Alain Kossi Sena Tomety fait partie des grands créateurs de l’ombre pour les spectacles vivants : théâtre, musique et danse. Il compose le dessin et la magie des représentations dans cet art qui s’appelle régie son et lumière. Dans ce domaine, Alain Tométy excelle, il enlève le voile de l’obscurité pour créer des atmosphères déployant les jeux scéniques dans les dimensions spatio-temporelles et rehausser l’éclat ainsi du spectacle. Les spectateurs se retrouvent fasciner, une illusion du réel, du vrai se met en place.
Qui est Alain Tométy
De la scission avec la compagnie ZITIC de Lomé est née ZIGAS d’Atavi G. Amédégnato dans les années 90. Aux premières heures de cette compagnie, Alain Tométy était une personne incontournable. Il y crée ce qui fait la magie de la création de ces spectacles. On se souvient du spectacle Assassan dont la lumière et la scénographie étaient plus magiques que le spectacle en lui-même. C’était la première fois de notre vie que nous remarquons que ces éléments qui créent la spatialité, la temporalité et l’enchantement s’ils ne vibrent point en synergie avec la création du metteur en scène desserviront le spectacle. La mise en vue et la mise à l’écoute n’étaient pas en diapason avec les lumières, le son d’Alain Tomety et la scénographie du maitre Kossi Assou dit le Pharaon. Alain Tomety s’est vraiment révélé. C’est de bonne guerre que les compagnies de théâtre, de danse et de percussions togolais à l’instar de Enal de Rodrigue Banissa Méwé, Sylvain Méhoun ou d’Ass Ayigah, Ayigafrik , Azangounon de Togbévi Nador et bien d’autres de l’époque à Lomé en ont fait leur compagnon pour bien mettre en vue les contours de leurs spectacles. Il crée la lumière dans Les bouts de bois de Dieu d’après Sembène Ousmane et Hamlet de Shakespeare dans une mise en scène d’Hugues Serge Limbvani ou Apprentissage de mémoire de Kangni Alem mise en scène et joué par Kudzo Do Tobias. Sa dernière création lumière et son date du 6 mars 2020, Salina, une pièce de Laurent Gaudé « dans laquelle il retrouve son ami intime et complice de toujours et Kanyna, une amie comédienne à qui il a donné un coup de main, comme à son habitude. Un grand altruiste! » nous souligne Kudzo Do Tobias
Intelligent, très disponible et humble Alain Kossi Sena Tomety fait ainsi partie de la deuxième génération des techniciens son et lumière de l’Afrique de l’ouest avec le burkinabé Jacob Bamogo, les ivoiriens Zié Coulibaly, Sam Bapès, les Togolais Alexis Amavi, Koka Ganda. C’est un secret de polichinelle de le retrouver assurant la régie son et lumière dans les festivals comme le MASA à Abidjan, le FITHEB à Cotonou ou le FITMO au Burkina Faso. Il accompagne en tant qu’ingénieur de sons des artistes de la musique et assure plus tard la régie des spectacles des stars de la chanson comme Meiway, Aurlus Mabélé, Manu Dibango, King Mensah… On le voit dès fois conteur ou comédien sur d’autres spectacles. En 2007, témoigne le plasticien Eric Wonanu, il a accompagné une équipe de Canal+ dans le cadre de l’émission Afrik’Art.
Il est présenté comme le plus camerounais des Togolais par les artistes Binda Ngazolo ou Emile Abassolo MBo car il connaît le douala (Sawa) comme sa poche. Il le parle d’ailleurs mieux que bien des camerounais. Alain Kossi Sena Tomety est né d’un père togolais Koffi Tomety et d’une mère camerounaise Esther Wanga le 31 décembre 1969. Il est l’ainé d’une fratrie de cinq enfants : Francis, Manu, Josette, Patrick. Après le décès de son père, Alain part en France. Son talent très reconnu en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale n’a pas échappé au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris qui l’engage aussitôt en tant que régisseur et projectionniste.
