Togo : Epe Ekpé : une tradition désacralisée, des joyaux transformés en immondices

La série de rites traditionnels et ancestraux qui sont sensées consolider l’unité des peuples Guins du Togo, Epé Ekpé, volent en éclats par des scènes de violence depuis quelques années. Cette fête historique des Guins ou Guês, l’une des plus anciennes en Afrique de l’ouest, date de 1662. Après leur exode du Ghana, ce peuple s’est installé dans les Lacs au Togo en 1663. Durant ces rites, la nouvelle orientation de l’année est donnée par la prise de la pierre sacrée (Kpéssosso) à Gbatomé à Glidji –Kpodji, la cité sacrée des Gês.

Les cérémonies du peuple Guin d'Aného Photo Gaëtan Noussouglo
Les cérémonies du peuple Guin d’Aného Photo Gaëtan Noussouglo

En septembre 2015, les Gês croyaient avoir franchi le rubicond par la prise de la pierre bleue ciel, couleur selon certains, du parti au pouvoir. Pour éviter les troubles, la décision a été prise de prendre la pierre, sans tambours ni trompette, donc en conclave, le prêtre Nii Mantché, accusé de tous les maux, étant au préalable démis de ses fonctions. Rien n’y fait. Les deux clans qui s’affrontent chaque année désacralisent définitivement la cérémonie en prenant chacun une pierre : blanc sale le matin et blanc l’après-midi. Du jamais vu de mémoire des hommes depuis 353 ans. Y aura-t-il deux années en une chez les Guins ? La pierre sacrée désacralisée provoque l’ire des communautés et l’indignation de plusieurs internautes togolais.

Ainsi, la cérémonie a été tourné en dérision par deux humoristes (Wiyao Agbasco et son confrère) qui, endossant les treillis de l’armée et de la police, proposent une nouvelle répartition des fêtes traditionnelles. Les Evalas du pays Kabyè reviendraient aux guerriers de Tchaoudjo par exemple. La population de Bè, très opposée au régime des Gnassingbé, prendrait maintenant la pierre sacrée pour pouvoir mieux la lancer lors des différentes contestations. Ils concluent leur sketch, en déclarant « cette année, la pierre est de couleur pavé »

La plupart des internautes pensent que le mélange des us et coutumes et de la politique est dangereux pour les communautés. Pour le journaliste Célestin Akplahin Le Divin, , «  C’est la première fois qu’une pierre sacrée sort dans la matinée en peuple Guin, et c’est aussi par surprise qu’on fera sortir deux pierres sacrées dans la même localité et pour le même peuple. Franchement qui sème la pagaille? (…) Il va falloir qu’on explique bien les choses: Qui intronise le chef de la forêt sacrée de Glidji Kpodji ? Qui intronise le prêtre de la divinité Mama Kolè et Sakouman? Entre le Chefs Traditionnels des Peuples Guins et Nii-Mantchè qui  prennent les décisions sur les festivités de la prise de la Pierre? »

Le journaliste Anani Sossou, quant à lui, veut préserver l’image et la fierté du peuple Guin en désignant sur sa page facebook une coupable : « À mes parents, oncles, tantes, frères et soeurs du GRAND PEUPLE GUIN: Avant 2012, aviez-vous déjà eu connaissance d’une « Princesse à titre honorifique » des Guins? Qui d’ailleurs serait une intime du premier des Togolais et qui avait été la maîtresse du prêtre de la forêt sacrée Nii Mantchè. Si vous avez la réponse à cette énigme alors vous connaissez sans doute la source des troubles liés à la prise de la pierre sacrée à Glidji-Kpodji… ».

L’écrivain Ayi Hillah résidant à Fontaine l’Evèque en Belgique dans un article publié sur la toile voit son idéal bafoué, son or transformé en ordure : « Je lis, çà et là, à l’égard des dignitaires religieux en pays Guin qui essayent de nous faire prendre des immondices pour des joyaux, l’expression d’un dégoût, d’un écœurement sans fin que je partage. Oh oui, mes frères, face au miroir de notre légendaire arrogance, disons-nous la vérité ! Jamais de mémoire d’homme, aucune ethnie n’a fait un pareil effort pour casser sa tradition, la salir à toutes les images de la grandeur et de l’estime, désavouer de manière éhontée tout ce qui est bien, tout ce qui est bon ; son patrimoine. »

Que nous réserve l’avenir ? Et là dessus les Togolais sur watsapp ne manquent d’humour. Pour eux, à chacun sa pierre. Les photos sont détournées et le citoyen lamda peut prendre la pierre qu’il voudra:

Certains poussent l’ironie jusqu’à avouer qu’ils prendraient bien une pierre noire  pour se soigner des morsures de scorpions.

Le conflit semble vraiment s’enliser, et Togocultures est en droit de se demander combien de coups les prêtres feront-ils d’une pierre ?

Gaëtan Noussouglo© Togocultures

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