Le 1er août 2016, le sculpteur des mots, Toussaint Cossy Guénou est parti rejoindre ses maisons les nuages dans sa 68e année. Le 9 août 2016, François Ablodévi Eklu-Nattey passe derrière les rideaux après avoir joué son rôle. Ces deux hommes qui sont partis rejoindre la lumière se connaissaient bien. Le 9 août 1997, comme s’il savait que le comédien à la voix de Stentor partira ce jour-là mais 19 années plus tard, le poète donnait ce témoignage éloquent de l’homme de théâtre. En attendant de revenir sur la vie du doyen des comédiens togolais, Togocultures vous propose le poème en intégralité.
RECONNAISSANCES ET TEMOIGNAGE: Tu es Grand François
I
Donnez à un homme une bonne voix
Un corps bien bâti
Un cœur ouvert à la beauté
Et aux milles variantes de l’Emotion
Dites à cet homme
Tu ne vivras pas sur île
Ni dans un désert ni au KAMTCHATKA
Bien que tu adores l’exil le rêve et l’évasion
Donnez à ce doué, à ce chorégraphe
Du verbe du rythme et de la parole faite chair
Donnez – lui dis- je
Juste une planche, un tréteau, une rampe
Pour qu’il soit à jamais
Un homme des planches
Un comédien
Un dramaturge pointu et têtu.
Quand vous aurez réussi ce tour de force
Quand vous aurez destiné cette ETOILE du jeu scénique
Quand vous aurez réussi ce chef-d’œuvre
Vous aurez alors enfanté à coup sûr
Un esprit libre
Une âme vaste
Un homme franc Drapé d’un prénom presque commun : François
Oui, ce phénomène rare et précieux est présent ici et maintenant
Cet esprit aérien insoumis comme tout créateur
Se prénomme Ablodevi de souche EKLU-NATEY
I I
Et il a la voix, une voix de stentor
Et il a la taille, une taille à la fois herculéenne et majestueuse
Et le talent, il l’a fécondant
Bravo Ablodevi, Bravo DOYEN.
Mais cette étoile voisine du soleil
A sa face sombre
DOYEN Ablodevi François
À mi – chemin d’un siècle d’existence
Tu es au zénith de la gloire parfumé
À un moment où nous trouvons le pain
Du mil et du froment plus doux et
plus consistant que tous les pains de l’esprit.
Si nous ne comprenons pas ton choix
Si nous ne te suivons pas
Est-ce notre faute ?
Tu le sais très bien
Tous les hommes sont POEMES
Mais
Tous ne sont pas POETE comme toi.
Poète du geste,
Poète du DIRE et du LIRE
Le poème écrit grâce à ton génie
Grâce à ta magie
Se fait spectacle devant le public enchanté.
Tes cheveux grisonnants vont au fil des ans
Prendre la blancheur du coton – neige
Comme la toiture de l’Himalaya
Et tu auras comme cette chaine de montagne
A t’élever en grandeur et en dignité
En sagesse et en humilité aussi
Tu seras sans doute entouré
D’une marmaille friande de bonbons
Et avide de plaisirs faciles et parfois vils
Tu auras à en souffrir
Tu en pleureras même
Mais que veux-tu cher ami mon frère ?
Tu es fait de l’étoffe des grands
Ta chair est faite de la pâte des géants
Et les vrais génies ne viennent
par domaine, que seul et solitaire par siècle.
Un seul à la fois et par siècle
Il te faudra donc sagement et stoïquement
Jouir de la solitude cette grâce des PIONNIERS
Ceux qui posaient les fondements de l’Amérique la Grande.
Avaient le regard forcené des fous
C’étaient en réalité visionnaires qui
Voyaient déjà dans la boue des mines d’or
la RADIANCE de la grandeur de ce futur
PARADIS ombragé de gratte – ciel
Nous t’avons vu à l’œuvre
L’Ecrivain laisse des écrits
Le plasticien ses tableaux
Et ses œuvres sculptées.
Que nous laisseras – tu François
Une fois le rideau tombé
Les feux de la rampe éteints,
Et les coulisses déménagés
Ce ne sera pas à toi de répondre
Mais la réponse viendra et devra venir
De nos frères des Mass – média
Eux qui sont nos créateurs voisins
Et qui créent l’ossature féerique
Qui tient lieu de support éternel
A l’écrit, à la parole, aux sons et à l’image
I I I
François,
Je sais comme toi
Qu’il n’y a pas que des maladies contagieuses
Il existe aussi des vertus, Contagieuses
Et tu as contaminé le monde culturel
et artistique du Togo et d’ailleurs.
François
Je sais que ta carrière de comédien
Ne te garantit ni l’or ni le sel
Et que tu vis plus du pain de l’Esprit
Que du pain du boulanger
Et tu as appris à être serein
Dans la disette et parmi les rapides
Eclairs de l’abondance
François
Je sais que tu es visionnaire
Et que ta grande satisfaction
Est dans cette lueur qui pointe à l’horizon
Et qui n’est que l’éclat naissant
Des médailles d’or qui brilleront
Dans le ciel culturel et artistique
du Togo
du siècle prochain
François notre DOYEN bien – aimé
Nous te respectons
Nous t’admirons
Nous te saluons et te hissons
Plus haut que la gloire
Cossy GUENOU
Poète et dramaturge Togolais
- 08. 1997