Kangni Alem sur le plateau de Télévision Togolaise Photo: Gaëtan Noussouglo

Les écrivains et la question de l’écriture en langue nationale

Kangni Alem sur le plateau de Télévision Togolaise Photo: Gaëtan Noussouglo
Kangni Alem sur le plateau de Télévision Togolaise Photo: Gaëtan Noussouglo

Quelle est la place de la littérature dans les langues nationales ? Les écrivains togolais doivent-ils écrire dans les langues nationales ? Que faire de nos langues nationales et comment créer leur développement ? Voici quelques questionnements que suscitent le thème «Les écrivains et la question de l’écriture en langue nationale» lors de la mensuelle rencontre de l’association Plumes Fraîches le 15 juin dernier à l’Espace culturel Filbleu, sis à Adidogomé. Cette association rassemble de jeunes auteurs togolais, édités ou non, qui se réunissent autour des sujets brûlants de l’actualité littéraire et théâtrale togolaises. Elle est dirigée par le dramaturge Jean Kantchébé.

Le mode opératoire de ces rencontres sans frais est d’une simplicité déconcertante. Il est seulement demandé à une personnalité du monde des lettres, parfois membre de l’association, de venir donner une conférence sur un thème de son choix ayant rapport, bien entendu, avec le destin des lettres et du théâtre au Togo. De ces échanges, parfois vifs, souvent très constructifs, naissent des idées pour faire avancer le sort des lettres au Togo. Il s’agit de petits pas dans l’histoire des lettres au Togo qui valent tout leur pesant d’or.

Le 15 juin dernier, l’écrivain et universitaire Kangni Alem, l’invité de cette rencontre, est revenu sur un sujet d’un grand intérêt mais rébarbatif, assez ennuyeux pour les écrivains francophones : «Les écrivains et la question de l’écriture en langue nationale». A cette question une pluralité de réponse et de multiples attitudes qui aboutissent à une certaine vacuité. Ecrire étant d’abord une question de maîtrise de la langue, demander à des écrivains francophones de faire des livres dans des langues nationales qu’ils ne maîtrisent pas n’a tout simplement pas de sens. Et quand on écrit déjà dans une langue nationale, il va falloir avoir en perspective tous les éléments pratiques de la chaîne du livre pour cet écrit ne soit tout simplement pas vain. Beaucoup de jeunes auteurs présents d’ailleurs à la rencontre, à l’occurrence Basile Ywanke, Jean Kantchébé, Kokou Dzifa Galley, ont fait part de l’impossibilité de la tâche.

Ecrire est déjà trop difficile, le faire dans une langue, fût la sienne propre mais qu’on ne maîtrise, cela relève de la torture morale. Le sujet n’est pas nouveau. Certains écrivains se sont essayés à écrire dans les langues nationales, sans succès cependant. Si la sénégalaise Ken Bugul s’interdit d’écrire en wolof, ce n’est pas le cas de Boubacar Boris Diop. Dieu seul sait le destin réservé à cette démarche. Alain Mabanckou a d’ailleurs raillé le sujet. Kangni Alem refuse de faire ce débat et préfère recadrer son sujet.Pour le conseiller culturel du chef de l’Etat, la question doit être plutôt celleci : comment créer une tradition littéraire dans nos langues nationales ? Grosso modo, il n’y a pas une littérature ewé, mina, kabyè, tem, moba, etc… ou en tout cas, si elle existe, elle est orale et ses frontières se réduisent juste à la littérature orale si tant est qu’on peut considérer, sans hygiène de mot, cette dernière comme faisant partie du domaine de définition du mot «Littérature». Nos «mauvais contes «africains, souvent anonymes, ne peuvent réellement être considérés comme faisant partie du domaine littéraire.

 Enseigner les langues nationales à la maternelle

Pour l’auteur d’Esclaves, pour créer une tradition littéraire dans nos langues nationales, il faut commencer par traduire les classiques. Shakespeare, par exemple. Entre autres anecdotes, il part de l’exemple de sa mère qui vient de commencer à lire la bible en éwé après avoir suivi des cours d’alphabétisation.

Cette dernière qui ne peut lire les romans de l’écrivain parce qu’écrits en français demande à son fils pourquoi on ne les traduit pas en Ewé. Or, il y a au moins 5 voir 6 millions de locuteurs Ewés, situés à cheval sur une zone englobant le Ghana, le Togo et le Bénin, dont des centaines de milliers de lecteurs de la bible. Imaginer Hamlet en éwé ou kabyè ? Imaginer le coup de pouce qu’on pourrait donner au théâtre togolais moribond en en jouant Hamlet dans une de nos langues nationales ? Comme de coutume, le conseiller du chef de l’Etat est allé puiser dans les expériences des pays anglophones d’Afrique, à l’instar de la Tanzanie, du Ghana, de l’Afrique du Sud ou du Nigéria, pays dans lesquels il y a une forte tradition littéraire en langues nationales, œuvre des missionnaires chrétiens anglais et allemands. Il a donné en exemple les travaux du Prix Nobel Wole Soyinka au Nigeria, celui très remarquable de Julius Nyerere en Tanzanie. L’ex- président tanzanien ayant été traducteur lui-même de Shakespeare en Swahili, amenant les écrivains tanzaniens à écrire d’abord dans leur langue avant d’être traduits en anglais.

De nombreux romans Sud-Africains sont d’abord écrits dans les langues nationales avant leur traduction en anglais ou français. Le premier roman d’un auteur Sud-Africain, le fameux Chaka de…, a été traduit du Sotho en anglais. En ce sens, Kangni Alem invite l’association Plumes Fraîches a réfléchir sur le sujet. Pour l’enseignant et écrivain Gnim Atakpama, créer une tradition littéraire dans les langues nationales, revient à concevoir un une tradition à la base en traduisant les BD dans les langues nationales. Une option qui passe nécessairement par l’enseignement des langues nationales à partir de la maternelle. Il a donné en ce sens, la traduction d’une de ces oeuvres en kabyè. Des enfants sachant lire et écrire dès la base dans leurs langues nationales peuvent constituer demain cette génération d’auteurs.

Reste tout de même la question éminemment politique de l’enseignement des langues nationales à l’école. Pour Kangni Alem, si dans les années 1970, il y eut un ministre et des experts de l’éducation qui ont posé ce problème et démarré cette politique qui a connu une mauvaise fortune, il ne faut pas désespérer que demain un haut fonctionnaire hors du commun remette encore le sujet sur le tapis, mûrement réfléchie cette fois. Donc acte.

 

Source : L’Union N° 507 du 19 juin 2012

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