D’aucuns ont réservé le soir du samedi 21 mars pour aller vivre et toucher du doigt avant leur clôture les Veilles Théâtrales de Baguida, le tout nouveau festival des arts de la scène lancé par la Compagnie 3C du Togo en partenariat avec la Maison des Artistes. Mais la pluie considérée par certains comme une bénédiction du ciel sur l’événement qui est à sa première édition, aura obligé d’autres à renoncer à leur projet de faire le déplacement de Baguida, banlieue est de Lomé.
N’empêche cette quatrième et dernière soirée a tenu plus que ses promesses puisque le public présent, estimé à plus d’une centaine de personnes a pu communier dans une délicieuse intimité avec quelques grands noms de la scène théâtrale togolaise parmi lesquels Ablodévi Eklu-Natey, Frédéric Gakpara, Béno Sanvee Allouwasio, Eustache K’mouna, David Ganda…
Mais chronologiquement c’est avec une lecture-hommage à l’écrivain et grand homme de théâtre congolais Sony Labou Tansi décédé en 1995 que la soirée a débuté. Le texte entendu ce soir-là à la devanture de la Maison des Artistes dénommée « Théâtre Ouvert » est un assemblage d’extraits d’entretiens accordés par l’auteur congolais à l’universitaire et critique de théâtre Bernard Magnier sur le théâtre, la vie et l’engagement de l’écrivain. Lecture très dynamique et ludique malgré le caractère intellectuel du propos. Sous la direction du metteur en scène Rodrigue Norman, les artistes en résidence Nafissa Songhaye, David Ganda, Novignon Kodjovi-Noumado, Edem Modjro, Seyram Agbalékpor et Joel Ajavon ont su rendre claire et limpide toute la complexité de la pensée de cet auteur pétri d’une grande lucidité sur les enjeux divers de notre monde. A écouter les idées lumineuses de cet auteur, on peut regretter que ses pièces soient si peu jouées au Togo et en Afrique. La tempête de sable et de vent qui est entrée en action en plein milieu de la lecture, obligeant les acteurs à entrer en résistance avec la nature, a largement contribué à donner une dimension presque mythologique aux réflexions de l’auteur de « Je soussigné Cardiaque » et de « Antoine m’a vendu son destin ».
Néanmoins dans ce bras de fer entre la nature et les artistes, c’est la nature qui aura repris ses droits obligeant ces derniers à se replier à l’intérieur de la maison des artistes pour poursuivre la soirée. Nécessité faisant loi, les artistes ont adapté les espaces du garage et de la terrasse qui ont pu contenir une centaine de personnes leur évitant ainsi d’être mouillé par la pluie torrentielle de la mi-mars. Aussi c’est dans un rapport quasi intimiste que s’est déroulé le spectacle « Enyagan ou paroles sublimes » de la compagnie Ziticomania dans lequel évoluent Béno Sanvee Allouwsio, Anani Gbétéglo et Eustache Kamouna. Spectacle total où contes rivalisent avec musique faite de chants, saxophone, guitare et percussion à base de calebasse. Grand moment pour le public de Baguida de se voir offrir cette brochette de grands artistes dont Frédéric Gakpara, l’un des grands humoristes de la place et directeur du Centre Culturel Denygba.
La première édition des veilles théâtrales de Baguida, le nouveau-né des festivals au Togo ne cache pas ses ambitions, celui de devenir l’événement incontournable des amoureux des arts de la scène au Togo et en Afrique. Organisé sur fonds propres et grâce au crawdfunding ou financement participatif, le festival a réuni sur quatre soirs des spectacles de théâtre, de contes, des performances, des stand-up, des lectures-spectacles. A noter l’appui exceptionnel à l’événement de l’Hôtel Ghis Palace sis à Baguida et de quelques habitants de la localité. En amont et pendant douze jours, une dizaine d’artistes dont six comédiens et trois metteurs en scène ont séjourné dans la Maison des Artistes pour préparer la lecture des vingt-un textes courts retenus à l’issue de l’appel à textes international lancé deux mois plutôt.
Pour ceux qui ont toujours douté de l’impact des événements culturels sur l’économie de leur pays, il ne serait pas inintéressant d’aller interroger les commerçants de la ville sur leur chiffre d’affaires durant les quatre soirées qu’a duré le festival. Mais « l’important, assure Rodrigue Norman, le Directeur du festival, ce sont les souvenirs impérissables que ces spectacles et ces rassemblements festifs auront laissé comme empreintes dans la mémoire des six cents cinquante spectateurs qui ont veillé avec nous ». Et à la question « quand reviendrez-vous ? », posée presque la mort dans l’âme par la revendeuse de pain au bord de la Nationale n°2, visiblement contente de ses recettes des derniers jours, le même Rodrigue Norman répond énigmatiquement: « quand vous le voudrez, madame». Mais à nous, parce que nous avons beaucoup insisté, il déclare que si les moyens sont au rendez-vous, la prochaine édition se tiendra peut-être en février ou en octobre 2016 avec cette fois-ci une ouverture aux spectacles étrangers.
Yaye Name© Togocultures