Au lendemain de la polémique entourant Epé Ekpé, Togocultures a voulu en savoir plus sur cette fête traditionnelle des Lacs, vieille de plus 350 ans. Qu’est-ce que la fête traditionnelle Epé Ekpé ? Quelle est son origine ? Quels sont les prêtres qui officient les cérémonies ? Comment elle fonctionne ? Qu’est-ce que l’appel aux morts ? Togocultures vous propose un article du site peuple ge qui parle largement des cérémonies Epé Ekpé.
EPE EKPE
Nos Ancêtres Guins ou Gês, originaires d’Accra au Ghana, avaient conçu ce système de fête nationale pendant leur exode vers la côte du Bénin en l’honneur de leur Roi, pour marquer en même temps la fin du cycle de l’année. Depuis l’immigration des Gês dans la seconde moitié du 17ème siècle, exactement en Septembre 1662, conduits par les Princes Tugban : FOLIBEBE, FOLI-HEMAZRO, AMA KPASSAM et ASHIONGBON et la fondation de leur Capitale à Glidji, cette fête est célébrée chaque année dans tous les pays
Gês ou Mina.
C’est à Glidji Kpodji, la cité sacrée des Gês que cette fête débute chaque année, au courant du treizième mois lunaire. Elle ne prit l’importance qu’on lui connait aujourd’hui qu’en 1680 quand un second groupe de réfugiés atteint Glidji amenant avec lui des attributs royaux qui venaient compléter ceux déjà amenés par les Princes Tugban (les « Vodu” et la Pierre Sacrée) qui sont encore actuellement installés à Glidji Kpodji. Mais quelques années plus tard, l’insécurité persistant, les Gês de Glidji prirent la décision de cacher le Siège Royal à Zowla.
ÉVOLUTION
Les prêtres de SAKUMA, de KOLE et de LAKPA appelés “WULOMO” se réunissent à Glidji Kpodji au mois de Juillet, à huis clos pour faire une cérémonie appellée “Nma dumo” (semeuse de maïs) . Cette cérémonie a lieu dès qu’on aperçoit la nouvelle lune pour la première fois en Juillet. Après cette cérémonie, les prêtres s’imposent l’abstinence de tamtam, de funérailles, abstinence très rigide observée par les membres du clan de Sakuma, Kolé, Lakpa, Djobu, Nyigblen, Mama Chawoé, Mama Nyagan (Yadoudou), Kpessou etc… Le »Wulomo » de Lakpa est responsable de l’annoncer aux autres Huno et aux fidèles. (ceci n’est pas encore public, seuls les Huno et fidèles de Sakuma, Kolé, Lakpa etc sont informés).
Deux à trois semaines après, le Roi de Glidji annonce les mêmes observations, non seulement pour Glidjiville, mais pour tout le pays gê. Après l’annonce, les funérailles n’ont plus lieu, les tamtams et coups de fusils ou de canons ne doivent plus se faire entendre, les familles éprouvées par le deuil ne doivent ni pleurer ni paraître tristes. En ces moments les condoléances s’expriment en ces termes : « do de mu léo« . (pas de travail), ce qui veut dire: pas de tristesses ou de traces de célébrations funéraires.
Si quelqu’un meurt dans la famille des fidèles des dieux cités plus haut, on dit : « éyi wlome« , ce qui veut dire qu’il est parti dans l’invisible, dans le cosmos ou univers. Cette prohibition de taper sur le tamtam dure jusqu’au dernier quartier du 13ème mois lunaire en Septembre. Les prêtres de Sakuma, de Kolé et de Lakpa se réunissent à Aného au quartier Dégbénu Kpota dès le premier jeudi de la nouvelle Lune du 12ème mois (quelque fois au mois d’Août/Septembre) pour fixer la date de la cérémonie d’EPE EKPE (fonction de deux années indigènes, celle qui finit et la nouvelle qui commence). La fête elle-même s’appelle EPE EKPE et non YEKE YEKE comme quelques-uns ont l’habitude de l’appeler. C’est le couscous qui s’appelle « yêke yêke » et non la fête qui est plutôt nationale et traditionnelle.
CEREMONIES RITUELLES
Au cours des derniers jours de la 13ème lune, les Gês exécutent une suite de cérémonies dénommées : « Motata ou Kpéssosso, ce qui signifie, préparation ou réparation des routes ou pistes ou la prise de la Pierre Sacrée à Glidji Kpodji ou encore consultation des oracles. Ces cérémonies commencent le Jeudi dans l’aprésmidi et se déroulent sur quatre jours. Les Gês se rendent en foule aux temples des dieux « GE-VODU » : Gbugblen (Nyigblen), Kpessou, Agbami, Klan, Chawoe, Kolé et principalement SAKUMA (dieu de la guerre et des forgerons dont on détient, en l’invoquant, la prophétie de se que sera l’année qui va commencer. Les consultations déterminent la couleur de la pierre qui servira à la célébration.
