Togo: Le plasticien Sokey Edorh a inventé son propre alphabet pour s’affranchir des silences de l’Histoire

Quand le plasticien togolais Sokey Edorh devient le personnage d’une fiction romanesque, il aide l’écrivain à démêler l’écheveau d’une intrigue policière. Du moins, c’est ce que nous fait croire Kangni Alem dans son polar christiano-vodou La Légende de l’Assassin paru chez JC Lattès. Apollinaire, l’avocat descend des « plateaux » où son enquête sur K.A. parait un peu nébuleuse. Il fait escale à « Agou » chez le plasticien et performeur Sokey Edorh aux idées politiques novatrices pour lui acheter quelques tableaux.

Les nus de Sokey Edorh Photo: Gaëtan Noussouglo
Les nus de Sokey Edorh Photo: Gaëtan Noussouglo

« J’indiquai au chauffeur le chemin de l’atelier, mon intention étant de faire quelques achats pour ma collection de tableaux.

Un jeune homme nous accueillit et nous fit patienter. Le peintre était à l’étage de la maison, entièrement construite en terre stabilisée. Une originalité dans cette région d’orages et de tempêtes, où l’on édifiait en dur. Il fut croire, à en juger par la patine des murs, que la terre stabilisée résistait tout autant aux intempéries.

« Le désert s’étend, mon désert s’étend. L’horizon de l’espoir est loin de moi. »

La phrase s’étalait sur un panneau à l’entrée de l’atelier que je décidai de visiter en attendant le maitre. Elle me surprit, car d’aussi loin que je l’avais connu, à travers ses prises de position publiques, ses performances, l’artiste Sokey m’avait toujours paru lucide. Lui, observateur engagé d’une des démocratures les plus roublardes que le continent fabriquait ces derniers temps, céderait-il aussi au conformisme ambiant des citoyens de TiBrava toujours prompts à séparer le monde en deux entités, les vertueux et les pourris. A moins d’y voir dans ces propos, chez l’ancien étudiant de philosophie, un écho lointain de Nietzsche, de son cri répétitif dans les Dithyrambes pour Dionysos : le désert croit, malheur à qui recèle des déserts ? Auquel cas le propos censé éclairer la totalité d’une vision plastique, perdrait sa résonance tragique et rejoindrait l’appel du philosophe à l’artiste : activer les puissances d’innovation contre les forces du chaos, supputer l’espoir autrement.. il me semble que la démarche de Sokey, son imaginaire depuis des années, obéissent généralement au schéma d’une lutte sans merci contre l’avancée de l’empire des déserts de l’esprit. Ce dont TiBrava avait le plus besoin.

Le nouveau langage de Sokey Edorh Photo PetitosJe plongeais dans un atelier où tout l’ADN du peintre m’était exposé. Depuis ses premiers tableaux travaillés à l’acrylique ou à l’huile, jusqu’aux plus récents caractérisés par le règne de la latérite et des pigments non chimiques, tout l’effort de l’artiste semble avoir été de donner un sens à la technique picturale elle-même. Les tableaux de la première époque, rarement académiques dans la manière de traiter les thèmes chers à l’artiste, l’étaient un peu dans le choix des matériaux. Cependant, quelques tableaux annonçaient le changement à venir. Le Policier attente, par exemple, réalisé à la base d’une décoction de henné, qui met en situation un fonctionnaire de police véreux, au ventre disproportionné, ayant érigé un barrage à l’entrée d’un marché pour escroquer les revendeuses. Impression de familiarité. Le monde dans lequel l’artiste évolue pullule de signes de toutes sortes. Maxime, proverbes, voire des dictons détournés à des usages peu orthodoxes. On est loin du bricolage non pensé. Rassemblés sur la toile, ces idéogrammes donnent l’impression d’un fouillis de signes au regard du profane. Mais ne le sommes-nous pas un peu tous, devant cette construction personnelle rigoureuse où formes et couleurs se répondent ? La toile des abeilles viennent s’y poser dans les alvéoles chromatiques, chaque signe avec sa puissance de suggestion, sa richesse graphique, ses potentialités d’interprétation. Le peintre a inventé son propre alphabet et peut s’affranchir des silences de l’Histoire, donner une forme à ses intuitions. »

in Kangni Alem, La légende de l’assassin,Paris, JC Lattès, 2015  Pages 153-155

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