Le 20 mars 2010, la Médiathèque de Montbéliard fermera ses portes sur l’exposition « Pleins feux sur le Togo – Regards croisés ». Ce rendez-vous a nourri les objectifs posés grâce à la spécificité des différents acteurs du panel. Et parmi eux, Anne Marie Djondo – Oberlé tient une place toute particulière : elle est celle qui le mieux reflète le prolongement du thème de l’expo. Son regard croisé est riche, varié, multiple, coloré, fondamentalement émotionnel. Et surtout, cela se sent, elle s’est projetée dans l’événement avec ses tripes, ses engagements, sa passion et plus que tout ça, elle a vécu le rendez-vous avec son être entier…
Le travail d’Anne Marie Djondo-Oberlé est composé de toiles, de photos, d’expositions de perles, d’objets de la vie quotidienne : un savant montage de pièces rares, de kamishibai, et de textes à la fois explicatifs et descriptifs. Rien qu’avec sa gestion de l’espace à travers l’exposition on sent l’installation. Une performance qui à elle seule suffit à avoir un regard nourri – comique, humoristique et critique – sur le quotidien des gens d’un quartier de Lomé. Ses toiles et ses tableaux représentent dans l’ensemble un Togo cosmopolite et multicolore. Elle nous raconte ce Togo avec un double regard : celui d’enfant qui adore les histoires (« Tapis de l’origine des contes », « Ma adidoti ») et celui d’adulte avec ses choix de vie.
Cette Loméenne d’origine alsacienne adore les histoires, et les histoires du Togo l’ont particulièrement envoûtée. Les tableaux d’ Anne Marie Djondo-Oberlé séduisent par des couleurs éblouissantes qui donnent la vraie lumière des tropiques. La thématique est tout aussi riche que variée : la publicité qui témoigne de la vitalité du peuple togolais à aspirer au bien-être, l’iconographie liée aux enseignes, la vie quotidienne de la femme multi-tâches, le quotidien rythmé par la musique redondante des bars lors des fêtes et enfin les termitières.
A travers trois toiles, 6 panneaux recto verso et le tapis de l’origine des contes Anne Marie Djondo-Oberlé nous plonge dans les beautés et les splendeurs du Togo. Si le Togo m’était conté, il distillerait le conte au regard d’un voyage imaginaire d’un couple franco-togolais. Le conte naît au Togo, il prend sa source dans la cascade d’Akloa. « Carte de l’origine des contes » La carte togolaise sert de prétexte à la toile pour raconter une belle histoire d’amour d’un pays immergé dans le récit imaginaire. Les lieux deviennent nomades, les villes se déplacent, les distances et la topographie sont assujetties à l’émotion et échappent à l’exactitude sèche de l’échelle et de la norme de la cartographie du Togo. « Des figures du conte apparaissent ; un lièvre tient une lanterne à bout de bras éclairant la lettre «ɣ (lettre Evhé prononcé ghe – palatal continu g), et la tortue poursuit son ascension vers le ciel dans lequel flottent deux personnages, au dessus d’une ville, l’allusion à Chagall n’est pas bien loin…Vitebsk rejoint Lomé. Le conteur et son amoureuse sont en tenue d’apparat tous les deux voguent dans une nuit céleste et étoilée. Le silence les entoure, le temps est suspendu à leur sourire. » raconte fièrement Anne Marie Djondo-Oberlé.
De l’enfance à la découverte du Togo
Les contes, les légendes, l’histoire, elle les adore tout enfant. Elevée par ses grands-parents, la petite Anne-Marie a trouvé une façon de se parler à elle-même et de se raconter des histoires. Elle s’approprie ainsi le monde, se le représente. Une façon pour elle de se rassurer ! La peinture, les dessins nourrissent son univers. Elle est aussi fascinée par l’Afrique, ce continent vaste, immense, protéiforme. Dans sa « petite tête d’enfant l’Afrique se construisait comme un royaume coloré, dont j’étais amoureuse en secret parce que mon père, lui, avait donné trente années de sa vie, les plus belles. » nous confie-t-elle. Une fois adulte, elle a eu à connaître d’abord les Antilles puis la Côte d’Ivoire. Et depuis 2001, elle fait des aller- retour entre la France et le Togo, avec sa famille. Elle a échangé avec plusieurs personnes, formé en arts plastiques des enseignants au Village d’enfants SOS et des jeunes respectivement pendant le Festival-ateliers Filbleu en 2006 et lors des vacances utiles avec Rogo Fiangor.
