Joe Coo, de son vrai nom Nyatépé-Coo Togbé Joseph, artiste musicien, interprète, arrangeur, percussionniste, guitariste et plasticien qui partage son temps entre le Togo et la France, prépare actuellement son troisième album. Joe Coo est l’un des jeunes flamboyants de la musique de variétés au Togo. Il s’illustre par un travail de recherches qui s’appuie sur les instruments traditionnels et les chants du terroir, ainsi que les proverbes et les devinettes qui nourrissent d’une profondeur inouïe ses chants.
Joe Coo a été distingué en 2000 par le Programme de Soutien aux Initiatives Culturelles décentralisées (PSIC), un programme de Coopération Togo-Union Européenne qui finança son premier album : « Enuaké » (« Le jour se lève »). L’album de 8 titres, tout comme le second, « Kodjo, Nété », 9 titres fait un savant mélange de rythmes togolais et de sonorités musicales modernes. Grâce au PSIC, il effectue, cette année-là, une tournée dans les grandes villes avec son groupe Atahounga. Rappelons qu’en 1999 une tournée nationale, aux côtés d’autres artistes de la chanson tels que Laurence Laurence Motchon, Bella Lawson, Ali Bawa et King Mensah, l’avait révélé au public togolais.
L’artiste explore constamment des pistes de recherches qui lui ont permis de jouer à Lomé, du 18 au 20 juillet 2002, avec une professeure de chant, compositrice et chanteuse d’opéra, Géraldine Ros et le musicien Français Jean-Jacques Lassere, fondateur du Groupe de musique électronique Secretvibes dans trois spectacles au Centre Culturel, au restaurant Greenfield et à l’Hôtel Mercure Sarakawa. La rencontre a été managée par Fabienne Roux, directrice à l’époque de Radio Nostalgie de Lomé.
La collaboration fut magique. La découverte d’un tel talent émerveilla Géraldine Ros. Tout ce qu’elle a appris dans de grandes écoles de musique en France et aux Etats-Unis, voilà quelqu’un qui en savait autant sans avoir eu le même parcours, formé tout au plus à l’école de la rue et des cabarets ! Joe Coe part pour la France, et grâce à Georges-François Lacome qui a cru en son talent et il se familiarise avec le public français de nombreuses villes dont Tours et Paris.
Joe Coo est venu à la musique à Aného (ville située à 50 kms de Lomé) par les « semaines culturelles » organisées dans les établissements scolaires. Mais, l’élément le plus déterminant de la carrière de l’artiste, c’est la visite inopinée dans leur concession de musiciens qui jouaient de maison en maison : « Ça m’a plu et j’ai suivi le groupe ». Après, au sortir de l’école les vendredi, il rejoignait ce groupe et s’entraînait. Joe Coo a affûté ses armes comme un troubadour, en jouant dans les rues, les bars-restaurants et autres maquis et boîtes de nuit.
Avant 1999, il se souvient de toutes ses sorties vers le Burkina Faso où il joua au « Zaka », Bénin au « So What », « Manhattan », « Le Carré de la musique », « Jazz Temple », « La Cabane », « La Rodega », « Pop Canta ». A cette époque, Joe Coo était l’autre, interprétant du blues, du jazz, du slow, de l’afro-cubain, du reggae, bref de la variété : « J’ai appris et grandi grâce à cette école ; j’ai affermi ma voix et je me retrouve pétri d’expériences »,
A Lomé, le sable fin du bord des plages était son arène. Très tôt, il déchanta. Beaucoup. Il lui fallait chercher sa propre voie, conquérir sa propre spécificité, se révéler sous un jour à nul autre pareil. S’imposa alors à Joe la nécessité de faire des recherches. Il va écumer les villes et villages, fréquenter les personnes âgées (« les vieux » comme on les appelle affectueusement ici), recueillir des témoignages sur la musique traditionnelle, les instruments et les contextes de leur sortie, enregistrer les chants, comprendre les contextes et les situations de chants et de rythmes particuliers, tremper dans les riches traditions orales de notre terroir.
