William Adjété Wilson, auteur de l’œuvre picturale L’océan Noir parue aux éditions Gallimard en 2009 a accepté de nous ouvrir son cœur, de nous parler de son œuvre et de son histoire.
Togocultures : Vous êtes artiste plasticien, écrivain, né en 1952, d’un père togolais et d’une mère française. Pourrions-nous avoir un peu plus d’éléments sur votre vie très riche?
William Wilson : Je suis né à Tours en France et j’ai grandi à Orléans. La seule marque de l’Afrique dans mon enfance était la couleur de ma peau qui me distinguait de mes congénères. J’ai dû dès l’enfance faire face à la stigmatisation et souvent à la discrimination. A l’époque les enfants de couleur étaient encore rares dans les petites villes françaises. De leur coté les africains ne me considéraient pas plus comme étant des leurs que les français. C’est le destin des métis. Dès que j’ai pu, j’ai cherché des modèles ailleurs, en particulier chez les Noirs américains des années 60. Les sportifs comme Cassius Clay ou les athlètes olympiques, les politiques comme Angela Davis et le Black Panthers Party, les musiciens comme James Brown ou Jimmy Hendrix.
Plus tard au début des années 70 j’ai pu faire mon premier voyage en Afrique, au Bénin dans la famille de ma grand-mère. Plus tard encore je suis allé au Togo à Aného ou j’ai rencontré mon arrière grand-mère Maryam Lawson-Gaiser qui m’a appris mon prénom africain : « Adjété ». Mon grand père étant déjà décédé, c’est son frère cadet Walter Tété Wilson qui a commencé à m’apprendre les origines de la famille… Ensuite d’autres séjours ont suivi, de même que beaucoup de lectures et d’études des œuvres d’arts d’Afrique et du monde. C’est à la suite de tous ces voyages que m’est venu l’idée de « L’Océan Noir ».
Togocultures : Vous venez de sortir « L’Océan Noir » qui parle de l’Esclavage. Un livre qui a eu trois étoiles dans le magazine Télérama et qui a été bien reçu à Etonnants Voyageurs de Saint Malo en Bretagne. Vous êtes au coeur du drame de l’esclavage puisqu’il mêle votre famille. Parlez-nous de votre livre.
William Wilson : Tout d’abord je dois préciser que « L’Océan Noir » est avant tout une œuvre picturale. Il s’agit de 18 tentures en appliqué de tissu réalisées à Abomey au Bénin. Cette série existe en 6 exemplaires. Le livre est en fait le catalogue de cette exposition auquel j’ai ajouté des textes qui accompagnent chaque tenture. Les expositions ont toujours un public limité, alors que l’objet livre permet de toucher beaucoup plus de gens, c’est pourquoi j’ai tenu à ce que cet ouvrage soit plus qu’un simple catalogue d’exposition.
Cela dit, en effet la période de la traite des esclaves est un élément central dans l’histoire de « L’Océan Noir » puisqu’il l’a créé en dispersant les africains tout autour de l’océan Atlantique. Pourtant, ce travail couvre une période beaucoup plus longue puisque qu’il se déroule du 15 siècle, et les premières rencontres entre africains et européens venus de la mer ; jusqu’au 21 siècle, avec la migration des clandestins vers les pays riches, et la constitution des sociétés multiraciales contemporaines. J’ai choisi de traiter ces 5 siècles en 18 chapitres représentés par 18 tentures de tissu en appliqué qui est une technique séculaire en Afrique de l’Ouest au Ghana au Bénin en particulier. 3 tentures sont consacrées l’introduction et à la période des premières rencontres intercontinentales. 4 tentures à la traite des esclaves, 4 à la colonisation et aux guerres mondiales, 1 aux indépendances africaines 2 aux diasporas, 2 autres à la période contemporaine, Les 2 dernières venant en conclusion.
C’est donc tout cette évolution dans le temps que j’ai essayé de traduire et non pas uniquement la période de la traite.
Togocultures: Est-ce un album autobiographique ou un regain subit à cette phase de l’histoire que les noirs africains abordent différemment ?
William Wilson : L’organisation des images et donc du livre est chronologique. Chaque chapitre de« L’Océan Noir » est lui même découpé en trois parties.
