Témoignages: Vie et mort de Tambours Théâtre de Lomé

«  Jeune homme, si tu veux être interviewé pour promouvoir ton spectacle, il faut être moins prétentieux !  » Ainsi me répondit le journaliste togolais Olab-Ire Da Cruz, alors correspondant culturel d’Africa No 1 á Lomé, dans la cour de la direction de la Communication lors d’une pré-interview à diffuser sur la chaîne africaine. Il était près de midi, en ce mois de septembre 1997. J’étais accompagné d’Armand Brown, mon meilleur ami et metteur en scène de la compagnie Tambours Théâtre.

Le  » conseil  » de Monsieur Da Cruz me choqua un tout petit, mais beaucoup plus révélateur, je fus énormément embarrassé ce qu’une légende du journalisme au Togo me fasse une leçon d’humilité alors que nous ne répétitions que ce que les journaux disaient de nous, de nos prestations et des nombreux prix que notre troupe gagnait. Au fait, Monsieur Da Cruz n’était certainement pas au courant du  » phénomène  » Tambours Théâtre qui faisait la une des chroniques culturelles au Togo et faisait le chou gras des pages culturelles des radios de Lomé et de l’intérieur du pays. Et puis bon, je reconnais que ma jeunesse et la  » grosse tête » m’empêchaient d’être humble. Même devant un des meilleurs journalistes de la presse togolaise qui, certainement, en avait vu d’autres ! Ok, mais nous étions convaincus  tout de même d’être les meilleurs. Du moins en ces moments-là où nous faisions salle comble à volonté au Centre Culturel Français de Lomé, en ces temps où beaucoup de festivals de la sous-région nous bombardaient d’invitation, en cette période de tensions politiques au Togo qui nous voyaient sur scène porter des attaques et des critiques humoristiques et sarcastiques a l’encontre de la classe dirigeante de Lomé. OK ! J’ai beau avoir été prétentieux en ventant La Répétition comme une œuvre originale que personne n’a encore eu la truculence de créer en Afrique. Mais encore une fois, lorsqu’une année plus tôt, le Festival de théâtre d’Assahoun, le pinacle de couronnement des acteurs et des metteurs en scène au Togo vous consacre comme la meilleure troupe de théâtre devant la troupe à abattre ENAL et que votre metteur en scène Armand Brown rafle le trophée du Meilleur Metteur en scène devant « l’ennemi juré  » Banissa Mewe, eh bien avouez qu’il y avait de quoi se considérer comme les détenteurs des clés de l’Olympe !

Avec le recul aujourd’hui et près d’une décennie après le règne trop éphémère du phénomène Tambours sur le théâtre togolais, il est important de se demander de façon critique ce qui faisait la particularité des créations d’Armand Brown et  dans la composition des talents de Tambours et de ces écritures une des troupes favorites du public togolais.Le milieu des années 90 vit au Togo la floraison de troupes de théâtre ayant rompu avec une théâtralisation sociale de la vie. La plupart des compagnies de cette époque ont décidé, dans les créations, de tenir résolument  compte du combat démocratique contre le régime en place depuis 1967 au Togo. En effet, l’année 90 sonnait le glas du régime de Lomé 2. Il a perdu énormément de popularité auprès de la population togolaise et plus singulièrement auprès de tous ceux qui se croyaient une vocation d’artiste ou d’intellectuel, de tous ces jeunes artistes  » engagés  » à la Jean Paul Sartre.La compagnie Tambours, qui a été composée par les éléments ayant fait défection en 1991 à la troupe Cercle des Amis créée par Kokou Agbokou Ahade, s’est progressivement libérée de ce qui était à tort ou à raison qualifié a l’époque de Théâtre de Salon, référence irrévérencieuse s’il en est au  » made-for-tv  » qui a fait la gloire de 1982 à 1989 des ainés comme Politicos, Atchina Noviti, Mamita, Agbokou ‘Ousmane’, Assogbavi, Nini Locoh et tant d’autres des figures familières des téléspectateurs de la Télévision Togolaise. La compagnie Tambours Théâtre a également emprunté cette avenue à ses débuts, ayant produit pour la TVT successivement On ne Badine Pas avec le Sang  écrite et mise en scène par Richard Lakpassa, La Tragédie de Lawoe, commandée par l’Agence Togolaise pour le Bien Etre Familial (ATBF).

