La légende de l’assassin, Kangni Alem

Par GANGOUEUS

Voilà six ans qu’on attendait avec impatience le nouveau roman de Kangni Alem. Notre romancier avait précédemment plongé ses lecteurs dans un roman historique entre le Brésil et les anciennes structures précoloniales de la côte ouest-africaine.  Avec La légende de l’assassin, l’homme de lettres revisite différemment l’histoire de Ti-Brava, pays imaginaire qui ressemble au Togo – d’après certains lecteurs de Kangni Alem – et se questionne dans un style enjoué sur la justice et les hommes qui la font sur le continent…

D’une certaine manière, le titre du nouveau roman de Kangni Alem est fashion. Il répond aux trends, aux tendances du moment qui veulent que les frontières entre le bien et le mal soient définitivement abrogées, difficilement définissables. On ne parle pas de nuances de gris. Dans cet état d’esprit des temps nouveaux et postmodernes, la fiction célèbre l’assassin, le criminel. Les émissions reviennent sur les grands faits divers, les plus grands meurtres sont en deuxième partie de soirée sur les principales chaines quand elles ne sont pas en prime time sur les chaines secondaires de la TNT. Dexter a des millions de fans. La série Blacklist a célébré les exploits d’un tueur implacable qui pourtant, a un coeur d’ange. Nous fabriquons des tueurs dont demain, après leur exécution, les médias tenteront de reconstruire la mémoire.

Naturellement, ce titre me renvoie à tout ce contexte qui forge la plupart des sociétés occidentales. Je disserte toutefois. J’introduis. Parce qu’en fait, depuis la sortie de son précédent roman, Esclaves, Kangni Alem m’avait donné une information : il travaillait sur le thème de la peine de mort. J’ai donc abordé ce roman avec cette approche, tout en vous avouant que ce titre m’a un peu surpris. L’assassin ici à les mêmes initiales que Kangni Alem. K.A. Chose drôle et troublante. Puisqu’il m’arrive d’échanger avec le romancier togolais et de le voir signer ses pertinentes réflexions de ce fameux K.A. Koffi Adjata a décapité un imam alcoolique et froidement assassiné une femme qui passait par là, au moment de son forfait. Le forfait a eu lieu en 1978. Le jeune homme fut exécuté dans la foulée par la justice de son pays.

Parole d’avocat

C’est Apollinaire, son avocat de l’époque qui revient sur cette affaire et qui nous la narre. Le grand avocat de Ti-Brava, ce pays imaginaire qui ressemble tant au Togo de Kangni Alem. Apollinaire a rarement connu l’échec dans sa carrière professionnelle. Aussi quand, il range ses dossiers au crépuscule d’une carrière bien remplie, au moment où, avant de jouir d’une retraite méritée, il refait le film de sa vie professionnelle, cet homme désabusé, cynique, diabétique, sans attache affective réelle, cet homme disais-je a le sentiment d’avoir loupé quelque chose, d’avoir ignoré des éléments de l’enquête sur le crime de Koffi Adjata, en particulier les perches tendues par le pasteur Hightower. Cette narration est construite comme une sorte d’enquête policière où Apollinaire va remonter le fil du temps et essayer de comprendre l’histoire de K.A. et saisir la légende de l’assassin.

 Parole de blogueur

Kangni Alem est de retour, après cinq ans, avec un roman original qui explore avec beaucoup de profondeur la question de la justice. Quoi de plus efficace de désosser la bête de l’intérieur. Avocat, Apollinaire met en scène ses propres négligences mais aussi les certitudes d’une justice centralisée qui s’abat sur un paysan basé à des plusieurs centaines de kilomètres. Le roman prend l’allure d’un polar mystique. La reconstitution des faits invite les croyances magico-religieuses africaines, rituels et sociétés secrètes. C’est une ambiance qui me renvoie un peu au roman d’Alain Mabanckou, Mémoires de porc-épic, où comme Kangni Alem plutôt que de s’apitoyer sur ces croyances et superstitions, les détourne et finalement en rit avec éclats. Sorcelleries et rituels mystiques sont pris parfois un peu trop au sérieux sur le continent, sans tentative de recul. Le personnage d’Apollinaire essaie d’entretenir une forme de distance et de lucidité face aux éléments que lui révèlent ces échanges avec le pasteur Hightower

 Itinéraire d’un homme seul

Kangni Alem tire et se rit autant des sociétés secrètes que du protestantisme syncrétique d’Hightower. Mais au-delà toutes ces considérations spirituelles et cette enquête, je retiendrai de ce roman, le propos d’Apollinaire qui porte en lui une profonde solitude et une secrète blessure. Les attitudes, la posture de l’avocat célèbre mais aussi la fragilité d’un homme qui abandonne la charge qui a meublé sa vie fournit au lecteur la possibilité de s’attacher à cet intellectuel brillant mais qui a peut-être loupé sa vie.

Roman a plusieurs facettes, La légende de l’assassin est portée par une écriture délicieuse, maîtrisée. Koffi Adjata est-il véritablement le criminel annoncé? Kangni Alem est K.A. Et vous?

 Kangni Alem

La légende de l’Assassin

Editions JC Lattes, première parution en mars 2015

Copyright Photo Kangni Alem / Marie Marques

 Par Gangeuous

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