Emmanuel Sogbadji, artiste de 46 ans, crée une réplique à l’origine du monde de Gustave Courbet, une peinture d’huile sur toile où la femme se révèle au grand jour dans sa tenue d’Eve. L’artiste togolais lui oppose « 69 origines de l’origine du monde », sculptures totémiques phalliques. Dans les deux cas, le sexe tabou se réveille au grand jour et est célébré par les deux artistes, frappant les sens pudiques et amenant les contempteurs à emprunter un autre chemin qui est la genèse de L’Homme.
Si la femme pour Courbet est à l’origine de l’Homme, l’homme devient le grand géniteur, un clin d’œil de l’artiste au sexe fort, sans aucun sexisme. A peine l’exposition démarre que des critiques fusent : « Il veut aller sur Mars ou Venus ? Où sont les 69 éléments féminins ? Si c’était moi qui ai fait la même chose, le projet ne serait pas validé ou bien vu. On m’aurait traitée d’obsédée sexuelle ! Biz’art comme thème de nos jours. ». Une vue de l’esprit qui ne prend pas en compte les dimensions esthétiques de ce travail qui était en gestation depuis 2007. Le travail est loin d’être machiste, c’est un lien avec nos vies de tous les jours. L’artiste travaille le bois, la résine, les fibres de verre, la pierre… Il n’y a aucune gloriole à tirer de ce débat aux allures antiques et traditionalistes où le nu de l’homme ou de la femme ne doit être dévoilé d’un fil.
Emmanuel Sogbadji imagine comme Philippe Aubert de Molay une arrivée au Pays des Batammariba appelé communément Tamberma « notre personne passe à travers les jours, à travers les mots, à travers les formes vivantes et les formes mortes. Dans le désordre des vies, dans la chaleur puissante, notre personne est sens dessus-dessous. (…) Que ces formes vivantes vivent plus que nous. »[1]. Le phallus, en tant qu’entité pérenne, dans ce Pays comme dans les campagnes africaines est présent dans presque tous les foyers, il représente un grenier, un silo. Le grenier supplante le château Tamberma, la croyance est associée à la fécondité. Les châteaux s’incrustent dans le paysage, les édifices à deux étages dotés d’un grenier prennent une forme sphérique surmontant une base cylindrique. Ce sont ces habitations qui inspirent les installations des 69 structures phalliques dont la taille varie entre 1m50 et 2m45.
Les premières réalisations de ces totems remontent à 2011, les Tata Tamberma pour Emmanuel Sogbadji constituent un noyau autour duquel tournent des électrons. Ce noyau est à l’origine de la vie. Les orifices sur ces Tata sont des vagins dans lesquels les habitants se glissent. L’artiste n’a pas besoin de les représenter, l’imaginaire fera le reste. Il déplore d’ailleurs que le Pays des Batammariba n’inspirent pas les étudiants de l’EAMAU ni ne crée pas un grand engouement au Togo. Plusieurs Togolais ne connaissent pas ce site classé depuis 2004, patrimoine mondial de l’UNESCO.
« Composée de 69 totems phalliques en bois, dotés d’appendices de pierre, de métal, de bois, de fibres de verre, de résine ou encore de perles, elle s’organise en 9 séries de sculptures. Dans les premiers instants, cette œuvre laisse perplexe son visiteur, avant de provoquer en lui une foule de sentiments et de sensations, mais au terme de la visite c’est bien la fascination qui prédomine. Comme le peintre français Gustave Courbet avant lui, Emmanuel Sogbadji a réussi de façon subtile à aborder une question récurrente dans l’art : celle de la frontière entre l’esthétisme et l’érotisme ou comment le sexe devient objet de création. Cette œuvre nous parle de la symbolique de la sexualité ; puisant son inspiration dans les effigies méta-sociales de la communauté Tamberma du Nord-Togo et du Nord-Ouest du Bénin, Emmanuel Sogbadji replace ici la question même du sexe au centre de la dynamique sociale, en la dénuant de tout a priori. » annonce l’Institut Français de Lomé qui accueille cette exposition
Ces phallus géants multicolores qui ont été travaillés pendant 5 ans, installés, prennent l’allure de cités infranchissables comme des tours architecturales. La disposition est un clin à la Tour phallique de Londres « Le Shard » de Renzo Piano. Disposées dans un espace de 100 mètres carrés, un lieu inhabituel pour les expositions, les structures peuvent être visitées du 5 au 27 mai au 2eme étage de la librairie Star.
Emmanuel, Sogbadji est un peintre – sculpteur qui sonde les pensées, fait des radiographies du corps humain, remonte à l’origine du monde. Il débute avec le maître Paul Ahyi. Il est diplômé de l’Ecole des Beaux- Arts d’Abidjan. Il approfondit ses recherches à l’Ecole Régionale des Beaux de Saint-Etienne en France et Pietra Santa en Italie. Il rentre à Lomé en 2000, enseigne au Togo et au Bénin. Il a exposé aux USA, Canada, en France, Italie, Côte d’Ivoire, Bénin.
Crédit Photo: Eric Wonanu dit Cham
Gaëtan Noussouglo © Togocultures
[1] Philippe Aubert de Molay et Yves Ragaldi, Tamberma, Editions Souffles court, 2013, page 26