Togo: Théâtre -La République des slips pour une société en crise !

Le théâtre est le lieu propice pour parler politique, voici pourquoi il y a très peu de salles de spectacle dans nos villes. Mais ce n’est pas une raison pour les créateurs d’abandonner.

Comme l’auteur de cet article, le public a quitté les salles de théâtre depuis quelques années. Les raisons de cette désaffection s’expliquent par l’imitation presque servile du théâtre occidental par les auteurs et dramaturges, la production de spectacles éloignés des préoccupations des quotidiens des populations d’un pays qui traverse gravement une crise sociopolitique depuis le début des années 1990. On peut ajouter à ces raisons, la presque inexistence des salles : deux centres culturels étrangers (le Goethe Institut et l’Institut Français) situés dans des quartiers commerciaux et donc vides les soirs, et trois ou quatre lieux privés pour une capitale avoisinant 2 millions d’habitants. L’Institut Français vient d’ailleurs de faire fort en supprimant purement et simplement son théâtre.

C’est donc avec un ravissement certain que le public a assisté, samedi dernier au Centre Culturel Filbleu-Aréma, à la première de La République des slips, texte d’Ayayi Togoata Apedo-Amah et Charles Manian, mise en scène du jeune Amah Joël Ajavon.

Par les temps qui courent, la puissance bien sentie de la République est au-dessous de la ceinture. On devine aisément que le spectacle est une satire du capharnaüm social digne d’une République bananière : dirigeants corrompus et sans vision avec leurs cortèges de prostituées, peuples miséreux dans l’abandonnement, livrés à l’escroquerie des fourriers de Dieu (on retrouve l’anticléricalisme d’Apedo-Amah) ou à la fuite à l’étranger, des médias à la solde du pouvoir spécialisés dans la désinformation et le travestissement de l’info. Bref, pour reprendre les vers d’une chanson de Fela Kuti dans Sorrow, tears and blood, tout se disperse dans la confusion.

On note le vide, la vacuité dans le dépouillement de la scène, et la confusion générale à travers le rôle trouble des personnages, tel que ce pasteur bouffon joué par l’excellent Edem Touglo.

Le ton corrosif et la scatologie caractéristiques du texte sont bien du style d’Apedo-Amah et de Charles Manian. Eh oui ! Si vous désirez être instruit en injures en langue française, il faut chercher Apedo-Amah hein ! Il vous passera un tel savon que même un cupide négrier portugais ne voudra jamais vous acheter contre un miroir !

La mise en scène d’Ajavon emprunte quelque peu au concert-party et à Brecht, l’humour décapant adoucit le tragique de la situation. Du début à la faim, les muscles zygomatiques sont mis à l’épreuve. On s’esclaffe franchement mais à la fin, on se rend compte que c’est le destin de sa propre société qui est ainsi en jeu, mis en jeu. Ce théâtre nous parle et parle de nous, de notre vécu, de notre misère crasse.

Joël Amah Ajavon monte en puissance depuis quelques années en tant que dramaturge et metteur en scène. Cette première expérience de La République des slips est positive. Certes, la mise en scène doit encore évoluer, mais il est incontestable qu’Ajavon produit un théâtre accessible au peuple. Ce n’est pas souvent le cas depuis plusieurs années.

Plus que le roman, le théâtre est la forme la plus adaptée pour parler du domaine politique. Mais trop tourné vers le théâtre classique, le genre traverse une crise profonde, faute de public.

Togoata Apedo-Amah, qui a longtemps enseigné le théâtre à l’Université, est revenu sur le sujet par un essai sur le concert-party quelque peu caduque mais dont on peut s’inspirer pour attirer les masses.

Le désarroi que vit la société togolaise après plus de 25 ans d’errance parfois chaotique du processus démocratique, les jacqueries vaines dans les zones rurales pour déjouer un pouvoir oppresseur aveugle, le désintérêt des populations épuisées de la chose politique, ont besoin d’un terrain d’expression. Une convocation sur scène est impérieuse. Et nul meilleur lieu pour oser ces transformations de la scène politique.

Dramaturges et metteurs en scène peuvent s’inspirer de l’exemple des Nigérians, à l’instar de Fela Kuti, diplômé en Angleterre, qui à son retour au pays, a plutôt produit une musique mangée à la sauce de la tradition.

La République des slips sera porté sur la scène du Goethe Institut ce mercredi 9 décembre. En attendant, prenez un réel plaisir à écouter ce morceau de Fela Kuti… qui dit tout de La République des slips.

 Tony FEDA ©Togocultures

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