La Compagnie Ziticomania du Togo a participé du 18 au 26 novembre en Tunisie à la 18e édition des Journées Théâtrales de Carthage. Au cours de cette édition et fidèle à ses habitudes, les JTC rendent hommage à des grands artistes du continent africain, cette année, à deux femmes et à deux hommes, parité oblige. Il s’agit de la comédienne tunisienne Jalila Baccar et l’Ivoirienne Wèrèwèrè Liking, l’Algérien Mohamed Adar et le Togolais Béno Allouwasio kokou Sanvee.
Aux Journées Théâtrales de Carthage la Compagnie Ziticomania composée d’Anani Gbétéglo, Eustache Kamouna et Béno Kokou Allouwasio Sanvee ont donné 8 représentations : 3 dans les universités de Sfax, Bizerte et Kefe, 3 à Tunis donc 2 pour grand public et 1 spectacle spécialement offert par Ziticomania aux organisateurs du Festival qui au four et au moulin n’ont pas le temps d’assister aux représentations.Les conditions techniques ont permis des prestations à Tunis, à la hauteur de l’attente. Des propositions de ré-invitation et d’invitation vers d’autres cieux se formulent déjà. « Les organisateurs sont heureux de notre participation à cette 18è édition des JTC. » affirme Béno Sanvee
Un hommage mérité a été rendu à Béno Kokou Allouwasio Sanvee. Au cours de cet hommage un trophée représentant un masque phénicien lui a été remis pour immortaliser ses œuvres.
Togocultures a été associé en amont à cet hommage pour l’écriture d’un article. Nous vous faisons découvrir le texte sur le travail artistique de Béno Sanvee et celui du Festival de Carthage.
Béno Alluwasio Sanvee : un artiste complet
Par Gaëtan NOUSSOUGLO
Quand Béno Kokou Sanvee Alluwasio monte sur scène, ses yeux, son corps et sa voix provoquent la « pure théâtralité ». Il convoque l’imaginaire et happe l’esprit du spectateur. Ce dernier, avant de disparaître corps et âme dans l’histoire du comédien – conteur-musicien et danseur, a juste le temps de s’apercevoir qu’il est dans ce lieu pour assister à un spectacle. Il ne reprend contact avec la réalité qu’à la fin de la prestation et se lève comme guéri des lourdeurs du quotidien avant d’envoyer à l’adresse de l’artiste un « bravo ». Que ce soit à Lomé, Abidjan, Casablanca, Cotonou, Neuchâtel, Limoges, Montréal, Montbéliard ou Paris, les réactions sont unanimes comme si le public retrouve chez l’artiste une certaine universalité des pratiques artistiques… « Ça fait bizarre quand le spectacle s’arrête, tu n’es plus toi et tu ne sais où tu es en réalité. Depuis ma naissance jusqu’à ce jour, je n’ai jamais rencontré un artiste aussi complet, exceptionnel et subjuguant. Assister à une représentation de Béno Sanvee, c’est comme voir un film extraordinaire. A la fin du film, tu te retrouves sur le trottoir, tu ne sais plus qui tu es et où tu es », nous confie Pascale Eglin, directrice de la Médiathèque de Montbéliard.
Béno Sanvee est à lui seul un spectacle, il manie avec délices chants, arts de la parole (quand il est conteur), danse, communion avec le public, tant il maîtrise le jeu scénique, les percussions corporelles, la rythmique…Sur scène, il se dédouble ; une multiplicité de personnages l’envahit comme saisi par une transe ; son corps, sa voix, son aura, bref son être communique avec une sorte d’entité et hypnose le public. Son être jazze, swingue. S’il a fait sa formation de mime et de voix à Paris, Béno Sanvee doit beaucoup à son enfance d’où il tire la quintessence de son art. Il garde cette âme d’enfant qui a besoin de jouer sans rien, avec un accessoire banal ou sans accessoires pour créer son monde. Son auditoire rentre et s’incruste dans ce monde à son insu sans se poser trop de questions.
Enfant, il avait été marqué par la domestique qui travaillait dans sa famille. Elle faisait, selon son témoignage, de la percussion corporelle pour les charmer, les conquérir et les bercer. L’opération est une réussite puisque dans les années 80, tout le Togo découvre à la Télévision nationale cet artiste qui, pendant cinq minutes, scotche les téléspectateurs au rendez-vous artistique avec son poème : « Mon chant n’a pas besoin de tam – tam». Sur les écrans, sa parole prend vie. Du corps, il tire toute sa musicalité, tout son art. Il allie chant, danse, musique, parole et.il séduit par sa prestance, son énergie, son esprit. Plusieurs jeunes à l’époque sur les bancs de l’école sont devenus comédiens ou conteurs grâce à Béno Sanvee. Au Festival de Théâtre de la Fraternité à Assahoun au Togo en 1999, sa mise en scène de la pièce Le secret d’un vieux puits de Abibigromma National Theater du Ghana que nous avons eue la chance de voir a conquis tout le monde. Les festivaliers étaient tellement subjugués par la puissance et la qualité de la prestation que des compagnies qui devraient prester juste après ce spectacle n’ont pas voulu monter sur scène. Elles jugeaient leurs préparations trop inférieures à ce qui venait de se dérouler sous leurs yeux, qu’il fallait leur laisser le temps de digérer ce paramètre. Les organisateurs ont dû s’y prendre à plusieurs reprises pour les convaincre de jouer.