Une première partie pour expliquer la tenture, ses symboles, sa signification, et sa place dans l’ensemble. Elle est introduite par un pictogramme Adinkra des Akan du Ghana. La deuxième partie est documentaire, où je situe le contexte historique de façon rapide mais documenté et pédagogique. Dans la troisième partie, en effet, j’aborde les choses par l’aspect autobiographique en racontant des anecdotes et des réflexions personnelles nées de mon expérience et qui sont en résonnance avec le thème de chaque image.
Il faut savoir que mon père a quitté très jeune le Togo pour ne plus y retourner et j’ai été coupé de l’Afrique pendant toute mon enfance. Je ne l’ai découverte qu’à partir de l’âge de 20 ans. La situation de métis est parfois compliquée et paradoxale. Car si l’on peut dire que le métis appartient à deux cultures, il arrive bien souvent qu’en réalité il n’appartienne à aucune. Au premier abord on peut dire que je suis français ; par ma mère, par mon éducation, et par l’ignorance dans laquelle je suis longtemps resté sur mes origines africaines, mais je suis aussi un africain de la diaspora, qui a la différence des américains, par exemple, a pu retrouver facilement sa famille africaine puisque qu’une seule génération m’en sépare.
Lorsque j’ai appris à connaître ma famille africaine, j’ai été très surpris de découvrir que j’appartenais aux grandes familles qui ont fait l’histoire de la côte du golfe de Guinée depuis des siècles du Ghana actuel au Nigéria. Cela n’a pas rendu les choses plus faciles pour autant, mais cela m’a entraîné rapidement à dépasser ma quête personnelle pour m’intéresser à l’Histoire en général.
Je suis Wilson par mon grand père, Lawson par mon arrière grand-mère, mais aussi d’Almeida du Bénin par ma grand mère, donc relié aux « Brésiliens » (les Agouda).
Il faut imaginer que je ne savais rien de toutes les implications de cette hérédité. C’est petit à petit sur une période de presque 30 ans que j’ai appris ce que cela voulait dire.
Entre temps j’ai beaucoup voyagé ailleurs dans le monde, en Europe, aux USA, en Jamaïque, en Inde, au Japon etc… C’est la cinquantaine passée que j’ai voulu faire retour sur ma vie et avec mes armes d’artiste avant tout.
Cette recherche d’identité s’est changée en recherche historique lorsque je me suis aperçu que l’une recoupait indissociablement l’autre. Quand j’ai compris l’importance de cette histoire dans le monde d’aujourd’hui et que cela dépassait largement ma petite personne, la meilleure façon pour moi d’en rendre compte a été d’en faire une oeuvre d’art aux multiples aspects.
Comment comprendre les sociétés multiraciales des Amériques et d’Europe, ou la situation actuelle de l’Afrique sans connaître le passé ? C’est donc dans cette optique que j’ai entrepris ce travail.
Togocultures : Vous êtes le deuxième togolais à sortir un livre sur l’Esclavage. Avez-vous lu Esclaves de Kangni Alem ?
William Wilson : Encore une fois « L’Océan Noir » n’est pas un livre sur l’esclavage et ce n’est pas qu’un livre c’est aussi et surtout une œuvre picturale. Le livre vient en complément. Ce n’est pas non plus une fiction mais un récit et un document. D’autre part je ne me sens pas plus Togolais que Français ou quoique ce soit d’autre. Les frontières en Afrique n’ont pas vraiment de sens, elles sont une séquelle de la colonisation. Pourquoi devais-je me sentir plus Togolais que Béninois puisque ma grand-mère était Béninoise et mon grand père Togolais ? En revanche je sais que je suis de cette région, de ce peuple, de cette culture, et que mes ancêtres sont de cette région, c’est cela qui compte pour moi.
Oui j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le livre de Kangny Alem. Je me suis moi aussi beaucoup intéressé à l’histoire d’Adandozan et j’espère qu’il sera bientôt officiellement réhabilité. Mr Kangni Alem est un romancier et je n’ai pas ce talent. Mon travail se situe dans un autre domaine, mais je suis content de voir que le besoin de vérité est maintenant criant en Afrique car il me semble indispensable que ce travail soit fait de toutes les manières possible si l’Afrique veut dépasser les siècles de ténèbres qu’elle vient de subir.
Je trouve que le cas des Brésiliens est intéressant car il montre bien la complexité des événements qui se sont passés. Les simplifications et les généralisations ne sont jamais bonnes pour comprendre en profondeur la complexité de l’histoire et de l’âme humaine.
Togocultures : Quand comptez-vous aller au Togo présenter cet ouvrage aux Togolais puisque vous résidez en France ?
