« Ahue Bokon » : La Chronique hebdomadaire de Kangni Alem

L’ECRIVAIN ET SA TERRE

Kangni Alem Photo de Jean Claude Abalo
Kangni Alem Photo de Jean Claude Abalo

Úbeda est une vieille terre de civilisation en Espagne. Classée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, la ville y a vu naître un des écrivains qui font aujourd’hui la fierté littéraire espagnole : Antonio Muñoz Molina. En ce début du mois de janvier 2015, j’ai eu la chance de le côtoyer sur sa terre natale, lors de la sortie de son nouveau roman, Como la sombra que se va, une exploration de la psychologie de l’assassin de Martin Luther King.

Il y a deux types d’écrivains, ceux qui sont reconnus, lus et célébrés sur leurs terres natales, et ceux qui peinent à atteindre la simple reconnaissance nationale. Molina fait partie du premier type. J’entends par reconnaissance de l’écrivain, une vraie rencontre entre le public local et lui, sanctionnée par l’existence d’une poignée d’irréductibles lecteurs qui constituent son premier cercle critique. J’ai vu un écrivain signer des livres à ses lecteurs (plus de 200) pendant trois heures, je l’ai écouté discuter avec une salle attentive pendant presque deux heures. Auparavant, un groupe d’artisans avait dévoilé une plaque à son effigie devant la maison natale de l’auteur. L’initiative ne relevait pas d’une décision politique, mais de la simple volonté des artisans et du club de lecture de Úbeda.

Kangni Alem et MolinaIl est certain qu’on ne peut pas transposer partout de telles expériences, mais on peut en tirer deux leçons. La première étant la relative faiblesse de la réception de l’œuvre de l’auteur togolais chez lui. Qu’il soit né à Bassadji, à Kuma-Konda ou Kara, il n’est pas certain qu’il trouve dans son bled, son quartier natals, les lecteurs au fait de sa production littéraire. L’activité de lecture est une culture, or ladite culture n’est pas une simple affaire de volonté, encore faut-il que les livres existent, à lire, dans des bibliothèques de proximité. Le handicap de l’auteur togolais est là : parfois, il est connu (la rumeur, la télé…) mais à son nom, peu de gens rattacheront le titre d’un livre quelconque. Euh… peut-être pas vrai pour David Ananou, et le fondamental Fils du fétiche. La deuxième leçon est consécutive à la première, si vous voyez où je veux en venir. Ce que j’ai vécu à Úbeda, au final, n’a rien d’impossible sous les cieux togolais, si les mêmes conditions étaient réunies au sein de la communauté des lecteurs. Nul écrivain ne décrète sa popularité, elle vient de la réception de ses œuvres. Or la réception des œuvres, cela se construit d’une seule manière, dans un réseau qui va de la presse culturelle aux festivals, en passant par l’enseignement des auteurs dans les programmes scolaires et l’existence des livres dans les librairies et les bibliothèques. Donc… il faut espérer que le temps des auteurs togolais arrive. Pour l’heure, lisons-les et parlons d’eux, mettons leurs œuvres au programme et ne les censurons pas dans les librairies ; les plaques et les noms de rues leur rendant hommage est vraiment superfétatoire. Quoique ! Je dis cela mais je n’ai rien dit. Bonne semaine à vous, lecteurs !
Kangni Alem, écrivain.

Article publié sur le blog de Kangni Alem

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