Yao Metsoko et la symbolique des seins sculptés

Yao-sybolique-des-seinsQuand j’ai découvert les sculptures de Yao Métsoko constituées de seins énormes écrasant des enfants, un conte de mon enfance a refait surface dans mon esprit. C’est l’histoire de la femme Génie Mamelle. Quand elle marche, ses seins kilométriques chantent. Elle poursuit tous ceux qui dérangent sa tranquillité et les assomment avec ses acquis. Le chant des mamelles me revient toujours…

Pourtant, Yao Métsoko, artiste plasticien d’origine togolaise, ne s’inspire pas de ce récit dans son travail. Il a eu une toute approche. Son oncle maternel était le célèbre archevêque de Lomé Mgr Philippe Fanoko Kpodzro. Ce respectueux archevêque de Lomé a souffert d’un grand drame familial. Il a perdu en 2001, en un seul jour, dans un accident de circulation, sept (7) membres de sa famille parmi lesquels la mère de Jean-Philippe Yao Métsoko. Le souvenir de sa mère, Hélène Tsitsi Kpodzro, habite son esprit créateur avec, en héritage, des propos de bonne catholique : «Heureux les enfants que mes mamelles ont nourri». Yao Métsoko se souvient que sa mère lui faisait aussi dessiner des images d’iconographie religieuse. Elle lui a trouvé, sans le savoir une vocation d’artiste qui se confirmera des années plus tard. A travers sa mère Yao ressent la vraie fierté de toutes les mamans qui allaitent et qui, du coup, exhibent fièrement leurs seins flasques. A 19 ans, il quitte le sol togolais pour Londres. En 1986, il s’installe définitivement à Paris.

Yao Metsoko est un grand artiste, très sollicité. Il expose partout en France et participe à de nombreux festivals et salons qui mettent en exergue les métissages culturels et les passerelles. Il consacre beaucoup d’énergie à son travail et opère une synthèse entre ses conceptions. Il met en avant des thématiques comme l’esclavage, les femmes, les enfants… avec force, vitalité et engagement.

Yao Métsoko participe à Montbéliard à : «Pleins feux sur le Togo : regards croisés». Contacté par Rogo Koffi Fiangor, organisateur de cet événement, il n’a pas pu dire non ! «Ma participation est intéressante à deux points de vue : Je suis togolais et le Togo est à l’honneur en France. Je pense qu’à travers mon travail la population de Montbéliard va découvrir une forme d’expression artistique nouvelle.». Le Togo, la mère-patrie, la mère nourricière, la terre tout simplement jaillit en lui et le choix se porte sur ses sculptures en mamelles.

Ces œuvres exposent bien la relation entre la mère et l’enfant, la terre et la graine. «Le concept abordé dans cette création ? Un excès de protection ou de sécurité peut être préjudiciable au développement de l’individu ! Les seins sont énormes parce qu’ils symbolisent l’esprit d’abondance, de générosité. Ces enfants écrasés sous ces seins dévoilent les risques d’un étouffement certain à force d’être englobé tout azimut.» Pour Yao Metsoko, «s’émanciper c’est se faire violence, sortir des jupons et des seins de sa mère et découvrir d’autres univers.» L’enfant n’ayant connu que les seins de sa mère croit que le monde s’arrête à elle. L’univers est grand, il faut des ouvertures pour exister, entier.

L’image de Jésus quittant ses parents à 12 ans pour rester dans l’Eglise passe suivie du mythe de Caverne de Platon. Même dans la tradition africaine, les rites initiatiques constituent pour les jeunes des moyens de quitter les seins de leur mère pour arriver à se prendre en main. C’est le cas de l’appel du Bukut en Casamance ou la lutte évala en pays kabyé. Et Yao Métsoko s’est affranchi, il n’est plus un initié. Il est un Homme. Il a été responsable culturel à Saint-Ouen, président d’Association, Commissaire chargé des arts et des lettres et Directeur de centre social et culturel avant de décider de s’installer à son propre compte. Le chemin est long mais depuis quelques années, il tient le bon bout.

La discussion devenait intéressante sur les mythes des mamelles et la portée mythique des seins. Quelques heures plus tard, Yao Métsoko installant ses sculptures dans la Médiathèque de Montbéliard. Du haut de ses 1m72 avec ses 80 kilos, il a l’allure d’un grand Karatéka. Il est né au Togo en 1965. A force de déplacer des expositions, de porter de lourdes sculptures, ce jeune homme sent des courbatures, quelques douleurs dans le dos. Cela ne le décourage pas. Ses énergies débordent. Il installe ses sculptures et aide les autres artistes présents à accrocher leurs tableaux et leurs photos: Anne-Marie Djondo, Gisèle Ravey, Gilles Roussy,…

