La nouvelle génération de la littérature togolaise

Guy Missodey
Guy Missodey

Dans le cadre du cinquante-et-unième anniversaire de l’accession du Togo à la souveraineté internationale, le Ministère des Arts et de la Culture a initié, le 6 mai 2011, une Journée de réflexion sur le thème « Cinquante années de vie littéraire au Togo, bilan et perspectives » devant aboutir à des recommandations en vue de l’élaboration d’une politique nationale du livre au Togo. 

A cette occasion, Monsieur Guy Kokou MISSODEY, enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Lomé a animé une conférence-débat sur la nouvelle génération d’écrivains togolais.

Qu’est-ce que la « nouvelle génération » d’écrivains togolais ?

Que faut-il entendre par la notion : « nouvelle génération » d’écrivains togolais ? Le conférencier a emprunté le terme à la revue littéraire Notre Librairie qui lui avait consacré un numéro spécial. Parmi la dizaine d’auteurs cités par la revue, il figure en bonne place deux écrivains togolais : Kossi Efoui et Kangni Alem.

Selon l’orateur, l’expression n’a pas le sens des auteurs qui écrivent aujourd’hui, mais plutôt des romanciers et dramaturges qui ont contribué à partir des années 90 à créer les conditions du renouvellement du discours dans la littérature togolaise notamment. Ainsi, le terme « nouvelle génération » ne recouvre pas une réalité temporelle car le cercle des auteurs qu’il désigne ne cesse de s’agrandir d’année en année.

Puis, le conférencier en est venu à préciser les conditions d’émergence de cette nouvelle génération d’auteurs.

Les conditions d’émergence de cette nouvelle génération d’auteurs

Pour lui, il y en a deux : les conditions conjoncturelle et structurelle. Au plan conjoncturel, nous avons le Discours de la Baule prononcé par le Président François Mitterrand en 1990 et qui inaugura une période de bouleversements socio-politiques et de revendications pour l’avènement de régimes démocratiques dans les pays africains. Sur le plan universitaire, ce contexte favorisa une liberté intellectuelle plus accrue. La lecture entre autres des ouvrages comme La défaite de la pensée d’Alain Finkielkraut et une fébrilité des idées donnant l’occasion à des conférences-réponses au Centre Culturel Français de Lomé en sont les signes extérieurs visibles.

Le professeur Huénumadji Afan Photo Gaëtan Noussouglo
Le professeur Huénumadji Afan Photo Gaëtan Noussouglo

En rappel, il convient de préciser à la suite d’un article que lui a consacré L’Express que, parmi les nombreux essais parus ces trente dernières années, La défaite de la pensée (1987) a frappé les esprits. Par l’ampleur de son succès d’abord. Ensuite, par son titre. Alain Finkielkraut, le « mécontemporain » y stigmatise moins une défaite de la pensée qu’il n’analyse la montée d’une nouvelle barbarie. Pour lui, « la pensée cède doucement la place au face-à-face terrible et dérisoire du fanatique et du zombie. » La culture de l’Entertainment (de la société de distraction) aurait ainsi rendu impossible toute expérience authentique des œuvres. Par une force conjuguée du nivellement par le bas et du relativisme culturel, tout se vaut et donc rien ne vaut rien. Ainsi, les masses sont condamnées à des loisirs toujours plus abrutissants et à une éducation réduisant toute œuvre d’art à des pratiques sociales. Par cet ouvrage, Alain Finkielkraut s’est fait le militant obstiné, sincère, mélancolique, parfois excessif d’une vérité : la nécessité pour vivre comme des êtres humains de s’ouvrir aux œuvres de l’esprit, au premier rang desquelles il faut placer les grandes œuvres de la littérature.

Au niveau structurel, il convient selon le conférencier, de souligner le rôle joué par la revue universitaire Propos Scientifiques initiée par Afan Huénoumadji et Togoata Apédo-Amah de l’Université du Bénin (actuelle Université de Lomé). Cette revue a servi de tribune à des textes et à des auteurs, notamment Kossi Efoui, dont l’œuvre Le carrefour n’est que la réécriture du texte : « Est-il déjà porté disparu ? ».

Le foisonnement intellectuel observé au cours de cette période connut un versant artistique et dramaturgique avec des représentations théâtrales de la Troupe Nationale dirigée par Senouvo Zinsou, de l’Atelier Théâtre de Lomé de Kangni Alem et Gaëtan Noussouglo, de Nivaquine et Koliko animée par Kossi Efoui et le CCF de Lomé, etc.

De nouvelles opportunités se sont offertes aux auteurs comme Kossi Efoui, Kangni Alem et d’autres qui se verront éditer en France où commencera leur carrière d’écrivains.

Un peu plus tard, des ateliers d’écriture vont être organisés par des partenaires institutionnels, ateliers qui vont façonner des associations d’auteurs et d’illustrateurs telles que ATAILLE et une maison d’édition, Les NEA Togo, va s’ouvrir, donnant libre cours à l’expression de talents, notamment de deux écrivains-femmes, Gad Ami et Christiane Tchotcho Ekué.

