégante à Lomé qui nous parle de sa rencontre avec le cinéma, sa motivation de continuer la carrière malgré l’absence de moyens de production au Togo et donne des conseils aux jeunes qui veulent se lancer dans cette aventure cinématographique.

Togocultures : Bonjour Angela Aquereburu. Pourriez-vous me parler de votre parcours ? Je sais que vous avez fait des études au Togo et en Guadeloupe, Comment passer des études de commerce, des ressources humaines au cinéma ? Les deux mondes ne sont pas pareils.

J’ai rencontré mon mari Jean-Luc Rabatel un samedi soir, dans un club de salsa parisien en 2004 alors que je m’apprêtais à m’installer en Argentine pour me lancer dans l’entrepreneuriat et ça a changé ma vie. Jean-Luc était comédien à l’époque et il vivait de ce métier. Je ne savais pas qu’il était possible de vivre d’un métier artistique. Je n’avais pas été éduquée comme cela. En 2008, se lance le 1er marché audiovisuel, Discop à Dakar. Jean-Luc veut passer derrière la caméra car la concurrence est rude en France. Il me propose de l’aider à produire un pilote que nous présenterions à des chaines au Discop. Je ne connais rien au métier, internet n’est pas aussi développé qu’aujourd’hui. J’achète des livres et je me renseigne du mieux que je peux sur la production. Je comprends très vite que produire, c’est gérer un projet… une entreprise, ce que j’ai appris à l’école. Je comprends aussi que produire c’est gérer des humains, ce que j’ai appris en travaillant dans les RH. Jean-Luc a vendu sa moto pour financer le pilote d’un format court Zem que nous avons présenté à CANAL Horizons à l’époque. Et l’aventure a commencé !

Togocultures : L’univers cinématographique est immense ? Quels sont les thèmes qui vous inspirent et pourquoi ?

Il y a ce que j’aime regarder pour me divertir et ce j’aime raconter. J’aime les films chorales,  la comédie française (ce sont les meilleurs pour moi : Intouchables, les chtis, le crocodile de Botwonga, le diner de con, le prénom), les block busters mais pas tous : « Mission Impossible 7 » que j’ai dû voir 15 fois au moins, je connais ce film par cœur des plans choisis, en passant par les dialogues et cette bande originale magnifique de Hanz Zimmer !  Je suis fan de the Dunes,  Barbie, Dark Knight, Le Parain, Star Wars, Gladiator, le diable s’habille en Prada,  Matrix, Django Unchained, Inglorious Bastards, Inception, La Land, Inside man, la Leçon de Piano,  la franchise de James Bond alors que je vais détester Fast and Furious ou John Wick ! Très souvent, les films que je regarde plusieurs fois sont une belle combinaison d’une histoire incroyable, d’un jeu d’acteur puissant et une bande originale inoubliable. Autant j’aime ces films grands publics autant j’aime aussi des films d’auteurs comme «  L’odeur de la papaye verte », «El crimen ferpecto », « Princesse Mononoke », « Peau d’âne », « Les demoiselles de Rochefort »  J’aime beaucoup les K-drama (les séries sud coréennes), Friends, casa de papel, Dix pour cent etc. Mon enfance a été bercée par Fantomas, Autant on emporte le vent, les oiseaux se cachent pour mourir, Dynastie, Dallas, Racines..

 Bref, ce sont tous ces films, toutes ces séries qui font mon inspiration en plus de la vie quotidienne. Je suis quelqu’un qui écoute et analyse beaucoup son environnement. Et tout ce que je vis, ressens, écoute ou vois se retrouve toujours quelque part dans mes séries.

Togocultures : Nous avons suivi le film Awoé qui part du thème de l’enterrement en période de Covid-19 et des différents imbroglios qui entourent le décès sur la terre de nos aïeux. Pourriez-vous nous expliquer ce qui est à la base de ce projet et des différentes ressources mises en œuvre pour le réaliser?