La perte d’un homme de classe exceptionnelle
Le dimanche 12 avril 2020, la nouvelle de son décès frappe le monde artistique européen et africain. Il était hospitalisé à la suite d’un malaise le jeudi 9 avril et devrait être libéré ce dimanche . Le Centre culturel Wallonie-Bruxelles à Paris écrit : « En ce jour, le Centre Wallonie-Bruxelles/Paris est endeuillé. Alain Tométy – Régisseur et Projectionniste au sein du Centre depuis de nombreuses années nous a quitté hier. Sa générosité, sa bonne humeur communicative, son humour décapant, sa passion pour son métier et les artistes qu’il accompagnait avec un intérêt inaltérable – son indéfectible engagement manqueront cruellement. Alain irradiait de et par sa présence celles et ceux qui avaient la chance de le côtoyer. A sa famille, l’équipe du Centre tient à exprimer ses plus douces pensées et témoigner de toute son empathie. A celles et ceux qui ont eu la chance de le connaître: puissions- nous consoler nos peines avec les beaux souvenirs qu’il nous a offert. Alain était une personne lumineuse, gardons de lui ce souvenir qui le distinguait. A « l’homme au casque », nous disons… Merci… infiniment. »
Binda Ngazolo le plus Togolais des camerounais et Emile Abossolo Mbia sont effarés mais adressent un message empreint d’espérance : « AAA SANGO …Très très cher et indispensable Alain Kossi Tomety… Frérot de cœur, d’âme et d’esprit… Nous écrivons pour te dire merciiiiiiiii infiniment merciiiiii. Et comme les mots sont incapables de traduire à quel point ta présence nous manque aujourd’hui… Nous te disons jusque … tu restes présent pour toujours dans nos cœurs, nos âmes, nos esprits…Et nous sommes cœur –âme- esprit avec toi, avec ta famille et tes enfants… Musango Mu be na waa ô longe lese aaa sango Mboa…/ N voaiii ééé waa a koam ya koam ese aaa mfaang manyaang môt… Que la sérénité, les bénédictions et la protection des forces de la vie soient avec toi de toute éternité … ! Gratitude infinie irremplaçable frère-ami. A la vie… A la vie… ! »
Alain était toujours resté le même, « cette espèce de force tranquille dont la tranquillité trahit l’humilité des grands » souligne André Akutsa ancien administrateur du Festhef. Si Richard Lakpassa refuse de croire « en ce poisson du 12 avril », il finit par réaliser la perte de ce grand homme : « je me sens totalement défait et complètement désabusé. La culture togolaise connaît une litanie bien trop triste de pertes énormes ces derniers temps. Alain Tomety était un homme de classe exceptionnelle, d’humilité inégalée et de compétence sans pareille. Ça fait mal. Très mal. RIP ». Sanvee Béno, le doyen des artistes togolais entre deux soupirs écrit : « Triste nouvelle. Grande perte pour nous tous, pour notre art, pour notre pays. Triste nouvelle. Je l’ai vu en ligne il y a un peu plus de deux semaines et j’ai parlé avec lui au téléphone. Il n’avait pas sommeil cette nuit-là et on s’est rappelé le passé, nos souffrances sur le chemin de l’art, notre entêtement à toujours mieux faire, notre pays qui sait à peine l’importance de l’art dans l’économie nationale, tant de choses nous nous sommes dits. Et je lui disais de se protéger contre ce corona. C’était un appel par vidéo et je le voyais tout souriant. Je ne savais pas que c’était la dernière fois qu’on se parlait, qu’on se voyait. Vraiment triste nouvelle. Lui si gentil, si aimable, si humble, si effacé, si… Paix à son âme. ». Cette tristesse soulignée est démultipliée par l’artiste centrafricain Vincent Mambachaka « Triste, triste, triste. Pas de mots rien que des larmes. Non Alain, pas toi. »
Si Frédéric Gakpara, son ami artiste, dit être dans le déni, Samuel Yanda se sent dépassé par la nouvelle car les mauvais rêves pour certains ont une fin. Si la mort d’Alain survenu subitement tôt ce dimanche de Pâques devrait se communier en résurrection tous les artistes togolais, camerounais, béninois, africains et européens seraient preneurs. On s’en remet à Birago Diop, les morts ne sont pas morts. Alain est parti pour l’autre côté de la vie ou nous nous retrouverons tous un jour.
Alain Tomety sera enterré à Lomé comme il l’avait souhaité. Le monde artistique se mobilise pour trouver les moyens en vue de rapatrier le corps à la fin du confinement et quand l’espace aérien sera ouvert. Alain laisse derrière lui ses enfants et sa femme Angélique désabusés.
Gaëtan Noussouglo
