Polémique: Quand des écrivains censurent un écrivain au Togo !

L’effondrement des libertés fondamentales et des valeurs qui les accompagnent dans un pays, commence toujours par l’opportunisme, la complaisance et la lâcheté des élites. A.T. A.-A.

Par Ayayi Togoata APEDO-AMAH

Décidément, le Togo est un pays spécial ! En effet, au moment où les Togolais se battent pour libérer leur pays du fascisme et de l’obscurantisme, quelques zozos attardés qui pissent sur la lutte du peuple, recourent sans vergogne aux procédés scélérats de la censure avec leurs grands ciseaux de gougnafiers. Si c’était l’État RPT qui procédait de la sorte contre un écrivain, c’eût été « normal » eu égard à la nature antidémocratique du régime militaro-fasciste. Mais il s’agit d’individus qui se disent écrivains, démocrates et le proclament urbi et orbi.

Que s’est-il passé ? En février-mars 2015, le sieur Claude Assiobo Tis, rédacteur en chef de la revue de l’Association des Écrivains Togolais (AET), me sollicite pour me soumettre un questionnaire d’interview pour la revue Reflets de ladite association (dont je ne fais pas partie. Heureusement !) Le numéro 000 de cette revue avait été publié auparavant. Dès la parution du numéro 001, datée d’octobre 2015, j’ai la très désagréable surprise de constater que mon interview publiée a été censurée par les malfrats qui dirigent cette revue. Sachant que je n’aurais jamais négocié une censure avec eux, puisque j’aurais carrément interdit la publication de toute l’interview, ils ont choisi de me poignarder dans le dos comme des traîtres. Ils ont même violé la déontologie journalistique, ces apprentis journaleux. Depuis quand le journaliste se permet de modifier le texte de l’interviewé à son insu ?

Les malfrats en question sont la dame Kouméalo Anaté, présidente de l’AET, ministre de la Culture, les sieurs Claude Assiobo Tis, rédacteur de Reflets, et Dieudonné Ewomsan, vice-président de l’AET et directeur de publication de Reflets.

Quel est mon crime à leurs yeux ? Dans la dernière question de l’interview, j’ai demandé la suppression pure et simple du ministère de la Culture qui, à mes yeux, ne sert à rien. A l’époque du parti unique, il ne servait qu’à organiser le défilé du 13-janvier. Aujourd’hui, il est toujours sans budget conséquent pour l’épanouissement de la culture togolaise. Pour protéger leur chère ministricule Anaté, ses comparses Assiobo et Ewomsan, qui cultivent des mœurs courtisanesques, m’a-t-on dit, se sont transformés en petits toutous à ses pieds pour lui lécher les pompes. Quelle honte ! Vive la brosse à reluire ! Ce qu’ils oublient, c’est que je critiquais le rôle du ministère de la Culture depuis l’époque du parti unique, c’est-à-dire avant les années 1990. La critique concerne la place insignifiante que le régime accorde à la culture dans le développement du pays. A cette époque, Anaté était encore étudiante et peut en témoigner. C’est dire qu’il ne s’agit en rien d’une attaque personnelle contre la ministricule Anaté. Si je devais l’attaquer, ce n’est pas dans cette revue que je le ferais. Et je l’aurais fait sans crainte comme je l’ai toujours fait, car les dirigeants, même illégitimes, ont un devoir de reddition envers le peuple. Ils ne sont pas nos propriétaires ; le Togo est notre patrimoine commun.

Alors pourquoi cette provocation ? Après analyse, j’ai tiré la conclusion suivante. A l’époque où l’interview devait être publiée, entre mars et avril, en tenant compte du harcèlement d’Assiobo qui me talonnait pour avoir rapidement mon texte, la dame Anaté était encore ministre de la Culture. Elle a été éjectée, entre-temps, du ministère vers le mois d’août 2015. C’est dire que ma proposition de suppression du ministère de la Culture n’aurait eu aucun impact sur sa carrière ministérielle au service de la dictature, puisque le numéro 001 de Reflets n’est sorti que le 15 octobre 2015. Et quel pouvoir ai-je pour faire et défaire un gouvernement fasciste ?

L’acte de censure scélérat perpétré par le trio maléfique de myrmidons Anaté, Assiobo, Ewomsan, est un crime. Je n’eusse pas réagi que je fusse leur complice. J’interpelle tous les écrivains et artistes togolais afin que cette forfaiture ne passe pas par pertes et profits. C’est en fermant les yeux et en se taisant que l’on encourage de tels crimes. Demain ça se répètera encore et encore parce que lorsque cela s’est produit une fois, personne n’a réagi. Ces trois écrivains de la souillure se sont-ils substitués à la censure officielle en mission commandée ? Nombreux sont les écrivains et artistes que j’ai informés qui les soupçonnent d’être en mission très commandée. Il m’a même été dit que j’ai eu de la chance, car ils auraient très bien pu travestir mes propos au lieu de les couper aux ciseaux.