Ahoé est une web série et non un film. La différence : un film est unitaire. Une série comprend plusieurs épisodes.  J’ai constaté que mes séries n’étaient pas connues des togolais du Togo et de l’étranger parce qu’elles n’étaient pas en libre accès : il faut payer un abonnement pour y avoir accès. Donc avec Madie Foltek, nous avons décidé de lancer une série qui serait sur Youtube et gratuite. Pour le sujet : j’ai toujours été fascinée par la manière dont le togolais se comporte face à la mort. Une personne va être malade, on va prier pour qu’elle se rétablisse mais personne ne va cotiser pour le sauver. Par contre, on va s’endetter pour les funérailles. Madie et moi, sommes des rapatriées, nous avons vécu à l’étranger, ce qui change forcément notre regard sur les traditions et notre culture. C’est ce que nous avons voulu transcrire en partie dans Ahoé, en plus de mettre en valeur nos talents, nos traditions et notre patrimoine (langue, gastronomie etc). Le challenge était sur le financement. Toutes les séries précédentes étaient financées par les chaines. Alors que là, il fallait fabriquer sur fond propre : nous avons lancé une campagne de financement participatif, Madie Foltek a écrit gratuitement, Yobo  Studios a  mis à disposition le matériel technique, quelques salariés etc et nous avons demandé aux techniciens, acteurs, aux personnes de la com de travailler bénévolement. Et ça a donné le phénomène Ahoé.

Togocultures : Nous avons suivi vos difficultés pour avoir les moyens de production ? Pensez-vous sérieusement que le 7e art a de l’avenir au Togo ?

L’audiovisuel aura de l’avenir quand tout le monde fera sa part : les producteurs ne peuvent pas porter toute l’industrie, c’est impossible. Pour construire une industrie il faut de vrais centres de formations, un cadre légal et fiscal avantageux, une politique extérieure pensée pour attirer les producteurs étrangers à venir tourner au Togo , des annonceurs et des chaines télé qui investissent le juste prix, des salles de cinema et un public qui consomme du contenu local sans concession.

Togocultures : Avez-vous un message particulier à l’attention des jeunes qui veulent la carrière cinématographique ?

  • En l’état actuel des choses, si vous voulez rentrer dans cet univers, constituez-vous un pactole financier avant de vous lancer : on ne peut pas être à la fois boulanger et agent de sécurité de nuit, si on veut faire les 2 métiers sérieusement.  Si vous avez déjà de quoi vivre, vous pourrez donc faire votre carrière cinématographique correctement car nous fabriquons du divertissement, nous ne nous divertissons pas, nous travaillons certaines fois 7 jours par semaine. Et quand vous arrivez dans cet univers, à mi-temps, ou en dilatance, vous courrez forcément à l’échec.
  • Au lieu de vous contenter de scroller, utilisez Google, youtube, Tik Tok, Instagram pour vous former !
  • Regardez des films de tous horizons. Ce n’est pas en vous contentant de regarder Fast and Furious, John Wick  ou des vidéos nigérianes que vous allez construire votre univers. Soyez curieux, regardez un maximum de films et de séries de pays, de genres différents pour enrichir votre culture cinématographique.
  • Regarder des making of, des coulisses de tournage. Demandez à assister à des tournages gratuitement.
  • Arrêtez de dire que vous êtes passionnés par le cinéma et que vous savez que vous avez du talent !  Je suis passionnée de musique et de danse, mais cela ne fait pas de moi une Almok ou une Olivia De Souza.  Informez-vous sur les différents métiers qui composent cette industrie et renseignez-vous sur les métiers qui vous attirent, vous avez la chance d’avoir IN TER NET !
  • Soyez humble : ce n’est pas parce que vous avez fait un court métrage de 13 min que vous avez diffusé sur Youtube et qui a été visionné par 123 personnes que vous êtes producteurs, réalisateur ou acteur. Un peu de respect ! Ce n’est pas parce que je fais du pain chez moi que je me présente comme boulangère !  
  • Soyez pragmatiques et réalistes : ces métiers demandent beaucoup de sacrifices (il pleut, vous avez le palu. Et puis ?), de constance (quand on s’engage, on va jusqu’au bout avec le même entrain) , de rigueur ( la ponctualité est la clé), de flexibilité, d’ouverture d’esprit, de travail d’équipe (l’esprit du collectif est fort), de la bienveillance, de dépassement de soi, de quête d’excellence et enfin de l’amour pour son travail. 

Interview réalisée par Gaëtan Noussouglo@Togocultures

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