Cette voie s’est révélée concluante et satisfaisante pour l’artiste qui se sent vivre, qui se sent lui-même, ancré dans les profondeurs de ses racines. Convaincu plus que jamais que « couper ses chaînes, c’est être libre ; mais couper ses racines, c’est mourir » ! Les autres peuvent être le pont jeté sur nous-mêmes. Certes. Mais il est nécessaire de s’affirmer soi-même. De trouver pour ainsi dire sa propre identité.
Et la nouvelle voie qu’explore actuellement Joe est richement ouverte aux innovations. Premièrement, il est donc évident que l’affirmation de soi passe par la compréhension des autres, de leurs expériences. Tous ceux qui ont fait une école d’art et d’architecture apprennent cette vérité incontournable. On ne peut dépasser qu’en comprenant les autres, qu’en se positionnant par rapport à eux, en faisant pour un temps comme les maîtres, les illustres devanciers. Au même moment, Joe retient une 2ème leçon : c’est que, à l’encontre de beaucoup d’opinions, certaines de nos traditions ne sont pas archaïques. Elles offrent plutôt un nid d’opportunités, une riche passerelle vers la modernité. Elles nous permettent de suivre sans démériter les autres, les Occidentaux, dont la marche rythmée par les technologies de plus en plus changeantes, n’offre que l’alternative de retard aux Africains qui n’ont pas les mêmes moyens. Comme dit Joe : « On veut suivre les autres alors que nous n’avons pas les mêmes moyens. Vous utilisez un son électronique aujourd’hui ; demain ça change, ça se perfectionne encore plus. Il faut explorer nos propres voies ! »
C’est pourquoi l’artiste, à présent, se donne la liberté de sortir des compositions innovantes qui le spécifient sans le cantonner à un rythme particulier.
L’enracinement dans nos traditions musicales, c’est l’adoption du tam-tam « Atahounga », (nom du groupe de Joe Coo), de la calebasse posée sur l’eau, puis la sortie du 2ème album « Kodjo, nété ». C’est maintenant l’utilisation de la gourde pour sortir des sonorités inattendues.
Le jour se lève en effet sur ce jeune compositeur Togolais, pétri de talant ; le jour se lève et éclaire d’une nouvelle luminosité le tam-tam « Atahounga », qui est toute une philosophie, tout un symbole (d’ailleurs l’un des symboles, de Joe Coo, en dehors du bonnet à la Che Guevara « africain ». Nous y reviendrons).
« Atahounga » se comprend littéralement comme « Ata », Dieu et « hounga », grand tam-tam.
Chez les Mina, groupe culturel du Sud Togo, c’est le « Grand Tam-tam de Dieu », le « Tam-tam messager du Grand Dieu » ou encore le « Tam-tam sacré de Dieu ». Ce tambour géant taillé dans un tronc d’arbre et recouvert de peau, est encore appelé « Atopani » ou « Acrobou » par les Ewé du Sud Togo. C’est le tam-tam parlant, sacré, dont on se servait dans maintes situations avant la colonisation : il servait comme téléphone, pour sonner l’alerte lors d’agressions et demander du secours, pour transmettre un message de village en village ou pour célébrer les défunts. Ce tam-tam supplée aussi dans nos contrées à l’absence de griots. Se levait et dansait sur son rythme, celui-là qui connaît sa généalogie. « Tu te lèves et tu démontres par la danse ce que tes aïeux et tes parents étaient ou sont », dit Joe Coo le plus sérieusement du monde. Autrement, le danseur est amendé. Dressé dans une arène, « Atahounga permet d’appeler des gens par leur nom ordinaire ou secret « Ahémégniko ». La personne ainsi convoquée se lève, esquisse un pas de danse ou reste assis en levant le poing en l’air pour signaler qu’il est bien présent. « Atahounga » permet de traduire des mots cabalistiques et des vérités proverbiales. Exemple : « Kodjo blikodjo sétébono kodjonété ! », formule cabalistique qui veut dire : « Le grand pays qui ne se concerte pas, sera anéanti par un petit pays, et vice-versa ». C’est cette formule qui a servi de titre au 2ème album pour faire passer les préoccupations liées à la valorisation de notre riche patrimoine culturel.