Béno Sanvee est une icône de la vie culturelle au Togo et un grand maitre pour la jeune génération. Avec la Compagnie Zitic puis Zticomania, il a réussi à donner une autre dimension au conte sur le continent africain. En nichant La vérité au creux du mensonge, il a révolutionné cet art. C’est naturellement que les compagnies Wassangari du Bénin ou Gakokoé de France ont suivi ses pas.
L’aura dégagée par le grand maître Béno Sanvee et son saxophone, instrument qu’il a adopté ces dernières années, n’arrête pas de séduire. Son regard, sa façon de bouger, sa voix ne sont que pur bonheur. On goûte avec amour et délectation au conte, à son jazz mêlé aux rythmes du terroir togolais, souvent fruit de ses compositions personnelles. Il y a une harmonie intrinsèque et une communion profonde entre l’artiste et ses matériaux : corps, voix, instruments et surtout une cohésion avec le public. Ses derniers spectacles de conte Enyagan ou paroles sublimes et Dzitri l’Enfant terrible sont une racontée fusionnelle, une autre manière de faire le conte, façon blues, reggae, jazz, vaudou qui apporte véritablement du bonheur au public.
Dans plusieurs spectacles de théâtre, il incarne les personnages de roi, de prince ou le personnage principal. Que ce soit dans, Trois prétendants un mari, En attendant Godot, On joue la Comédie, Maitre Harold, Une illiade, Si tu sors, je sors, entre autres pièces. On a parfois l’impression que la majesté du comédien s’élève au-dessus des publics comme une divinité. Son corps et son esprit transcendent le public. L’artiste communie avec tous les acteurs qui jouent avec lui, se met à leur niveau mais à la fin du spectacle, une sorte de spiritualité se dégage du personnage qu’il joue et de la personne qu’il est comme s’il redonnait au théâtre sa ritualité perdue. C’est cela qu’on appelle un don, fruit d’un travail exigeant dans la persévérance. Et naturellement, les distinctions qu’il accumule attestent de cela : Médaillés d’or aux 2e jeux de la Francophonie, Prix de la Meilleure mise en scène au Festha, Diplôme de Mérite du Ministère de la Culture du Togo.
Gaëtan Noussouglo
Béno SANVEE : «Allouwassio», que du bonheur !
Par le Festival JTC
Béno Sanvee arpente, depuis des décennies, le monde pour partager avec le public les légendes de notre continent l’Afrique. Ce conteur togolais est à la fois comédien, chanteur, musicien, mime, également diseur de poèmes. Il s’empare de ses textes, légendes, proverbes comme quelqu’un faisant un concert de contes.
«Tout artiste confondu n’ayant plus les moyens de créer meurt artistiquement et chaque mort artistique est une part importante du miroir de la société qui se brise», parole de Kokou Béno Sanvee. Et la parole d’un bon conteur vaut son pesant d’or. Surtout en Afrique où l’oralité a encore son mot à dire. Et Béno Sanvee a toujours eu son mot à dire. Un conteur comédien, un comédien conteur dont le parcours, qui s’étend sur près de 40 ans, pourrait être le sujet d’un… conte.
Il était une fois…
Il était une fois un petit Kokou Béno Sanvee. Un petit Kokou Béno Sanvee qui habitait non loin du Centre culturel français de Lomé, capitale du Togo son pays. Un petit Béno Sanvee, qui, ébloui par les feux des projecteurs des spectacles qu’il voyait en cachette, décide de devenir comédien au grand dam de son papa.
Comment ! ? Un comédien dans la famille ! ? Un «amuseur public qui manque d’objectif sérieux» ! ? Quel malheur ! Quel déshonneur ! On peut très bien imaginer ce qui a pu se passer dans la tête de ce père qui avait tout misé sur ce fils aîné. Mais, le petit Béno Sanvee, devenu grand, ne démord pas de son idée. Il sera comédien malgré le déplaisir que cela fait à son père jusqu’à une certaine année 1977…
En 1975, il est engagé, par le ministère de la Culture, comme comédien au sein du Théâtre national du Togo. Une grande satisfaction pour Béno Sanvee, qui s’était, seulement, essayé à des groupes artistiques scolaires. Un rêve qui se réalise enfin ! Mais sa plus grande satisfaction, il l’obtient en 1977, quand son père va voir «On joue la comédie» de Sénouvo Agbota Zinsou, dans laquelle son fils tient le rôle principal, et pas n’importe quel rôle, celui de Chaka. Le papa est conquis comme l’ont été les différents publics qui ont vu la pièce avant lui.