Elle s’intègre à la réalité togolaise puisqu’elle est aussi togolaise par son mariage. Anne Marie Djondo- Oberlé est une mère pleine de vie, sympathique et qui a continué à adorer les histoires. Cette femme plasticienne et professeur d’arts plastiques présente ses rapports dits et non dits sur le Togo sur plusieurs plans.
Sur le plan humain, elle partage les traditions avec cette terre, on pourra apercevoir les liens religieux, surtout l’animisme et le rapport au christianisme à travers la peinture de son mari Marcel Kodjovi Djondo peint en figure de christ avec des accessoires de comédien : « T.Here ».
Sur le plan politique, elle pense que les Togolais sont très discrets et font preuve de beaucoup d’humour par rapport à leurs situations : « il en sort quelque chose de tragique, fort, cocasse et très désespéré. Les Togolais se font un plaisir de ne pas froisser la personne qui les accueille. C’est un peuple paisible à l’humour exceptionnel ».
Des rencontres très fortes ont aiguisé le regard de cette européenne qui partage un destin avec une famille africaine. Il s’en dégage une prise de conscience sur les réalités du continent salutaire et douloureuse. « Le quotidien est dur à Lomé, et les Loméens le vivent en faisant face de leur mieux pour survivre dans une ville à la croissance exponentielle. C’est tout un peuple qui ne cesse de se battre pour que le quotidien soit possible. » Elle cristallise son regard sur la vie quotidienne des femmes en tant que mère et féministe « Je trouve que je suis sensible à la condition de la femme, au Togo les femmes fournissent un travail considérable surtout en ce qui concerne l’eau, le rapport à l’énergie. Elles sont polyvalentes dans leur travail, ça force mon admiration. L’eau, les soins aux enfants, la maison, les voisins, le petit commerce. !»
Ce qui est très surprenant dans ses photos est ce regard porté sur les termitières. Les termites représentent la victoire de tout ce qui est petit ou considéré comme nuisible dans le micro système « les termites sont capables de fournir des cathédrales avec des matériaux ingrats ». Anne-Marie reste très attachée au Togo, partant à la terre africaine en tant que matériaux. Marcher pieds nus sur la terre nourricière et douce est capitale car elle permet d’être en symbiose avec soi et l’univers.
La densité du travail
Le travail d’Anne-Marie est dense, surprenant et magnifique. Son regard est très lucide sur la réalité togolaise. En tant que professeur d’arts plastiques, le travail l’amène à renouer avec l’enfant qu’elle était et l’adulte qu’elle est devenue. Et ce travail là commence avec « Ma Aditoti », le baobab qui est le symbole de l’arbre à palabres enfants et adultes écoutent les histoires racontées par le grand père, la grand’mère ou le griot. Les personnages se dessinent en filigrane dans ce tableau. Ce passionnant récit de la vie croise les contes de Véronique Roussy, Taxi-brousse. Anne-Marie Djondo a réalisé le décor de ce spectacle.
Elle représente à elle-même presque la moitié du travail qui a été abattu ces six semaines pour faire connaître le Togo. Un travail très pédagogique qu’elle illustre d’ailleurs par l’exposition des livres pédagogiques qui ont nourri l’enfance de la plupart des Togolais. On y trouve Mamadou et Binéta ou Abalo et Afi, dictionnaire Ewé et autres. Et puis cette fascination pour les perles nouées autour de la taille des femmes reste prégnante de la douceur et de la beauté des Togolaises. « Les colliers de hanches : parures. C’est très beau. Ca n’existe pas ici. » Dans les vitrines, on trouve la merveilleuse collection personnelle de Anne-Marie.
Anne-Marie Djondo – Oberlé peint à l’huile, à l’acrylique, utilise la technique du collage et de l’assemblage. Et pour chaque cadre de ses tableaux, elle a mis des timbres en rapports avec la thématique choisie. Ces belles toiles, sa collection et ses photos invitent au voyage vers l’Afrique, au Togo de son coeur.
Gaëtan Noussouglo© Togocultures