Le vingtième anniversaire de la mort de l’écrivain congolais, commence mal. L’ami Théo Ananissoh, écrivain d’origine togolaise basé en Allemagne, vient de publier Le soleil sans se brûler aux éditions Elyzard, un roman où il est question de Sony Labou Tansi.
Par Bedel Baouna
Style allègre ; tempo vif ; une construction parfaitement maîtrisée. Il annonce toujours ce qui va suivre. La balade dans Lomé, qui clôt le roman, de l’Ambassade de France à Adidogomé – une ville en soi -, est tout simplement époustouflante ; cette balade montre que les deux principaux personnages marchent et bavardent de concert sur et pour Sony. Un roman superbement écrit mais terriblement risqué. L’histoire : en 1995, le narrateur, Théo – donc, l’auteur lui-même – retourne à Lomé et rend visite à son ancien prof de lettres, Améla, Docteur d’Etat de la Sorbonne et agrégé de lettres, ministre éphémère, emprisonné parce qu’il aurait reçu 20 millions de FCFA afin de créer un parti politique fantoche. Le prof et l’homme politique déchu, devenu misérable, parle de Sony Labou Tansi à son ancien étudiant et lui a même conseillé de soutenir une thèse sur l’œuvre de l’écrivain congolais. Améla et Sony se sont rencontrés aux USA en 1980. Une fondation du gouvernement américain les y avait invités tous deux pour un mois et demi. Ils avaient vécu et sillonné le pays ensemble. Dès lors, ils ne quittent plus. Sony Labou Tansi a donné une conférence à Lomé, où il souhaiterait reposé après avoir rejoint les limbes, car il souffrait du Sida.
Le soleil sans se brûler n’est pas une fiction, c’est une histoire réelle que nous rapporte Théo Ananissoh. Il a bâti son roman sur un livre peu connu des gens, Soni Labou Tansi à Lomé, suivi de Sony Labou Tansy : L’Amérique et moi de Yao Edo Améla, un livre- témoignage de Greta-Rodriguez Antoniotti sous la direction d’Alain Ricard. Théo Annanissoh connaît bien l’œuvre de Sony Labou Tansi puisqu’elle a fait l’objet de sa soutenance de thèse. Mais, pages 20 et 21, il reconnaît qu’il avait « accordé foi à des écrits bâclés, livrés avec hâte et sans réflexion véritable. Ces romans de la fin (bien sûr de Sony) sans queue ni tête, ces pièces de théâtre annuelles qu’avait financées quatre, cinq ans de suite un festival à Limoges, en France… Facilité, politique, manipulation. » Est-ce crédible cette forme de prise de conscience tardive ? N’est-ce pas un mensonge à soi ?
Un nid de jugements de valeur
Le roman, au-delà de sa forme splendide, distille par endroits un malaise profond. Un parfum de condescendance, peut-être même de jalousie, plane sur Le soleil sans se brûler, Théo Ananissoh ayant porté haut l’étendard du jugement de valeur.
Sony Labou Tansi, simple villageois, prof de collèges ; Sony Labou Tansi, un ngaya, c’est-à-dire quelqu’un qui s’habille mal, même en hiver il porte un boubou… Faut-il être né en ville pour être écrivain ? Faut-il être prof d’université pour écrire des livres ? Sony Labou Tansi, un tribaliste. Ok ! Certains passages de ses romans pourraient prêter à confusion. Dans L’Anté-peuple, par exemple, pages 58-59, on lit : « Dadou étouffait dans son bureau, il appela le chauffeur. Mais Landou n’était pas là. Il fallait encore lui foutre une paire d’injures à ce Muyombe. » Et, page 68, de poursuivre qu’un « homme d’ici, un Mukongo ne pleure pas, un Mukongo du clan Kikwimba, totem singe, ça ne connaît pas les larmes ».
Chacun sait le style de Sony et son attachement à la terre. N’écrit-il pas dans Les Sept Solitudes de Lorsa Lopez : « On n’est jamais de nulle part. La terre nous marque. Elle nous met au monde. » ? Sony Labou Tansi le répète dans son entretien avec Maryse Condé. Affirmer sa singularité ne signifie pas être tribaliste. Sans affirmation de singularité, pas d’universalité. Sinon nous serions dans la situation de cet étudiant moqué et raillé par Rabelais qui, prétendant parler toutes les langues du monde, n’en parlait en fait aucune, faute d’avoir commencé par apprendre la sienne. Oui, affirmer sa singularité, c’est s’aimer, se respecter, sans sombrer dans la perversion de l’amour-propre ou du repli ethnique.
Dans Le Soleil sans se brûler, « La vie et demie, L’État honteux, L’Anté-peuple sont les trois romans lisibles de Sony. Les autres, c’est du n’importe quoi ». Et, quelques phrases plus loin : « Son premier roman était déjà le fond du puits. Il n’avait qu’un roman en lui et il l’a sorti d’emblée avec brio. Comme il n’est pas instruit mais plutôt brut, cela ne peut qu’être ainsi. »
On l’aura compris, Sony Labou Tansi n’était pas instruit mais il a écrit La vie et demie. On reste perplexe devant une telle contradiction. D’accord, Sony a écrit quelques romans fantaisistes, dont Le commencement des douleurs qu’il n’a d’ailleurs pas achevé. Mais il a écrit aussi La parenthèse de sang, une œuvre unanimement saluée par la critique. Un fleuve en cru qui emporte tout sur son passage. Et cette pièce de théâtre n’est pas citée dans le roman de Théo Ananissoh. Bizarre !
Le personnage d’Améla manque de crédibilité. C’est un homme politique. Un menteur, donc. Et, à aucun moment, le narrateur ne met en doute le discours d’Améla sur Sony. Qui peut croire que Sony Labou Tansi pût manquer de billet d’avion Paris-Lomé pour aller mourir au Togo ? Comment faisait-il alors pour payer ses soins médicaux à Paris ? Sans doute avec sa Carte vitale ! Trêve de plaisanterie ! Son éditeur et ses amis du festival de Limoges l’avaient-ils fui à ce point ? Et son salaire de député ? Autant de questions qu’aurait dû soulever le roman.
En fait, Le Soleil sans se brûler pêche par son impudeur et finalement sa réalité crue. Or « Le génie du roman réside dans le possible ; il ne réside pas dans le réel. » (Thibaudet) Question : peut-on soutenir une thèse sur une œuvre littéraire sans, au préalable, un préjugé favorable sur cette œuvre ?
Bedel Baouna
Photos dans l’article : Couverture du livre et l’auteur d’origine togolaise, Théo Ananissoh
Source : web-afc.info