Ne nous méprenons pas, il s’agit bien de la tradition poétique, du moins, la plus proche, celle transmise par ceux pour qui les chants les plus désespérés sont les plus beaux, même si, ici, le désespoir, ou plutôt « la désespérance » laisse toujours transparaître des lueurs d’espoir. En effet la poésie de Macy Mensah-Pierucci, définie par le préfacier, Edem Kodjo (l’autre poète), comme un « jeu d’ombres et de lumières », est avant tout un songe prémonitoire qu’annonce le titre inspiré de paroles prophétiques : « Sentinelle ! Que dis-tu de la nuit ? La nuit est longue, mais le jour vient. »
Le jeune poète s’est donc abreuvé aux sources intarissables de la tradition pour libérer son langage nouveau, c’est-à-dire, original, ceci, pour deux raisons, au moins.
En effet, la thèse de GOETHE est tellement bien connue qu’il est inutile de la développer une fois encore. Nous la rappelons cependant : » Tout grand écrivain n’écrit qu’un ou deux poèmes qu’il réécrit à l’infini » ; ceci, pour soutenir que les germes de toute la création poétique se trouvent en gestation dans le premier cri. Cri de douleur et/ou cri de délivrance ? C’est nécessairement l’annonce d’une naissance. Ainsi, le poème liminaire de ce premier recueil de Macy Mensah-Pierucci. « Etre un homme », concentre et densifie une épaisseur sémantique que déroulent la trentaine des poèmes qui le suivent. Il fonctionne ainsi comme un prologue qui, traditionnellement, campe le décor d’une tragédie classique : la thématique centrale du recueil y est explicitement déclinée : « l’aube tant espérée » succède nécessairement à la « nuit chaotique ». C’est apodictique.
Dès lors, le poète, par catharsis, résorbe son aphasie mentale dans sa trentaine de titres qui le libèrent de sa « crise identitaire » pour en faire un citoyen « libre, tel un étendard ». On a l’impression que le poète s’est longtemps retenu avant de se libérer par un cri déchirant, néanmoins canalisé, puisque le style n’est nullement violent, même s’il est agité par endroit. Et, par modulation, le cri déchirant ne pourrait ne pas s’accompagner de la libération du « torrent séminal » tel que le vivait Senghor à la faveur de la complicité de la nuit enivrante de Sine. Ainsi, l’esthétique poétique de Macy Mensah-Pierucci la rapproche de David DIOP dont les incessants « coups de pilon » (coups de boutoir ?) figurent « le tam-tam tendu comme un sexe de victoire » et qui « halète sous les doigts bondissants du griot ». C’est pourquoi, « la jouissance textuelle » se rapproche ou se confond naturellement à « la jouissance sexuelle » (chère à Daniel LAWSON- BODY de regrettée mémoire).
De ce fait, …Le Jour vient est à tout égard une poésie de l’urgence par laquelle Macy Mensah-Pierucci qui doit répondre à « un besoin partagé » transformera le destin inique qui se profile à l’horizon en « destin unique ». Cette urgence expliquerait également l’allure parfois incantatoire des vers et qui semble vouloir conjurer le mauvais sort. Aussi, pourrait-on justifier les abondantes reprises anaphoriques, tantôt interpellatrices, (« Qui te… »), tantôt possessives, (« Ma ville…»), ou d’appropriation, (« Nous nous sommes… »), parfois de refus ou de négation (« Ne m’enfermez pas… »).
Par ailleurs, tout lecteur averti découvre que la poésie de Macy Mensah-Pierucci est structurée par l’ »harmonie des contraires », chère à HUGO, et qui réconcilie les extrêmes. En effet, le poète s’adonne souvent aux jeux d’opposition qui justifient l’expression « jeu d’ombres et de lumières » et qui résument le tragique existentiel des pays et de l’Afrique toute entière. Mais, par l’alchimie verbale, les sujets douloureux, éprouvants et tragiques comme l’oppression, la misère voire la mort sont édulcorés et le lecteur se délecte du style, tel un nectar qui enrobe l’amertume puisque, ici, la « la substantive moelle » est aussi viatique que les entrailles du pélican dont il nourrit ses petits.
Finalement, le vécu quotidien que décrit Macy Mensah-Pierucci. devient sous sa plume une tragédie d’autres temps qui ne nous concernerait pas. Et pourtant…
C’est pourquoi l’une des solutions qui pourraient éloigner le sceptre du chao qui se traduira par le mugissement de la volonté de puissance de la « ville en colère » serait le pardon que Edem Kodjo décrypte dans le poème « il est venu le temps ». Et, à cet effet, on comprend l’élan passionné de son style dans les dernières lignes de sa préface, si l’on sait qu’il demeure dans notre pays l’un ou le premier théoricien du Grand Pardon, même s’il a souvent été un incompris, comme l’attestent des révélations dans la biographie que lui a consacrée Venance Konan, Edem Kodjo, un homme, un destin.
Poésie des désillusions et poésie d’espoir, … le Jour vient est surtout un murmure mélodieux de la brise matinale qui annonce un jour nouveau. Quel baume au cœur ! Merci Macy MENSAH-PIERUCCI.
Guy Kokou MISSODEY
Bio Express
Macy MENSAH-PIERUCCI est née à Abidjan. Docteur en Droit, elle a occupé plusieurs postes de responsabilité en tant qu’administrateur civil. Elle est actuellement directrice générale de la consolidation de la démocratie et de la formation civique au ministère des Droits de l’Homme, de la Consolidation de la Démocratie et de la Formation civique à Lomé et enseignante vacataire à la faculté de droit de l’Université de Lomé et à l’École Nationale d’Administration.
Femme de foi, femme engagée, militante des Droits de l’Homme, passionnée de littérature, elle veut partager à travers ce recueil fait de jeux d’ombres et de lumières, écho du douloureux enfantement de la démocratie en Afrique et dans son pays, le Togo, son indignation et son espoir.
… le Jour vient est une première œuvre qui ouvre d’étonnantes perspectives pour l’avenir. Ce recueil d’une cinquantaine de poèmes, courts, rapides, ciselés comme des diamants noirs est un joyau de prix. Il y a là, parfaitement assurée, la graine d’un poète, d’un authentique poète.