Les Enfants du Brésil, un délice à consommer sans modération

Le cinquième roman de Kangni Alem nous fait osciller entre le Brésil et TiBrava, capitale de TiBrava, un Etat de l’Afrique occidentale, sur la Côte du Bénin. L’action qui se concentre sur trois jours, se déborde par l’amplitude de la mémoire du personnage-narrateur qui convoque ses souvenirs d’enfance dans la relation actualisée de son périple scientifico-amoureux brésilien.

En effet, M. Candinho SANTANA, plongeur sous-marin de profession et contractuel de l’UNESCO est invité par une banque brésilienne pour animer une série de conférences et d’expositions sur les résultats des expéditions sous-marines qui ont exploré les épaves des bateaux négriers dans les océans-itinéraires du voyage triangulaire.

L’accomplissement de cette mission scientifique à Recife, Copacabana et Bahia sera jalonné de rencontres et de découvertes qui seront des artefacts qui stimulent les neurones du personnage-narrateur pour le plonger dans ses souvenirs d’enfance à TiBrava.

Ainsi, Les Enfants du Brésil, du début à la fin, a l’allure d’un mouvement sinusoïdal  qui alterne des séquences vécues dans un espace « réel » et des séquences « évoquées » dans un espace « fictif » qui résulte du passé recomposé de l’écrivain. Si l’espace « réel » est le lieu de la rencontre de Dalva et de Paula, du retour aux origines de Candhino et de Djibril, son ami d’enfance, de découverte du syncrétisme religieux des Brésiliens et des désillusions qui s’en suivent chez le narrateur, l’espace « fictif » est plutôt la scène des conflits entre Candhino et Djibril, son camarade de classe et voisin de quartier, de  l’intervention médiatrice  de l’énigmatique Velasquez qui leur révèlera l’histoire commune de leurs aïeux,  et encore…

Comme tous les textes de Kangni Alem, Les Enfants du Brésil  est un récit que sa dynamique empêche d’enfermer dans un sous-genre narratif classique ou standard. Il est à la fois une mise en forme de notes de voyage, un récit anthropologique, un roman historique, une autobiographie inachevée, une histoire d’amour…

Chacune des quinze subdivisions du récit, qu’annonce chaque fois un titre à la fois informatif et incitatif  fonctionne comme une unité sémantique autonome. Et si la fin d’une unité annonce implicitement l’unité suivante, celle-ci ne s’inscrit pas souvent dans la linéarité des séquences narratives : soit, parce que son amorce semble introduire un nouveau « micro-récit », soit, parce qu’elle est exclusivement une analepse. De plus, des pans des analepses sont des anachronies narratives qui se confirment dans la suite du récit. Cette technique narrative impose au lecteur une nécessaire  veille active qui lui permet de « participer » au récit. Ce qui sous-entend que Kangni  Alem impose un contrat tacite à son lecteur, un contrat qui exclut tout lecteur «paresseux ».

Finalement, Les Enfants du Brésil  est une invitation aux voyages : voyage dans les fonds abyssaux, symbole de notre mémoire collective pour faire resurgir  les douloureux souvenirs réprimés ou refoulés ; voyage dans les profondeurs du Brésil moderne pour révéler quelques unes de ses contradictions ; et enfin, voyage dans l’univers intime de l’écrivain, son « espace du dedans », selon l’expression de Henri Michaux, pour partager avec lui ses fantasmes, entre rêve et réalité.

Les Enfants du Brésil est un délice. Nous avons eu le privilège de le consommer sans modération.

Par Guy Kokou Missodey, Prof. de Littératures et Langue Française, Critique Littéraire © Togocultures

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