La Problématique de l’égalité dans les systèmes éducatifs en Afrique : cas du Togo

Le principe de l’égalité entre l’homme et la femme, approprié par les rédacteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et aujourd’hui reconnu par tout esprit éclairé, détermine, en partie la modernité des textes constitutionnels des pays dits « démocratiques ». Nos jeunes Etats d’Afrique n’en font exception. Le processus qui conduit vers la réalisation de cet idéal est, souvent, conjointement conduit par la famille et l’Ecole républicaine, qui doivent inculquer à l’individu en perpétuel devenir,  des valeurs de la citoyenneté dans le respect genre. Malheureusement, on déplore que dans nos pays du Sud, au Togo particulièrement (qui proclame pourtant l’égalité de tous les citoyens dans sa Constitution), de la coupe aux lèvres, la distance est parfois trop grande. Aussi, convient-il de s’interroger sur les raisons qui peuvent expliquer cette situation qui ne favorise pas un développement inclusif.

Les Pesanteurs de la tradition dans l’éducation familiale

Les premiers pas de tout enfant sont guidés par famille qui constitue le microcosme initial dans lequel il évolue. Cette notion de famille, dans notre espace socioculturel ne se limite pas aux parents géniteurs. Elle s’étend, bien souvent, et nécessairement aux oncles et tantes, à tout le quartier, parfois à tout le village. C’est pourquoi certains sociologues africains distinguent l’éducation familiale de « l’école de rue » (qu’il faut distinguer de « l’école de la rue », celle qu’on trouve dans toutes les sociétés). Exception faite à une nouvelle structure famille urbaine naissante non représentative. L’éducation dans cette structure socioculturelle est fondamentalement informelle et assurée par tous les membres qui la composent. Il est vrai qu’il existe une part d’éducation formelle dans certaines régions que codifient les rites initiatiques. Toutefois, c’est aux femmes, et à la mère que revient le rôle de transmission des valeurs aux jeunes et aux moins jeunes. A cet effet, des morceaux choisis des classiques de la littérature africaine ont célébré «  la femme africaine » dans ce rôle d’éducatrice. Mais, sur quelles valeurs cette éducation continue-t-elle d’être fondée ? Malheureusement, sur une vision sexiste de la division sociale qui fait la part belle aux hommes, donc aux garçons. D’une façon plaisante, nous pouvons rappeler la vision caricaturale  qu’en donne Francis Bebey, un écrivain et chansonnier camerounais dans les années 80, dans sa chanson à succès, « La Condition féminine », au moment où l’ordre du discours politique a commencé par être structuré par l’expression  « l’émancipation de la femme africaine ». L’ONU ayant décrété « la décennie de la femme africaine ». Il s’agit d’une scène entre un mari et sa femme, naguère « docile », mais, qui, sensible au nouveau discours politique, entend faire valoir ses droits : «  Je ne connais qu’une seule condition féminine : la femme obéit à son mari, elle lui fait des enfants, elle lui fait à manger, et voilà tout » lui rappelle alors son mari pour qui  « la condition masculine » s’exprime en coups de bâton. En fait, par delà l’humour, nous ne sommes pas loin de la réalité qui caractérise le sort de la majorité silencieuse de nos sœurs et mères. Dès lors, il est légitime de comprendre comment la transmission du savoir, de la mère à la fille, continue, dans bien de milieux, de pérenniser cette situation. Pour ce faire, nous relevons deux  « actes pédagogiques » significatifs.