Profil et caractéristiques de la littérature de la nouvelle génération

Kossi EfouiAprès avoir présenté les conditions d’émergence de la nouvelle génération d’écrivains togolais, le conférencier a abordé leur profil et les caractéristiques de la littérature de cette génération.

Pour la plupart, ces écrivains sont des universitaires, maitrisant la langue française, prenant des libertés par rapport aux normes et jouant sur l’écart entre le jeu et la langue. La norme n’intéresse aucun d’eux et l’application du principe d’ingurgitation fait de leur écriture une réécriture.

Sur le plan esthétique, ces créateurs sont des iconoclastes, à la manière de Derrida. De Polka en passant par la Fabrique de cérémonie de Kossi Efoui, Port Melo (Edem), Les Germes étouffés (Esso-Wêdéo Agba) et Déminninge (Daniel Lawson-Body), on voit qu’n travail nouveau se fait. Les auteurs de la nouvelle génération consacrent la mise à mort du héros, se « foutant » pas mal du happy end au terme de l’action. Il n’y a pas dans leurs œuvres de deux ex machina qui sauve le héros et les situations. Leurs écrits sont caractérisés par la dégradation et la perversité polymorphe ; la quête n’y a pas de fin. On est dans une sorte de jouissance textuelle ou d’épicurisme auquel l’auteur se donne à cœur joie. Le roman, Solo d’un revenant de Kossi Efoui l’illustre amplement.

En outre, une grande place est faite à la description physique de la nature « déconstruite », présentée dans ses aspects « inquiétants et déroutants » ainsi que le montrent Au commencement était le glaive d’Edem Kodjo et Frontières du jour de Kouméalo Anaté. Le déroulement mental du temps devient insaisissable et l’effort pour reconstruire ce temps reste vain.

Il y a ensuite dans ces œuvres une sorte de transgression éthique, le refus de la déchéance et du politiquement correct. Il n’y a pour la nouvelle génération d’auteurs aucun tabou ; ce sont des créateurs qui « ont la bouche sale ». Leur littérature transcende la littérature universelle. Comme l’écrit Efoui, « l’universel, c’et le local sans les murs ». Plus de discours anthropologique, l’épicurisme justifiant une écriture prétexte. On dirait que ces auteurs n’écrivent presque pour personne mais pour eux-mêmes. Ils convoquent le lecteur dans un pacte où le lecteur est forcé d’être actif : l’écrivain dit le quart, le lecteur fait les trois quart. Tout texte est alors un intertexte à décrypter. L’orateur cite le cas du roman Hermina que Sami Tchak aurait écrit à partir de 20 ou 30 livres ! Ainsi, les livres de certains de ces auteurs sont difficiles à lire, ceux de Kossi Efoui par exemple, que beaucoup ne comprennent pas.

Atouts et défis lancés par les écrivains de la nouvelle génération

Le conférencier a terminé ses propos en relevant les atouts et les défis que nous lancent ces écrivains.

Le Poète Joseph Kokou Koffigoh Photo: Gaëtan Noussouglo
Le Poète Joseph Kokou Koffigoh Photo: Gaëtan Noussouglo

Au rang des atouts, les écrivains de la nouvelle génération valorisent le patrimoine littéraire togolais au sein de la littérature francophone dans laquelle émergent trois ou quatre auteurs togolais fréquemment cités. Ensuite, ils ont imposé des normes d’écriture. Ils donnent enfin du travail de création littéraire une autre image. Avec eux, la littérature cesse d’être un travail de facilité : l’auteur qui accouche son œuvre au terme de « 25% d’inspiration et de 75% de transpiration » est obligé de se remettre constamment en cause.

Quant aux défis, il faut souligner que les œuvres littéraires doivent être accessibles à tous, ce qui n’est pas le cas actuellement, d’où le défi de la coédition à relever.

Il faut également inscrire les livres de ces auteurs dans les programmes scolaires afin que les jeunes se les approprient. En outre, il est important de maintenir le cap du renouvellement que l’auteur de L’aventure ambiguë par exemple n’a pas su relever dans son second roman. En effet, quand on a écrit L’aventure ambiguë, on n’écrit plus Les gardiens du temple, si pâle aux yeux du public et des critiques.

En conclusion, M. Missodey a précisé que faire partie de la « nouvelle génération » d’écrivains est un mérite, un privilège. Tenter l’aventure, c’est être jugé à l’aune des écarts de langue et du travail d’invention qu’on impose à tous ceux qui réceptionnent l’œuvre littéraire.

L’exposé a donné lieu à un débat très enrichissant au cours duquel, des intervenants dont le poète et ancien Premier Ministre Joseph Kokou Koffigoh avaient voulu comprendre pourquoi la poésie n’avait pas été citée dans le travail de renouvellement de la nouvelle génération. Pour le conférencier, malheureusement, aucun écrivain togolais se s’est autant illustré dans ce genre qu’ils l’avaient fait dans le roman, les nouvelles et les pièces de théâtre.

Cyriaque Noussouglo©Togocultures

 

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