Kossi Sénam de son vrai nom AMADOTO Kossi Sénam, médecin gynécologue-obstétricien officiant dans une clinique privée et à l’Ecole Nationale des Sages Femmes à Lomé, a signé son premier roman intitulé Un hôpital des morts, paru aux Editions Société des Ecrivains à Paris. L’histoire de la naissance de ce roman est atypique. L’auteur avoue qu’au départ, entre 1997-98, en pleine formation, il jetait des idées pêle-mêle, ébauchait rapidement quelques passages. En 1999, il soutint sa thèse de médecin et ouvre une clinique privée. Il y a un an, il revoit ses anciennes notes et eut l’idée de les continuer. Le roman est né. Sa publication est tout aussi inédite pour des romanciers de nos pays : tout a été négocié sur Internet !
Une intrigue classique
L’intrigue est presque classique. Le projet de construction d’un hôpital dans une communauté villageoise reçoit d’abord un accueil chaleureux. Seul problème : le site choisi par décision de la capitale pour l’érection de cette formation sanitaire est un site considéré par les villageois comme maudit et hanté par des esprits. Ces braves gens ont essayé de s’opposer au choix du lieu. Un détachement de gendarmerie est envoyé pour mater la « rébellion » et réduire les velléités d’opposition à la décision concernant le lieu d’implantation de l’hôpital. Un lourd silence et une indifférence totale furent la réponse des populations non comprises et non impliquées dans un aussi bon projet.
- Dr Kossi Senam Amadoto
L’hôpital est construit ; le premier médecin y est affecté. Etant donné que dans la mentalité du milieu, il vaut mieux mourir de sa maladie que d’aller se faire soigner dans un endroit maudit, personne ne visite l’hôpital. Le médecin va courageusement affronter ce problème. Avec le Chef du village, il entreprend de comprendre la population, de discuter avec elle et de la convaincre. L’idée de sacrifice de désenvoûtement du lieu est acceptée. L’hôpital est donc réhabilité dans la mentalité de ces villageois.
Le médecin doit faire face à un autre problème, cette fois-ci sanitaire. Il y a trop de cas de paludisme dans le milieu à cause de la proximité de plantations rizicoles non désinsectisées, exploitées par des Chinois. Soigner exige d’assainir aussi l’environnement. Le propriétaire de l’usine chinoise eut raison du bon sens du médecin. Celui est affecté du bled par des politiciens. Dépité, ce médecin prendra t-il le chemin de l’exil forcé ?
Une fiction qui rejoint la réalité
Il y a comme un goût d’inachevé dans ce roman fort intéressant de Kossi Sénam, une œuvre purement fictionnelle mais qui coïncide bizarrement avec des histoires écoutées ici et là : un centre de santé construit dans un lieu sacré d’un village situé à une soixantaine de kilomètres de Lomé dans lequel les deux premiers infirmiers affectés sur les lieux de soins publics décèdent l’un après l’autre ; le troisième survivra quand les villageois ont été enfin mis à contribution ; un ancien cimetière de bannis donné pour abriter un lycée dans un autre village des plateaux, parce que la population, composée de cultivateurs de caféiers, ne voulaient en aucun cas se séparer de leur terre même si c’est pour qu’on y érige une école. Conséquence, l’établissement scolaire doit enterrer à chaque année scolaire un ou plusieurs de ses élèves décédés. Enfin, des latrines publiques construites par un projet dans un village d’agriculteurs qui font leurs besoins aux champs. Là, les braves cultivateurs ont tout simplement transformé ces latrines publiques en magasins de stockage !
Des projets de « développement » ubuesques qui plongent nos pays dans l’endettement. L’auteur n’avait eu vent d’aucune de ces histoires qui interpellent tout autant que l’intrigue de son roman sur la problématique des projets de développement en Afrique. Les décideurs réalisent-ils à suffisance que les projets de développement sont pour l’homme, le citoyen lamda et, qu’en tant que tel, son avis aussi importe ? Que de projets restés inachevés ou sans lendemain, parce que n’ayant pas suffisamment intégré des dimensions socio – culturelles dans leurs conceptions ? Que de raffineries construites dans des pays non producteurs de pétrole, que d’éléphants blancs érigés et abandonnés du jour au lendemain, plongeant nos pays dans des cycles d’endettement infernaux ! Des projets ubuesques surtout surgis d’imaginations malades, dans les années 80 ont été préjudiciables à beaucoup de pays africains, ouvrant du cas des programmes d’ajustement structurel.
L’homme doit être au début et au centre de tout développement. Le développement durable est forcément un développement participatif.
Les thèmes traités
Un hôpital des morts n’est pas une métaphore pour dénoncer la situation déplorable des hôpitaux dans les pays pauvres. Si par définition et par vocation un hôpital doit soigner et préserver la vie, celui qu’on ne fréquente pas est un hôpital des morts ; il ne joue pas son rôle.
Outre le thème des projets de développement, l’auteur aborde aussi celui de la fuite des cerveaux. Ce médecin bien formé dans un pays occidental et qui revient au pays par patriotisme, se verra forcé de reprendre le chemin de l’étranger parce que les conditions pour un bon exercice de sa profession ne sont pas remplies dans son propre pays ! Quel accueil est réservé aux élites dans nos pays ? Les dirigeants politiques favorisent-ils le retour au pays des compétences formées à l’extérieur, forcées de servir les autres ? Que de gâchis avec la mauvaise utilisation des compétences en Afrique. Enfin, Kossi Sénam s’interroge sur la mortalité en Afrique due aux hémorragies après accouchement.
Kossi Sénam n’a pas fait un roman « médical » mais une œuvre romanesque à la portée de tous : « je ne suis pas beaucoup resté dans mon rôle de médecin », confesse t-il.
Un Hôpital des morts , Société des écrivains, 2010, 120 pages, 12 euros
Cyriaque NOUSSOUGLO © Togocultures