Rencontre – Mensah Hemedzo Romancier solidaire

La loi du bouc emissaireThésard en littérature francophone à Strasbourg, Mensah Hemedzo vient de publier La Loi du bouc émissaire, un polar dont les recettes permettront d’achever la construction d’un collège au Togo, son pays d’origine.   par Philippe BOHLINGER, correspondance de Strasbourg

Ecouter Mensah Hemedzo parler de son pays, le Togo, c’est comme ouvrir un conte philosophique de Voltaire, tant l’absurde côtoie l’insensé dans cette petite bande de territoire bordant le golfe de Guinée, dirigée par un régime autocratique depuis son indépendance. Le discret étudiant togolais arrivé à Strasbourg il y a trois ans pour mener une thèse en littérature francophone cite un exemple parmi d’autres : dans ce pays de 4,4 millions d’habitants, « l’ancien dictateur a fait éditer une bande dessinée à sa gloire intitulée Il était une fois Eyadema. A l’époque, chacun devait l’avoir chez soi », raconte le jeune homme âgé de trente ans.

Le Togo de Mensah, c’est aussi un pays où les habitants doivent parfois pourvoir eux-mêmes à la scolarisation de leurs enfants. « Les élèves du canton de Nyogbo-Agbétiko, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Lomé, devaient faire des kilomètres à pied pour aller au collège, ce qui entraînait des abandons de scolarité. Lors de la campagne présidentielle de 1998, le président a signé un décret annonçant la création d’un collège dans ce canton de 5 000 habitants. Mais les villageois n’en ont jamais vu la couleur. Trois ans plus tard, ils ont donc démarré la construction de classes et collecté des fonds – 1 000 francs CFA par famille – pour pouvoir embaucher huit professeurs. Aujourd’hui, quatre salles de classe fonctionnent mais elles sont en matériaux rudimentaires, ce qui pose des problèmes à la saison des pluies. »

Un projet novateur

De quelles armes dispose donc un modeste étudiant passionné de littérature francophone – sa thèse porte sur l’histoire littéraire du théâtre togolais – face à des injustices aussi criantes ? Peut-être d’une bonne plume. Mensah a commencé à l’exercer dans un hebdomadaire togolais, Nouvel écho, en publiant sous un pseudonyme une nouvelle en neufs feuilletons baptisée Il était une fois Roberto. Une parodie au vitriol de la bande dessinée Il était une fois Eyadema !

Plus récemment, Mensah Hemedzo s’est lancé dans l’écriture d’un polar intitulé La Loi du bouc émissaire. L’ouvrage est devenu un véritable « roman solidaire », car les droits d’auteur permettront de financer la construction de murs en béton pour le collège de Nyogbo-Agbétiko. Un projet pour lequel cet étudiant a su fédérer l’énergie de ses amis et de deux groupes de jeunes chrétiens alsaciens.

Tout a démarré lors d’un séjour au Togo : « La situation socio-économique du pays s’était fortement dégradée. J’ai également mal vécu ce retour au pays, car les gens manifestaient des attentes à mon égard. Ils imaginaient que j’avais fait fortune. » Revenu dans la capitale alsacienne, Mensah Hemedzo lance avec sept amis l’association Plumes 2 cœurs.

C’est Anne-Gaëlle Coyard, la trésorière de l’association, qui a eu cette idée en or : pourquoi ne pas publier l’ouvrage écrit par Mensah ? La Loi du bouc émissaire se déroule à Strasbourg sur fond de campagne présidentielle dans un pays imaginaire : la république démocratique de Bellowie, une allusion à l’artiste togolaise Bella Bellow (1945-1973) qui fut l’ambassadrice de la chanson togolaise dans le monde. Le personnage principal, William Canada, partage certains traits de-caractère avec l’auteur : « Comme moi, il ne jure que par Will Smith, l’acteur américain des Men in black ! » Mais ce n’est pas le seul point commun… En effet, dans ce polar, le personnage principal retrouve la foi grâce à une rencontre avec Albert Weiss, un personnage inspiré par Frédéric Setodzo, le pasteur franco-togolais qui a notamment monté une chorale de gospel dans le quartier réputé « chaud » de Hautepierre. « Je voulais lui rendre hommage. »

Mis en confiance, Mensah souligne qu’il a reçu « une éducation protestante forte » et livre le sens profond de cet épisode : « C’est une métaphore de mon propre cheminement spirituel. En effet, j’ai été fortement marqué par la mort de mon père. J’avais quatorze ans et je l’ai vu mourir d’une crise cardiaque sous mes yeux. Quelques instants avant de s’effondrer, il m’avait demandé d’aller lui acheter des beignets. Au Togo, c’est le père qui est le pilier financier du foyer. Après sa mort, notre situation s’est dégradée au point que l’on ne mangeait plus qu’une fois par jour. C’était trop dur à supporter pour moi. Je me suis rebellé. »

C’est un passage de Jérémie 18 qui aidera l’adolescent à retrouver son chemin : « J’ai compris que Dieu est un potier et que nous sommes l’argile et que l’argile ne peut pas guider la main du potier. » Isabelle Gerber, secrétaire générale des Equipes unionistes luthériennes (EUL), un mouvement protestant de jeunesse, témoigne de « la foi très assise » de Mensah qui, depuis trois ans, fait partie de sa trentaine d’animateurs. Lorsqu’il lui a parlé de son idée, Isabelle Gerber a dit : « Chiche ! ». « Depuis quelques années, nous lançons des projets diaconaux orientés autour de la solidarité, qui rencontrent un succès étonnant auprès des jeunes. Pour 2008, nous avons opté pour le Togo. »

Enseigner, son autre passion

La paroisse catholique de Mertzwiller (Bas-Rhin) s’est également lancée dans l’aventure après avoir découvert le projet de Mensah dans la presse. Ce sont donc au total une soixantaine de jeunes et leurs accompagnateurs qui s’envoleront pour l’Afrique l’été prochain pour aider des professionnels du bâtiment à construire les murs du collège.

C’est peut-être sa bosse du commerce qui a aidé Mensah dans son entreprise. « J’ai mené un vrai travail de lobbying auprès de l’université Marc-Bloch qui a accepté d’imprimer gracieusement le livre. J’avais une petite expérience, car au Togo je m’occupais des affaires de ma mère qui était revendeuse de charbon. »

Le jeune homme a une seconde passion : l’enseignement. Malheureusement, c’est là que les étrangetés de la république démocratique de Bellowie deviennent réalité. « J’ai démarré ma thèse avec l’idée d’enseigner plus tard à l’université de Lomé. Mais il faut prendre le manteau du parti pour obtenir un poste et je ne peux m’y résoudre. J’ai un ami qui enseigne au Canada. Il semblerait que les chaires de littérature francophone soient très nombreuses dans les pays anglophones et les sciences humaines mieux valorisées… » Ou comment un pays décourage ses têtes chercheuses.

 A lire

La Loi du bouc émissaire, Mensah Hemedzo , édité par Plumes 2 cœurs , juin 2007, 185 p., 12 euros.

(06 83 98 96 92)
L’ouvrage peut être commandé par Internet sur le site oberlin.fr

 Repères

Naissance le 28 juin 1977 à Agou, au Togo.
1991 : décès du père de Mensah Hemedzo.
2000-2001 : publie Il était une fois Roberto dans l’hebdomadaire togolais Nouvel écho.
2004 : arrive à Strasbourg pour sa thèse en littérature francophone.
juin 2007 : publication de La Loi du bouc émissaire.

http://www.reforme.net/archive2/article.php?num=3248&ref=2702

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