Tout d’abord, prenons l’exemple d’une famille dont la fratrie se réduit à un garçon et une fille. Il arrive que, avec la permission des parents, les deux ont participé à une soirée festive dont ils sont revenus très tard.  Il sera naturel que la fille à laquelle reviennent les tâches ménagères (qui sont plutôt des corvées)  commence déjà à s’y adonner alors que le garçon rejoigne son lit pour récupérer de son sommeil. Mieux encore, sa sœur devra se garder de faire du bruit en balayant la cour ou en faisant la vaisselle, sinon sa mère la rappellera à l’ordre par la formule que nous connaissons tous : «  ne sais-tu pas que ton frère dort ? ». Ajoutons que tous les jours durant, pendant les vacances, le garçon a le droit de jouer au foot avec ses amis alors que la fille doit accompagner sa mère au marché ou l’aider à la cuisine. Dans certaines ethnies comme chez les Guin et les Ewé, les tâches culinaires constituent un tabou pour le garçon et son irrespect  peut conduire à son impuissance sexuelle. Il est vrai que cet interdit est de moins en moins respecté compte tenu des contraintes de la vie moderne qui imposent parfois une nouvelle répartition des tâches entre les enfants.

Azé Kokovivina concert Band de Lomé Photo:Gaëtan Noussouglo
Azé Kokovivina concert Band de Lomé Photo:Gaëtan Noussouglo

Ensuite, l’analyse d’un aspect du rite de demande en mariage chez les Ewé et les Guin est édifiante. Après la remise de dot par les parents du futur époux et la célébration (traditionnelle, civile ou religieuse), vient la phase de « formatage » de la nouvelle mariée par ses tantes qui exigent d’elle de nouveaux  comportements exprimés par la sentence suivante «  Ma fille, tu dois être une épouse soumise et obéissante : tu n’entendras rien, tu ne verras rien, tu ne diras rien ». Il est vrai qu’ailleurs, on ne se donne même pas la peine de lui rappeler ses  « devoirs ». Tout a été fixé  depuis la nuit des temps. Au mari d’une fille donnée en mariage dans certaines sociétés traditionnelles sénégalaises, les parents « n’attendent que des os », comme le rappelle Mariama BA dans sa « si longue lettre ». Et l’étrangère (surtout l’Européenne) qui aurait  cru pouvoir imposer sa vision du couple dans ces sociétés fondamentalement conservatrices ne le ferait qu’à ses dépens. Ce fut le cas de Mireille dans Un Chant Ecarlate, son second roman. On comprend donc pourquoi le militantisme de beaucoup de femmes de niveau d’études supérieur, activistes  dans des associations féministes s’arrête à la tribune des Palais des Congrès et autres tribunes nationales et / internationales comme le déplorait l’Ivoirienne Fatou KEITA dans Rebelle. Pour lutter efficacement contre cet état des choses, que perpétuait «  Le Concert Party » (théâtre populaire du Sud Togo, venu du Ghana) et que relaient encore beaucoup de séries TV africaines à succès, l’école, de par sa mission, devrait être le dernier recours. Malheureusement, ici comme là, les résultats ne  sont pas à la mesure des attentes.

L’Ecole africaine : relais des préjugés et clichés socioculturels

Sans pour autant être un inconditionnel de Derrida, nous restons convaincu que l’un des rôles fondamentaux de l’école est de contribuer à la déconstruction et à la construction de l’individu. Déconstruire l’individu,  « matière brute », sédimentation des couches de clichés, préjugés, d’interdits parentaux et références empiriques ; construire l’individu en continuelle fermentation en lui donnant, comme le disait Aimé Césaire « des armes miraculeuses » qui lui permettent de toujours se remettre en cause, d’acquérir l’esprit critique, nécessaire à son « saut créatif ». Or, notre école n’a pas encore honoré cet engagement de son cahier de charges. Il suffit de visiter ou de revisiter les manuels scolaires pour se faire une idée de la construction et de la représentation du genre, à l’usage des futurs citoyens. De Mamadou et Bineta au Flamboyant, en passant par Abalo et Afi, (les principaux manuels de lecture utilisés dans nos écoles, de l’époque coloniale à nos jours), il est toujours mis en situation un garçon et une fille, d’où l’éponyme de certains titres. Le manuel est structuré thématiquement  par les activités de la vie quotidienne menées par le tandem. Et bien sûr, il ne s’agit souvent que de la transposition sans correction, mieux, de la réplique insipide des codes et des comportements sociaux que nous déplorons tantôt : le garçon, guide et meneur, très hardi, prend des initiatives tandis que la fille subit, souvent timorée, les décisions de son frère. A la maison, la répartition des tâches répond aux normes socioculturelles comme l’exprime en Fon (langue parlée au Sud du Bénin), la dénomination de l’homme (« l’être de l’extérieur ») et de la femme (« l’être de l’intérieur »).

