Alognon Dégbévi que nos pères ont plus connu que la jeune génération actuelle, a marqué la chanson togolaise et toute une génération par ses airs mélancoliques arrachés à une guitare solo. Cet artiste professionnel accompli, populaire mais non couronné de gloire de son vivant, n’avait besoin que de sa voix, de sa guitare, d’un harmonica et accessoirement d’un escabeau. Il avait tout d’un griot sauf que sa guitare traditionnelle il l’avait fabriquée dans l’enfance ! En tant qu’artiste compositeur, Alognon Dégbévi était comme désespérément trempé et pétri dans une tradition musicale faite de complaintes et d’une profonde philosophie existentielle pessimiste, à la Schopenhauer. Cette tradition musicale de complaintes a été entre autres illustrée par de grands noms comme Aguèvodou. Son air était proche des mélopées et du « notsuévi », ces airs funéraires tristes qui vous pénètrent jusqu’aux tripes et vous glacent les os, vous faisant regretter d’être venu dans ce monde.
http://www.youtube.com/watch?v=IvxVgAH5Xec
En tout cas, Alognon Dégbévi aura joué sa partition jusqu’au bout s’attaquant inlassablement à un destin impitoyable aux œuvres funestes qui accable les humains de tous les maux. A l’entendre, cette vie n’est que vallée de larmes, désespoir, succession de malheurs sans répit… Il se sera posé comme les philosophes des questions sans réponse : « Pourquoi suis-je né ? Quelle est cette vie dans laquelle je suis embraqué ? La mort n’en est-elle pas la fin du tourment ? Ne valait-il pas la peine que je fusse étouffé dès ma conception dans le ventre maternel ? »
Alognon Dégbévi, le philosophe
Dans l’un de ses tout derniers albums intitulé : « Nature, pourquoi ? », il s’écrit :
« Oh Nature, pourquoi tu m’as fait si mal.
Tous les jours mes efforts sont voués à l’échec.
Oh mon Dieu quel péché j’ai commis ! »
Il appelait à un refaçonnage du Destin. Rien que des jérémiades. Cela lui a valu d’ailleurs d’être appelé affectueusement « Le Philosophe de la chanson togolaise », celui qui se faisait par ailleurs appeler « Dégbévi Jazz », l’homme orchestre. Il marqua l’ère du vinyle puis disparut un moment de la scène musicale avant de reprendre du service dans les années 90, au moment du numérique et des CD. Avec la même opiniâtreté, il remit ses chansons au goût de la nouvelle technologie sans rien changer au style. Il se choisit même un manager, avec l’illusion de celui qui veut se mettre à l’air des temps en faisant les choses de façon professionnelle. Jimi Hope était son roducteur et Séraphin Adjogah son manager pour la production de l’Album « Les mains vides. Jimy Hope lui proposa de l’aider à la production de son album « Les mains vides ». Séraphin Adjogah était son manager Il déchanta rapidement, replongeant dans les abîmes d’une vie de solitude, à l’image de ses chansons, négociant au gré de ses besoins vitaux et des passants, ses disques soigneusement rangés dans un sempiternel sac à main, tel un enfant serrant sous ses aisselles son jouet. L’homme vivait comme il chantait, conformant son existence à sa pensée solidifiée dans ses chansons. Élégamment vêtu, ce petit homme aimait arborer un chapeau de Sheriff ou à la cow-boy. Il aura gardé ce besoin de jeunesse permanente pris à l’art théâtral populaire, le Concert Party.
Le temps de gloire
Alognon Dégbévi n’avait pas fait qu’une carrière professionnelle solo rythmée par plusieurs albums. Il joua aux côtés de grands noms de la chanson africaine comme Franco et fut honoré dans le mythique orchestre « OK JAZZ ». Naturellement, il collabora également avec les plus anciennes des formations musicales togolaises à l’instar de « Mélo Togo » et « Sassamasso ». Dégbévi s’essaya longtemps également au théâtre populaire, le « Concert Party » aux côtés de grands noms comme Boboè dont la formation se tailla un nom dans les années 70 en même temps que Kokouvito. Dans ce registre, il joua également avec Azé Kokovina et fut appelé dans la création « La Tortue qui chante » de l’ancienne troupe nationale du Togo dirigée par le dramaturge Sénouvo Agbota Zinsou. Alognon Dégbévi comme on le voit connut aussi une dimension internationale de sa carrière d’artiste : France, Belgique, Allemagne et, évidemment, des pays africains. L’Universitaire togolais Akakpo Yaovi lui consacra même un article et une conférence qu’il se prépare à rééditer, tellement ce chanteur aurait eu une grande envergure.
Au Togo, l’arbre cache la forêt…et un grand arbre vient d’être déraciné dans la flore musicale togolaise. Une grande voix s’est éteinte, marquant à sa manière son temps, pratiquement dans l’anonymat ; on dirait le pauvre Martin de Brassens.
Alogno Dégbévi, le philosophe de la chanson togolaise a rendu l’âme à l’Hôpital d’Afagnan le 17 février 2010 à 23h30 des suites d’une hyper tension artérielle. Afagnan a connu sa naissance en 1945. Il a fait ses études primaires à l’Ecole Primaire d’Afagnan de 1954 à 1960 sanctionnée par CEPE et a continué au Collège d’Enseignement Général de Zébévi de 1960 à 1963.
Alognon Dégbévi goûtera enfin au repos éternel.
http://www.youtube.com/watch?v=vXsWm8rKz70
LES TROIS DERNIERS ALBUMS :
« Rien n’est tard », « Nature, pourquoi ? » et « Les mains vides ».
Album : « Nature, pourquoi ? »
Les titres
1) Nature, pourquoi ?
2) Enya wum
3) Amégbo novi
4) Adzré mé lio
5) Tonyé via dzi
6) Lan lem
7) Tonyé me dzo na o
8) Senye me nyo o
9) Esron nye gbem
10) Azonlinye bu
Album « Les mains vides »
Les titres
1) Les mains vides
2) Dzogbévoeto
3) Womakpodu
4) Xéxémé fé nyawo
5) Eh ! Amégbétoa
6) Doku tso
7) Aléké yé nawo
8) Mozola
9) Dogbéda
10) Nyémégni gbévuo
11) Moladidi
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