Aujourd’hui, au Togo, ce n’est plus l’Etat qui censure les écrivains ; au contraire, ce sont des écrivains crapuleux qui font ce sale boulot. C’est extrêmement grave ! Si les trois pieds nickelés Anaté, Assiobo et Ewomsan avaient été au pouvoir à l’époque odieuse des partis uniques fascistes, ils auraient emprisonnés Sakharov, Soljenitsyne, Yves-Emmanuel Dogbé, Huenumadji Afan, Wolé Soyinka, Ken Saro Wiwa, Ngugi Wa Thiong’o, Ahmadou Kourouma, Mongo Béti… et moi-même évidemment ! Quand des écrivains sont embrigadés pour lutter contre la liberté d’expression, il y a péril en la demeure. Cette régression historique réactionnaire nous ramène en URSS, en Albanie, en Corée du Nord, en Chine populaire des années 1950-1960 où des écrivains encartés au parti unique faisaient de la délation et dénonçaient leurs collègues écrivains qui étaient des esprits libres défenseurs de la liberté et de la démocratie. Si on recule quelques siècles en arrière, Zola, Victor Hugo, Voltaire, Diderot, Rabelais, La Boétie, Sade, Lord Byron, Shakespeare, Goethe, Dante Alighieri… n’auraient même pas fait carrière.

Le ver est dans le fruit. Le ver ronge le cœur du fruit que représente la littérature au Togo. Le défi provocateur lancé aux écrivains, artistes et intellectuels togolais est de taille. La censure aime toujours tâter le terrain avant d’agir. L’absence de réaction signifie feu vert. Dans le cas qui nous préoccupe ici, le pouvoir aura beau jeu de se défausser sur les écrivains : « Je n’y suis pour rien ; ce sont les écrivains qui censurent leurs pairs. » La dénonciation de ces caudataires de la tyrannie est une opération de salubrité publique d’autant plus indispensable que leurs maîtres ont déjà fermé deux radios privées (Radio X Solaire et Radio Légende.) qui accordaient leur antenne au public pour s’exprimer sur la politique du pays. A l’occasion de ces actes antidémocratiques et illégaux contre la liberté de presse, je n’ai entendu aucune protestation venant de ces tristes sires armés de grands ciseaux liberticides.

L’art est le terrain privilégié de la liberté. Au nom du principe inaliénable de la liberté d’expression, il est hors de question que nous laissions des aventuriers alimentaires et fascistes porter atteinte aux acquis de la lutte héroïque du peuple togolais contre l’ordre terroriste. Parmi ces acquis, l’un des plus importants est la liberté d’expression. Ces acquis doivent être défendus sans complaisance, car ils ont été conquis au prix du sang. Ce sang et ces vies perdus sont notre héritage sacré. Nous n’avons pas le droit de les banaliser. Nous devons les défendre coûte que coûte. La révolution qui mobilise l’énergie et l’espoir du peuple togolais est un humanisme, car elle a pour finalité l’être humain à travers tout ce qui peut concourir à son épanouissement. Les ennemis du peuple togolais ont pour finalité l’accumulation des biens matériels, la consommation sur le dos du peuple par tous les moyens, confortés qu’ils sont par l’impunité crapuleuse d’un pouvoir volé au peuple et les violations massives des droits de l’Homme.

Les écrivains qui jouent à ce jeu dangereux de la souillure, ont vendu leur âme au diable. Ils n’ont rien compris à la portée intellectuelle et tribunitienne de la fonction de l’écrivain et de l’artiste dans la Cité. L’acte indigne qu’ils ont posé relève du gangstérisme politique et du reniement de l’idéal artistique. C’est de l’obscurantisme et de l’inculture. Ce satané trio d’antidémocrates photophobes se comporte comme des vampires qui n’agissent que dans la noirceur des ténèbres.

Cette trahison doublée de papelardise met l’Association des Écrivains du Togo devant ses responsabilités. Les membres de ladite association ont-ils autorisé, dans leurs statuts, leurs dirigeants à pratiquer la censure pour défendre la dictature ? L’AET est-elle devenue une « aile marchante » du RPT dictatorial ? L’AET est-elle un instrument au service de l’agenda de la carrière politique des Machiavel aux petits pieds que sont le trio comique de la commedia dell’arte et du concert-party Assiobo, Ewomsan et Anaté ? Si l’écrivain au Togo ne peut plus s’exprimer librement, où allons-nous ? Demain, enchaînera-t-on nos plumes ? Ce sont là des questions auxquelles les membres de cette association, dont le but est la liberté d’expression et la liberté artistique, doivent répondre en interpelant ces trois dirigeants, des écrivains tarés, qui grenouillent dans l’ombre pour la zombification de l’écrivain togolais. C’est en s’enfermant dans un silence résigné et souvent complice que des écrivains, à travers les siècles, ont assisté, impuissants, à l’embastillement, à la torture, à la pendaison haut et court et à la fusillade des écrivains dont le discours ne plaisait pas ou faisait tache dans l’ordre du discours dominant. Les bûchers de l’Inquisition sont aussi passés par là.

Le régime militaro-fasciste qui opprime notre peuple a inventé les « élections à la togolaise », c’est-à-dire des élections frauduleusement frauduleuses, grotesques, voire sanglantes qui se sont répandues dans toute l’Afrique des dictatures. A présent, le trio génuflecteur de L’AET vient d’inaugurer la censure des écrivains par leurs pairs. Souhaitons que ce poison ne se répande pas sur le continent africain comme l’ébola. Il sera étouffé dans l’œuf si nous réagissons vivement pour isoler et condamner la canaille avant qu’il ne soit trop tard.

Je le répète, le ver est dans le fruit, il faut l’en extirper avant que tout le fruit ne pourrisse de l’intérieur.

Il fallait le dire !

Voici en intégralité l’Interview de Togoata apédo-Amah sur le Théâtre Togolais

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