Après l’invocation, le prêtre de Kolé, entouré de ses « Hunowo » présente aux spectateurs venus de tous les coins du pays et même de l’étranger, une pierre (non ordinaire) dont la couleur explique le présage obtenu. La pierre blanche présage une année heureuse, une pierre noire est par contre le signe de deuil. La pierre rouge et la pierre bleue avertissent d’un danger qui peut se porter soit sur les hommes soit sur leurs activités (récoltes, pêches etc.). Le vert est la couleur de l’espoir et la pierre jaune annonce une année de bonne santé pour les vieux.
On joue des tamtams, on danse pour la première fois depuis la prohibition en Juillet. Le Roi de Glidji ainsi que les principaux Chefs Traditionnels d’Aného, d’Agoué, d’Agbodrafo, etc., envoient leurs délégations conduites par leurs porte sceptres avec des dons aux divers prêtres à Glidji Kpodji. La danse exécutée à cette période s’appelle : « Sidudu » ou « Oshie » en langue d’Accra.
NUALI YOYO ou Appel des morts
C’est en quelque sorte la Toussaint des chrétiens, Cette cérémonie se fait le lendemain (Vendredi) de la manière suivante. Vers 9 heures du soir un tam-tam spécial de guerre appelé « AKLEMA« ou « AMETHAHUN » retentit brusquement au Palais Royal à Glidji (Ahuégamé). A cet écho, tous les quartiers d’abord et ensuite tous les villages environnants s’acclament par bruits, chants, tam-tams divers jusqu ‘à l’heure voulue, car depuis un mois et demi, il y a eu interdiction totale de jouer au tamtam. De nos jours, les modifications suivantes ont été apportées aux cérémonies de « Nualiyogbe« : le matin une messe de Requiem est demandée par le Roi de Glidji à laquelle toute la population assiste dans l’église St Christophe à Glidji à partir de 8 heures. Vers 3 heures de l’après-midi toute la population, hommes, femmes et jeunes gens se rassemblent sur la place publique de « Huntigome » avec bougies allumées en main. A 4 heures précises, la population se range en procession avec les chefs de quartier, les notables, hommes et femmes, en tête et se dirigent lentement avec un sérieux recueillement, sans bruits, dans une sorte de prière silencieuse vers les trois emplacements de cimetière (protestant, païen et catholique) et y dépose près des tombeaux de leurs parents les lumières qu’elle apporte en guise de pieux souvenir qu’elle porte, en ce moment, de renouvellement de l’an, pour eux dans l’au-delà. Il est à noter ces tombeaux sont auparavant nettoyés et décorés des fleurs par leurs parents… Cette modification est introduite par Fio AGBANO II, le roi de Glidji pour s’adapter aux circonstances actuelles, où l’on n’enterre plus les morts dans les cases comme cela se faisait avant son intronisation en Mai 1929.
Dans la maison royale à Glidji, la cérémonie de Nualiyoyo se fait de la manière suivante: le matin les sièges des rois défunts sont badigeonnés de craie; on lave la percale qui recouvre les trônes, on balaye et lave le « Yohome ». On prend de la vase du lac pour badigeonner le sol. Le soir on allume une lumière dans la grande cour du Palais royal avec du bois d’Atite (arbre qui se trouve dans la cour même du Palais) et qui est légendaire.
NUHEHLE
Émiettement d’aliment qui se fait le samedi. On égorge en honneur des morts, boucs, moutons, poulets, voire même des bœufs.
Le jour le « Nuhehle » vers 7 heures du matin le Roi de Glidji entouré Tassino (tantes), des princesses, princes et leurs membres de famille font une petite procession de la maison royale à Ahuegame en émiettant « Ablofoto » (pair de maïs mélangé de l’huile de palme ». Dans la cour sont attachés à l’arbre des boucs et un bœuf. Le Roi prie sur la tombe de ses ancêtres; il évoque les malheurs arrivés à la famille et demande le pardon des péchés. Il demande également du bienêtre pour l’État, la pluie pour les champs et la bonne récolte. Des demandes individuelles des membres du clan sont confiées au Roi qui ne les oublie pas pendant ses invocations. Ensuite les tantes répètent les mêmes rites . . . Et on emmène les boucs et le Roi parle dans leur oreille gauche en leur demandant d’emporter ses péchés personnels et ceux de l’Etat. Et puis le sacrificateur, désigné après les cérémonies rituelles nécessaires, les tue et verse un peu de leur sang dans la tombe et non sur les sièges. Pendant ce temps, le Roi se retire à l’antichambre pour faire des prières en secret.