William Wilson : « L’Océan Noir » : c’est à dire la série de tentures et le livre qui l’accompagne devraient être présentée au prochain Festival des Divinités Noires en Décembre au Togo.
Avant d’être un livre ce travail est avant tout une exposition qui est destinée à être vue dans tout « l’Atlantique noir». (Mais pourquoi pas aussi ailleurs ?)
Ces tentures en appliqué ont été réalisées à Abomey au Bénin avec les héritiers des artistes de la cour des Rois de l’ancien royaume du Danxomé. J’ai ressenti le besoin d’écrire un livre parce que beaucoup de choses méritent d’être expliquées, mais en réalité les images suffisent à suivre et à comprendre ce que j’ai voulu exprimer. C’est pourquoi je travaille maintenant à diffuser cette exposition le plus largement possible.
J’espère que ce livre- catalogue sera traduit au moins en anglais, en espagnol et en portugais pour accompagner les expositions dans les pays où l’on parle ces langues.
Togocultures : Vous faites partie de l’Association Acofin qui organise le Festival des Divinités Noires. L’Histoire de l’Esclavage a été un moteur pour vous pour révéler l’Afrique et ses croyances à la civilisation blanche? Vos toiles d’ailleurs reflètent les divinités et mythes noirs.
William Wilson : Non l’Histoire de l’esclavage n’a en rien été un moteur pour moi. J’ai commencé à peindre bien avant de connaître toute cette histoire et ce n’est pour moi qu’un épisode d’une histoire qui dure depuis 5 siècles et dans laquelle nous sommes encore.
Il n’y a pas de civilisation « blanche » pas plus que « noire », il y a des civilisations qui sont interconnectées et qui sont sans cesse en évolution. Elles prennent des éléments partout et s’interpénètrent, de toutes les façons possible, depuis le début de l’humanité et elles continueront à le faire qu’on le veuille ou non. Pour moi définir le monde en blanc, noir, jaune etc. est une vision racialiste, qui mène tout droit au racisme et à la guerre.
Ce qui m’intéresse dans les divinités africaines c’est qu’elles représentent l’expérience religieuse et sociale de l’Afrique depuis des millénaires. La diabolisation et le dénigrement dont elles ont fait l’objet ont participé à l’entreprise impérialiste de l’Occident, c’était et c’est encore une arme de domination.
Avec elles sont niées tout le savoir moral, médicinal, et social des peuples africains.
Il serait bien sûr illusoire de penser que l’on pourrait revenir en arrière tant les changements sont irréversibles, en revanche il est à mon avis indispensable de revaloriser ces savoirs pour retrouver ce qui est essentiel dans les valeurs de nos ancêtres. Ce qui m’intéresse là ce n’est pas la foi, qui à mon avis est une affaire strictement personnelle, mais c’est le sens originel du mot religion, c’est à dire : « ce qui relie » les hommes qui vivent dans une même société. Ce qui relie les vivants et les morts. C’est pourquoi je soutiens l’Association ACOFIN dans son action de revalorisation des cultures africaines et dans son ouverture vers les diasporas d’origine africaine de par le monde.
La perception que les africains eux-mêmes ont de ces religions peut et doit évoluer car il serait dommageable à la culture africaine de perdre ce qu’elles contiennent de positifs et de résolument moderne. Acofin est la preuve que cette mission est en marche.
Pour ce qui est de mon travail artistique je ne sais pas d’où me vient mon inspiration, et au fond peu importe. J’essaie de faire de mon mieux et j’espère que le public y trouvera ce qu’il cherche, et qu’il y apprendra des choses qui l’intéressent. Je ne suis pas conscient de tout ce que j’exprime. Dans le sens moderne que l’on donne à l’art, il ne se soumet à aucune définition réductrice, ni à aucune religion ou idéologie. L’art lance son message à qui veut et qui peut l’entendre sans avoir besoin de se justifier.
Il est au service de tous les hommes quels qu’ils soient pour leur parler de liberté dans le respect mutuel.
© Togocultures
L’Océan Noir William Wilson.
Editions Gallimard « Collection : Hors série Giboulées ». Paris Avril 2009.
ISBN : 2070625230. Prix France 15,90 euros
Préface Catherine Clément. Postface Joseph C.E Adande
Pour plus de renseignements sur l’exposition et les modalités de sa circulation, visitez de William Wilson : www.williamwilson.fr
Photo: © Aldo Sperber/picturetank. www.aldosperber.net
Actualisé le 18 juin 2009