Ayant comme modèle initial le théâtre du boulevard anglais[1], le concert-party a vu le jour au Ghana dans les années 1910. Les comédiens togolais ont été initiés au concert party au Ghana en jouant dans les concert-bands, les troupes consacrées à la pratique de cet art dramatique. D’inspiration ghanéenne, le concert-party est devenu un fleuron de la culture nationale du Togo. Il s’agit d’un théâtre dont le jeu est basé sur le comique, la bouffonnerie, le pathétique et la satire. Les femmes n’y jouent pas. Ses sujets de prédilection sont centrés sur les problèmes de la vie domestique et de l’urbanisation des ruraux. Les comédiens recourent au maquillage en s’enduisant le visage d’un fard blanc ou noir. Les deux couleurs sont parfois combinées. C’est une convention du genre qui montre les personnages comme des clowns habillés souvent de haillons ou d’habits grotesques.[2]
Alain Ricard, témoigne au sujet de la richesse du concert-party au Togo :« Dans les années 70, j’ai fréquenté plusieurs années les concert-party togolais, des pièces de trois heures jouées en éwé. J’ai fait deux films sur ces spectacles et j’ai ainsi beaucoup appris (…), le sens de la tradition, en somme l’oralité dans sa dimension urbaine et contemporaine. »[3]
Le contenu de la pièce théâtrale
Un accident dramatique de la circulation s’est produit la nuit sur le Grand Pont qui traverse la capitale. Le bilan est lourd : 15 morts et 3 blessés graves. Maître A, éminent entrepreneur de pompes funèbres se précipite dans les locaux de la Clinique du Salut que dirige Docteur Ad Patres, clinique où les corps ont été transportés ainsi que les blessés. Au même moment, Papa Suarez, un autre entrepreneur de pompes funèbres demande à son collaborateur Ismaël Manga d’aller ravir le marché. Les prévisions se révèlent difficiles, tant les situations intrigantes et les coups bas se multiplient. Les intérêts divisent donc les hommes.
Hubert Madôhona AROUNA met en scène la démarche marketing nécessaire dans toute entreprise qui cherche à faire du profit à l’instar de celles des pompes funèbres, mais avec cette particularité que les pompes funèbres dans ce contexte africain, se sont constituées comme des entreprises cyniques aux ramifications médicales qui n’hésitent pas à tuer les patients plutôt que de les soigner et les aider à vivre ; tout cela aux fins de « dribbler la concurrence » dans la recherche de marchés juteux permettant de « juguler la période d’hyènes maigres ». De ce point de vue, la pièce théâtrale Larmes de crocodile et sourires de croque-mort décrypte la réalité des entreprises des pompes funèbres qui n’arrêtent de proliférer en Afrique et principalement au Togo, à la faveur des actuelles difficultés économiques. L’œuvre de Hubert Madôhona AROUNA s’en prend aux pratiques et attitudes indécentes des « requins des pompes funèbres » dont les folles activités connaissent la plus grande des prospérités, tant leur matière première est certaine. [4]
Le concert-party comme source d’inspiration de la pièce théâtrale
Larmes de crocodile et sourires de croque-mort de Hubert Madôhona AROUNA est un savant dosage de théâtre de recherche et de théâtre populaire. Il convient de rappeler que notre étude qui traite exclusivement du théâtre populaire en l’occurrence le concert-party ne peut évoquer l’évidence de l’aspect moderne, contemporain et recherché de la dramaturgie utilisée dans la pièce théâtrale.
A la lecture tout comme à la représentation théâtrale de l’œuvre d’AROUNA, nous remarquons que le concert-party y est présent à travers la bouffonnerie, le comique, le pathétique et l’esprit satirique voire subversif.
Le concert party, ce type de théâtre dit « populaire » s’oppose au théâtre moderne ou contemporain qui a pour toile de fond un véritable travail de recherche. La recherche est menée sur les formes populaires et traditionnelles en vue d’en dégager les éléments de théâtralité et de mettre à la disposition des créateurs, l’information nécessaire sur ces formes. Antonin Artaud avait déclaré en 1932 : « Nous comptons faire entrer la nature entière dans le théâtre, tel que nous voulons le réaliser. Pour vaste que soit ce programme, il ne dépasse pas le théâtre lui-même, qui nous paraît s’identifier pour tout dire avec les forces de l’ancienne magie. »[5] Avec la publication de sa pièce théâtrale Larmes de crocodile et sourires de croque-mort , Hubert Madôhona AROUNA ne fait que commencer la mise en forme (j’allais dire « la mise en scène″) du « rêve artaudien ».
Par Adama Ayikoué© Togocultures
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[1] BAME Kwabena N., Come to laugh. A study of African Traditional Theatre in Ghana, Legon, Institute of African Studies, University of Ghana, 1981.
[2] APEDO-AMAH Ayayi Togoata, « La dramatisation festive du théâtre populaire togolais : concert party, cantata, albéra », Revue Notre Librairie, Littérature togolaise, N° 131, Juillet-Septembre 1997.
[3] RICARD Alain, universitaire, spécialiste du théâtre en Afrique, directeur de recherches au CNRS, « L’oralité dans sa dimension urbaine et contemporaine » in « Retour d’Afrique », Revue Notre Librairie n° 162, p. 155.
[4] NOUSSOUGLO Sewonou Kodjo Cyriaque, articles publiés sur le site www.togocultures.com
[5] ARTAUD Antonin, cité dans Encyclopédie Du Monde Actuel (EDMA), Les Idées du XX ème Siècle (Théories – Recherches – Hypothèses – Critiques – Influences), Collection dirigée par Charles-Henri FAVROL, Le Livre de Poche, Paris, 1978, p. 216.