Après quelques pas de danse au son d’ »Atopani » à la cour, on dépèce les boucs et le bœuf tués, pour préparer de la sauce. On prépare du « Yèkèyèkè » (sorte de couscous de maïs). Quand les mets sont prêts, le Roi, les tantes et les membres de la famille refont les mêmes cérémonies dans le « Yohome » à Ahuegame. On émiette ces mets par terre et ensuite on donne à manger à tout le monde présent, d’où le nom de « Yakawokae », car un étranger peut aussi bien en manger sans payer. Ce jour est le moment de réconciliation des membres et amis de familles en querelles. Les ennemis se réconcilient et mangent ensemble.
Dans l’après-midi, le Roi invite tous les chefs guerriers, notables, chefs de quartier et leur distribue des mets, des boissons et de l’argent et tout le monde rassemblé à Ahouegame prend part au repas commun : « Yake Yake ». Les tamtams de guerre « Gbekon » et « Atopani » mêlés du son de l’orchestre d’ »Akofe » d’Assiongbon Dadje battant son cours, chacun est invité à danser suivant le rythme du tamtam choisi par luimême jusqu’à la tombée de la nuit. L ‘ ancienne année finit le samedi : « Nuhlegbe« .
NLOWOANAGBE = Jour de bons souhaits qui est le dimanche : jour de nouvel an indigène. L’année nouvelle commence ce jour- là. Vers l’aube, on pleure les morts. Ce geste est en souvenir des parents et amis qui durant l’année qui vient de s’écouler, ne sont plus en vie pour fêter l’EPE EKPE avec les vivants aujourd’hui. Après cette cérémonie, on se promène par petits groupes dans les concessions pour formuler des souhaits en ces termes : Nlowoa, Nlowoa (qui signifie prends ou reprends vie) Ewla miwla, Afi nakpê, Fikpê Nana, Akpê bobobo. Evo ê ne to dji, Enyoê né va anyigban. Téti né no agbé ne téka ne vu do énti ….. Mia yo Ako bé Ako. Dévio do Akpé, miatschan mido. Nuké mikpo Epé déa méa Mim’gba kpo yéké Epé kéa méo. Les ennemis mêmes se réconcilient et s’entendent avec ces bons souhaits réciproquement ce jourlà. Car ce jour de NLOWOA est saint. Ce dimanche ont lieu diverses réjouissances à la maison royale et sur les places publiques. Le Roi sort en procession. Il fait des dons en espèces aux divers groupements qui viennent l’amuser avec leur tamtams ou autres musiques. Il organise des banquets pour les invités de marque de son royaume.
Dans le cadre d’adaptation avec les circonstances actuelles, Fio AGBANO II a institué qu’un service religieux soit célébré dans chaque église ou temple pour remercier le Créateur de son don de vie qui nous a si gracieusement préservé jusqu’à ce jour de nouvel an.
Le lundi d’EPE EKPE s’appelle « AMLOKUVIGBE » (c’est le jour de la semence dans la petite saison de l’année). Ceux qui n’ont pas pu se rendre visite le dimanche, le font maintenant en souhaitant NLOWOA à tout le monde. C’est le jour des enfants. Les enfants par groupement rendent visite de maison en maison pour apporter aux habitants leurs vœux de bonheur et de longue vie par NLOWOA. On leur donne des cadeaux divers (gâteaux ou pièce de monnaies). Les réjouissances continuent.
Le mardi d’EPE EKPE s’appelle VODUDOHOGBE ou SIDUGBE à Glidji, tandis que le dieu LAKPA sort du quartier Ela à Aného ce même jour pour la première fois. A Glidji Kpodji on clôture les cérémonies. Tous les principaux Chefs de la côte envoient leurs récadères assister à la clôture, comme ils les ont envoyé à l’ouverture des cérémonies. En ce moment on danse sur la place publique au quartier Ela à ANEHO.
Le mercredi, la danse continue au même endroit (quartier Ela) et ce jour- là, le chef féticheur de Lakpa, c’est à dire : WULOMO, sort avec le Dieu pour assister aux cérémonies de danse de ses fidèles.
Le jeudi est le jour de la rentrée du dieu Lakpa dans son temple pour ne plus en sortir qu’à la fête prochaine. Avec ce jour, la fête principale d’EPE-EKPE est terminée. Néanmoins les principaux chefs de familles font leur banquet continuellement. Dès lors, quand il y a un décès, on peut pleurer, mais sans tirer des coups de fusil ou de canon. La prohibition de coups de canon ou fusil finit à la nouvelle lune de Décembre seulement le premier mardi. On dit alors que les dieux retournent à la mer. VODU DJ’APU.
Les générations successives font de l’ensemble de ces manifestations traditionnelles une coutume sacrée que nous continuons aujourd’hui par le respect dû à nos ancêtres.
Source : Peuple-ge
Crédit Photo: Gaëtan Noussouglo