Les mamelles sont une allégorie du sous-développement des pays africains. Ils sont inféodés aux pays occidentaux et la dictature de leur président étouffe les citoyens. Yao Métsoko est formel : «Il est important que ces pays coupent le cordon ombilical qui les lie à ces puissances coloniales. Qu’ils affirment et assument de choix nouveaux qui correspondent à leurs besoins et à leurs valeurs. C’est une œuvre qui au-delà de son aspect poétique revêt un aspect politique.» L’artiste philosophe sur la mémoire des peuples noirs, conjugue les notions antagonistes : tradition et modernité, affirme la contemporanéité des ses œuvres par un réel travail sur la forme. A l’image d’ Ousmane Sow, le célèbre sculpteur sénégalais, Yao Métsoko cherche toujours cette unité entre le visible, l’invisible et l’intériorité. Il philosophe sur les formes et tance les hommes politiques.

Les hommes politiques doivent avoir le courage, l’imagination nécessaire et le sens du devoir pour le bien de leurs peuples. Ainsi, ils pourront aisément couper le cordon ombilical qui les maintient dans la dépendance. «Pourquoi le courage ? S’il est plus confortable de rester sur des acquis qui nous avilissent, il est davantage plus exaltant de se dépasser. Ainsi la victoire est plus belle.» Le courage permet de sortir de son périmètre politique, philosophique, psychologique, culturel et familial pour un meilleur rayonnement. L’union nationale chantée par les politiciens «ne doit pas être une union de façade ou un simple discours politique. Ca doit être une union de fait et l’acceptation de ses fils et de ses filles. Ils sont des êtres humains, faibles par nature, forts par la pensée.»

La discussion devient très intéressante avec ce sculpteur, peintre qui adore aussi faire la cuisine. Il réalise un savant mélange de la boisson locale du Togo, le Sodabi, avec des racines pour donner force et vitalité. Quelques heures après il est à la cuisine avec Rogo Fiangor. Il coupe les ignames, les bananes plantains et la patate douce pour préparer à manger aux convives attendus le 9 février à 18h30 à la Médiathèque de Montbéliard. Une exposante finit par lancer « si les Togolais sont comme toi, je préfère abandonner mon mari pour aller épouser un Togolais ». Yao sourit et continue entre deux fritures la discussion avec moi : «Avec la force et la vitalité de la pensée mélangée de façon cohérente, on peut créer et opérer des choix stratégiques qui nous permettent de nous arracher à certaines forces d’inertie d’ordre matériel.» Il rêve de voir les hommes politiques africains se défaire de certains partenaires trop envahissants, trop encombrants et se créer un environnement nouveau par lequel ils peuvent appréhender un meilleur développement de leurs pays. «Il est évident que l’argent et le matériel sont très importants pour le développement mais une pensée saine, claire est de nature à mieux mobiliser les ressources.»

Yao Métsoko aime le président américain Obama, son sens du devoir : «Face à ce que Obama appelle « l’urgence du moment », il faut asseoir un pays non pas seulement sur des intérêts individuels cumulés mais une vision collective à l’intérieur duquel chacun trouve sa place. Ainsi l’individu se doit de servir sa nation ou ce qui le dépasse et en même temps reçoit en retour ce qui lui revient de droit en toute objectivité. C’est bien là, la dialectique entre l’Homme et son environnement, le politique et la chose publique.»

Il est un rêveur patenté, au bon sens du terme, il pense réaliser un espace culturel à Sanguéra au Togo pour valoriser les créations locales et les jeunes créateurs togolais et africains. «Cet espace deviendra une résidence artistique pour favoriser une émulation culturelle et artistique dans la région. Il sera basé à Sanguéra, à environ 18 km au Nord-Ouest de Lomé sur la route de Kpalimé

Metsoko a déjà été aperçu sur plusieurs chaînes de télévisions avec sa peinture et sa sculpture – « Mère et enfant » sur Télésud, « Lady vous écoute », Ecolib-TV, regard monde avec Musée du Vivant, 3A Télésud « Afro Night », télé TNA « Coulisses et Culture », « ô quotidien » France Ô- mais il est resté humble, décomplexé. Cette année, il exposera aussi bien en galerie que dans les salons : Montbéliard, Draveil, Montmagny, Paris (Sofa Shop, Place aux artistes ! le Printemps de la Diversité), La Défense, Pantin…

Yao Métsoko est marié et père de deux enfants, 10 et 8 ans, qui ne seront jamais écraser sous des mamelles. Ils n’entendront même pas au loin le rythme des seins du Génie Mamelle. La bénédiction de la mère de Yao Métsoko est sur lui et son chemin est balisé pour de belles conquêtes. Ses œuvres sont vraiment poignantes et témoignent de la vitalité de l’art moderne africain.

L’exposition s’est déroulée à la Médiathèque de Montbéliard du 9 février au 20 mars 2010

 

Gaëtan Noussouglo© Togocultures

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