Nous pouvons emprunter au Professeur Daniel Lawson Body, l’illustration qu’il a choisie à cette représentation du genre dans sa communication sur le thème, à l’Université de Lomé. Un incendie dans une maison ; la débandade totale, le frère et la sœur sont endormis dans une chambre, le garçon a réussi à sortir de la chambre, les femmes sont en larmes, désespérées, attendant les sapeurs pompiers. Le garçon prend son courage à deux mains, se sert d’une échelle et fait sortir sa sœur de la chambre, ovationné par la foule…Voilà le futur homme confirmé dans son statut de protecteur de la femme. Nous pouvons multiplier les exemples. Mais nous  préférons terminer par un regard sur un ouvrage dont  nous recommandons la lecture aux enfants et qui est de renommée mondiale : Les Aventures de Tintin et Milou

Les Aventures de Tintin du Belge Hergé (pseudonyme de Roger Prosper Rémi, R.G.), personnage controversé à cause de son antisémitisme, nous présente dans près d’une cinquantaine d’albums les exploits d’un jeune reporter super intelligent, affublé de son chien Milou, qui défont ensemble les basses manœuvres de l’international du crime dans des espaces et des temps qui portent des indices de la première moitié du XXième siècle.

Le personnage Tintin est présenté sous les traits d’un adolescent attardé, sans âge, que le nom « Tintin » infantilise encore plus, dans un anonymat sans attache familiale, ni matrimoniale, sauf une amitié quasi-passionnelle, si ce n’est pervers pour certains, avec son chien, qui est lui, de nature anthropomorphique.

Son entourage est exclusivement masculin, constitué de ses amis (le Capitaine Haddock, l’éthylénique, le Professeur Tournesol, l’étourdi, les distraits détectives  jumeaux, Dupont-Dupond), tous sans aucune attache familiale, encore moins féninine. En somme toute présence féminine est gommée dans les aventures de Tintin, ce qui, en soi, pourrait être anodin s’il n’y a de temps à autre les intrusions d’une cantatrice italienne Catasfiore, et sa camériste Irma. Sa personnalité que ne déguise pas son nom (catastrophe) est caricaturale, une tête de linotte, éprise du capitaine qui l’évite comme une peste. A chacune de ses apparitions, c’est la débandade totale, « au secours la Catasfiore ! », et même le caniche Milou évite sa compagnie. En somme, sur l’échelle des valeurs d’Hergé, la gente féminine, réduite à la frivolité n’a aucune place, si elle ne vient pas après le chien. Ce qui n’est nullement honorable si nous nous en tenons à la sémantique du chien. Il s’agit bien là d’une déconstruction du genre chez l’enfant, et qui ne participe pas au développement inclusif tant souhaité.

Le tableau ci-dessus esquissé parait  bien désespérant pour tout homme et toute femme de bonne volonté. Mais, il ne s’agit que d’un état des lieux d’un fait social qui a le mérite d’être dynamique, c’est-à-dire en équilibre instable. Les décideurs politiques nationaux, il y a trois ans,  ont inscrit la politique de la parité du genre dans leurs actions prioritaires, accompagnée des mesures parfois courageuses allant dans ce sens. En témoignage un colloque Universitaire International et pluridisciplinaire organisé à cet effet. On pourrait donc parler de lueur. Il demeure que nous devons, décideurs politiques, acteurs de la société civile et simples citoyens, ébranler  voire abattre la citadelle érigée par les préjugés et pratiques séculaires pour libérer réellement la voie qui mène vers l’égalité entre l’homme et la femme dans notre pays.

Guy Kokou MISSODEY

Professeur de Lettres

Université de Lomé

 

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