Un autre tambour adopté dans une moindre mesure par Joe Coo est le « Agbaja », tam-tam de funérailles. On raconte même que les sièges sur lesquels les « vieux » et autres « hassinon », créateurs de chants inspirés se servaient pour entonner des chants circonstanciés sous le rythme « agbadja », eh bien ces sièges se brisaient une fois que les chanteurs se levaient après avoir chanté !!! C’est dire, qu’on y croit ou non, que l’univers africain regorge de richesses et de mystères pour qui veut remonter aux sources pour mieux comprendre ses racines.
Pour Joe Coo, c’est un véritable drame que nous vivons aujourd’hui. Toutes ces richesses patrimoniales passent inaperçues, sont ignorées et méprisées par les jeunes générations qui n’ont aucune connaissance de ces instruments et des traditions dans lesquelles ils baignent. On n’a donc pas le droit de se taire et de laisser mourir nos traditions !
D’où le combat de l’artiste qui a encore des choses à voir et à faire entendre dans ses compositions qui interpellent par leur originalité et leur qualité acoustique. Joe Coo arrange lui-même, fait les chœurs, pose les voix différentes les unes après les autres, bref se sert des nouvelles technologies pour créer la qualité musicale qui convient.
Joe Coo chante tout ce qui le touche, l’espoir, le mystère du monde (comme l’illustre dans le 2ème album le 4ème chant : « Dadi » (ou « adadi »), le chat n’avait pas quitté sa maison, pour aller dans la rue ou au marché, mais qu’on voit un matin, mort à un carrefour) ; le retour à nos propres valeurs : « Agama » (le caméléon) dit : « ce sont nos ancêtres à nos qui ont fondé le monde ; c’est pourquoi nous marchons doucement ».
Pour le moment, Joe Coo va doucement et discrètement son chemin, dans la discrétion la plus totale, mais aussi dans l’efficacité de sa voie retrouvée, inexplorablement riche d’innovations. Son bonnet à la Che Guevara (Noir) est le symbole extérieur de la révolution musicale dont il continue d’explorer les axes, continuellement. Ce look est encore pour Joe le signe qu’un artiste se doit de se singulariser par l’expression d’une personnalité spécifique « de sorte qu’on le reconnaisse, même à son ombre » !
Cyriaque Noussouglo© Togocultures
Les titres de l’œuvre musicale de Joe Coo
1er album : « ENUAKÉ » 2ème album : « KODJO, NÉTÉ »
(Financé par le PSIC) (Arrangé et produit par l’artiste lui-même)
1) Kalio 1) Eto (la montagne)
2) Enuaké (le jour se lève 2) Togodoua (le peuple togolais)
3) Tomékpé (la pierre des eaux) 3) Agbéamégoglo (le monde est insondable
4) Detugbui (jeune fille) 4) Dadi (le chat)
5) Mafon(je me réveillerai) 5) Podo (le ventre
6) Djalélé 6) Amédjéssi (amitié)
7) Dzigbodi (patience) 7) Tsivado (la pluie menace)
8) Eyi ne djo (comme tu es parti) 8) Vive le journalisme
9) Agbémégoglo (remix)
Annexe
Géraldine Ros est une compositrice-chanteuse lyrique qui a triomphé sur les plus grandes scènes et opéras en France. Au mois de mai 2002, avant d’être invitée au Togo, cette remarquable soprano lyrique, élève du plus grand compositeur György Ligeti, avait interprété un chant de la paix, « le Vendjové » devant 500.000 personnes rassemblées Place de la République à Paris. Quant au musicien Jean-Jacques Lassere, fondateur du Groupe Secretvibes, ses morceaux « mixent » avec bonheur les musiques du Monde à la Techno. Il avait, en ce moment, quatre titres de transe acoustique.
Géraldine Ros devrait par la suite permettre à Joe Coo de participer en France à une audition pour une comédie musicale. Il n’avait pas été retenu.