Cette reconnaissance paternelle est peut-être le plus beau prix qu’il a obtenu dans sa carrière et sa vie. Plus beau que les deux premiers prix de déclamation poétique qu’il a reçus au collège (1973 et 1974). Plus beau que le premier prix de la meilleure prestation artistique décerné par la télé togolaise (1978). Plus beau que le premier prix de la meilleure mise en scène pour «Vérité au creux du mensonge» (1982), que la médaille d’or conte au 2èmes Jeux de la Francophonie, que le prix de la Fraternité au Festhef (2001), que les premier prix et prix de la mise en scène au Festha (2002). Et peut-être plus beau que le diplôme de mérite du ministère togolais de la Culture (2005). Et grâce à la bénédiction de son père, Béno Sanvee peut continuer sa carrière d’artiste comédien, metteur en scène, conteur et musicien –il joue du saxo– le cœur léger et la foi en sa passion plus grande.
Kokou Béno Sanvee n’a pas attendu Godot pour se propulser depuis «On joue la comédie». Il en a fait du chemin comme tout bon comédien. Entre spectacles de contes et autres pièces, ateliers de théâtre qu’il dirige, fictions dans lesquelles il joue, et manifestations culturelles qui jalonnent son parcours, c’est près d’une centaine d’événements, sans compter ses oeuvres écrites, que celui que l’on appelle Allouwassio peut se targuer sur son CV.
Allouwassio ? Un surnom qui lui vient d’une oeuvre de Guillaume Oyônô Mbia, «Trois prétendants, un mari». Dans cette pièce, il jouait un prétendant auquel on lançait, pendant un mariage, «Allouwassio !», une interjection censée porter bonheur aux jeunes mariés. Un peu comme «Mabrouk !» chez nous.
Tout au long de son chemin artistique, Kokou Béno Sanvee va faire de ces rencontres qui ajoutent encore plus de sel et de piment à un parcours. Tout d’abord, il crée, à la fin des années 80, la compagnie Zitic avec des amis artistes. Une compagnie dont les spectacles de contes ont du succès, mais qui va s’étioler (chacun des membres qui la composent courant vers son propre destin artistique) et malgré la tentative de retour à la fin des années 2000. Cependant, Béno Sanvee ne baisse pas pour autant les bras. Il crée, en 2010, une nouvelle Compagnie qu’il baptise Ziticomania pour Zinaria Tiata Conte Compagnie Allouwassio, et formé de trois musiciens, lui au saxophone, Eustache Kamouna à la guitare, et Anani Gbétéglo, un ancien de la première compagnie Zitic, aux percussions, pour continuer à être «au service de la parole». D’ailleurs, Allouwassio déclare : «Le travail de recherche de ce trio est un nouveau souffle qui me permet de continuer mon rêve où la parole et la musique se côtoient merveilleusement».
Outre ce travail, Béno Sanvee collabore avec de grands noms de la mise en scène, togolais, béninois, burkinabè, ou encore français. Ah ! La France ! La France où l’artiste, suite à sa prestation lors de la remise des prix RFI 82, obtient une bourse pour des études en art théâtral. Allouwassio opte pour une école de mime «afin de mettre le travail de la maîtrise du corps au service du comédien» qu’il est. Il aurait pu continuer à travailler à Paris, mais son épouse le persuade de rentrer à Lomé. Ce que femme veut… et sans regret.
L’un des moments forts de la carrière de Kokou Béno Sanvee va être provoqué par sa rencontre avec Hassane Kassi Kouyaté en 1992, sous la direction de qui il va jouer dans «Les enfants de l’univers» (2006), un spectacle de contes avec lequel ils font sept mois de tournée en France et en Suisse ; puis «En attendant Godot» de Samuel Beckett (2007). Cette création est un moment magique pour Allouwassio puisqu’elle lui donne l’occasion de rencontrer et de côtoyer Sotigui Kouyaté qui y tient, également, un rôle. L’entente est parfaite. Les deux hommes se considèrent comme père et fils.
Béno Sanvee va continuer à travailler avec Hassan Kouyaté d’abord sur «Maître Harold» d’Arthol Fugard (2008), «Une Iliade» (2009) et «Kouta» (2013) de Rene Zahnd ; soit une véritable odyssée.
Allouwassio n’a pas fini sa route. Il continue son chemin là où on fait appel à son savoir-faire et là où il peut partager avec le public les légendes de son continent. Il est actuellement dans une création avec la compagnie La Fabrik, «Si tu sors, je sors» dans laquelle il tient le rôle du parolier. Tout un programme !
Source: JTCFESTIVAL