Mais de 1988 à 1990, peu avant la Conférence Nationale Souveraine de 1991 qui a libéré le verbe théâtral au Togo, de nouveaux iconoclastes culturels vont émerger a l’instar des compagnies l’Atelier Théâtre de Lomé de Kangni Alem et de Gaëtan Noussouglo, ZITIC de Sanvee Alouwassio et du regretté Kossi AKpovi, les monologues  de Sylvanus Mehoun, et bien sûr, bien sur l’ENAL de Banissah Mewe. Je serais coupable d’omission si je ne mentionnais ici l’influence énorme que Banissa a exercée sur Armand Brown. Pour ma part, avoir côtoyé et lu Kangni Alem ainsi que Sony Lab’ou Tansi et autres Camille Amouro, je ne pourrais que reconnaître que tous ces auteurs ont contribué à créer un ascensionnel sur ma vision poétique du texte dramatique et surtout du message critique à véhiculer. La résultante de ces frottements, bien entendu, a été Du Lampion au Théâtre, écrite en 1995 par Richard Lakpassa, Prix de la révélation du meilleur écrivain dramaturge attribué par l’Association Togolaise des Gens de Lettres présidée par Kodjo Lanou Elitsa. Armand Brown, tout  » dépucelé  » de la notion de théâtre de salon, assura une mission toute en rupture du théâtre de salon tant décrié dans les cercles culturels togolais. La pièce dont le décor a été assuré par Dick Bath Afoum, fut un succès, à en juger par le nombre de représentations et de prix qu’elle a raflés. Cette pièce a véritablement donné le ton de ce que Tambours incarnera désormais : discours politique anecdotique, décor et costume à motifs africains, prévalence de la danse et des chants africains et unité de décor. Je laisserai aux critiques littéraires le soin de décrypter la relevance de cette stylistique et les qualités textuelles y afférent.Lorsque nous avions décidé de mettre en scène La Sentence des Autres  de Claude Amegan, Armand et moi étions mis d’accord qu’il fallait relooker la pièce, garder son message original mais sans ennuyer le public avec un procès judiciaire garni de termes juridiques pompeux. Le toilettage de cette pièce, rebaptisée La Répétition, fera de la compagnie Tambours le récipiendaire du Grand Prix du Festhef 1997 et d’Armand Brown le Prix du Meilleur Metteur en Scène. Je me souviens de nos instants de communion avec les spectateurs à travers le pays, ces applaudissements nourris lorsque Armand, perdit le fil de son verbe, prétendit que le mot lui échappa et entraîna tous le acteurs à la capture du mot libérateur. La frénésie des acteurs sur scène parodiant l’animation politique en scandant :  » Criiiiiiiiiiiiiiiia….hey hey…..attaquer, attaquer, attaquer….. «  La Répétition fut la toison d’or conquise par la compagnie Tambours Théâtre, le spectacle à voir, au point que la TVT, au mépris des risques de censure nous demanda un enregistrement de la pièce au CCF. Ce que nous permîmes sans illusion. Mais la surprise c’est que la parodie de justice symptomatique du pays fut diffusée plus de trois fois sur les écrans publics. Le Togo changeait-il ? Pas autant que ça. Témoin, l’arrestation et la torture dans les locaux de Direction de la Sûreté Nationale de Gentil Yabi, Lisa Dosson, Dick Affoum le 12 décembre 1998, alors qu’ils tournaient avec un chanteur de la place un clip vidéo dénonçant les rackets de la Police. Je goûtais également ce jour-là aux douceurs des geôles de notre police avant qu’une intervention du Directeur de la TVT d’alors permit de libérer les acteurs, battus et humiliés pour avoir osé critiquer notre valeureuse police.Il n’empêche, Sans Façons fut écrite par Richard Lakpassa, basée sur cette expérience carcérale et remporta une adhésion tout aussi populaire. Nous pensions que cette arrestation était la pire des choses qui pouvait nous arriver mais que nenni.

Invités à représenter le Togo au Festival Racines au Bénin, Armand Brown piqua une crise et fut transporté à la salle d’urgence de l’hôpital de Porto Novo. Les médecins et nos prières ne purent empêcher le Créateur de reprendre son âme. Ce fut le 14 Février 1999. C’était la fête de la Saint Valentin. Il avait 27 ans. Cette catastrophe faillit sonner la fin de l’aventure pour nous car Armand, non seulement était l’architecte de nos créations mais était l’ami de tous. Hans Masro, membre fondateur de Tambours alors en formation à Dakar, Prosper Ahadji d’Imexka et les propres parents du défunt furent sans doute les raisons pour lesquelles nous avons continué. L’ARTISTE EST MORT, VIVE L’ARTISTE! semblaient-ils dire.

Le spectacle Sans Façons  au CCF en Mars 2000 rendait hommage à Armand Brown. Cette même année, Tambours Théâtre se classa troisieme au Festhef 2000 à Assahoun avec Délires, une écriture de Alexandre Monde, mise en scène par Richard Lakpassa. Cette pièce taillée sur mesure pour Marc Ayivor, le meilleur comédien de la troupe fut un succès au point que la télévision togolaise, TVT, enregistra et la diffusa. Marc interpréta le rôle du Sergent tortionnaire Santana avec une telle énergie et un naturel sans contexte que plusieurs festivals demandaient cette création. Mais comme si le malheur de la disparition d’Armand Brown ne suffisait point, Marc Ayivor, rendit l’ âme au CHU de Lomé , à la suite d’une courte maladie. Il n’était pas malade, il était à la répétition avec nous la veille. Ce fut le 10 Décembre 2001. C’en était trop. La compagnie Tambours prit part aux secondes funérailles en moins de deux ans de deux de ses membres et décida unanimement de se séparer. Alain Nzaba, Dieudonné, Linda de Souza, Hans Masro, Julien Mensah, Gentil Yabi, Maguy Ayena-Goh, Henriette Mensah, Dick Affoum, et Richard Lakpassa ont alors tiré leurs révérences.

C’est ainsi que le destin et la tragédie fermèrent les rideaux sur une troupe qui n’était certainement pas la meilleure au Togo, mais savait faire rire le public et savait déranger l’ordre établi. Je suis sûr que si je rencontrais le doyen Da Cruz aujourd’hui, je lui dirais plutôt ceci :  » Tambours fut et restera la plus conviviale des troupes au Togo et aussi…la meilleure, quand Armand et Marc étaient là ! Sans vantardise  La vie, elle, ne nous a pas rendu le sourire. Et nos yeux pleureront encore longtemps Armand et Marc. Ad aeternam ! « 

Richard LAKPASSA ©Togocultures

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