Koriko AMOUSSA dit A.K. Abbram’s Photo: Gaëtan Noussouglo

Hommage à Césaire: Une autre bibliothèque, un autre vide par Koriko Amoussa

Koriko Amoussa, dramaturge, artiste dramatique togolais rend hommage à Césaire. La Tragédie du Roi Christophe a secoué ses tripes quand il était encore au Collège et lui a peut être aider à choisir sa voie d’artiste.

Aimé Césaire
Aimé Césaire

Dommage que la gente humaine n’attend que le voyage irréversible d’un digne fils, pour lui rendre hommage. Cela faisait trois bons mois que cette brune Burundaise qui vit dans Le Dakota du Nord ne m’a plus parlé. Mais en ce 17 du mois d’avril, au matin, alors qu’il neigeait encore, chose très bizarre, Nadine, chose curieuse, me passa un coup de fil sollicitant mon aide. Elle voulait, chose surprenante, l’adresse d’un centre de réjouissance qui s’appelle “the Avalon”. Je ne connaissais pas bien l’endroit. Mais je voulais lui rendre service. J’ai appelé à mon tour un ami Haïtien Gérard Beaubrun. J’obtins satisfaction et communiquai les informations à Nadine. Elle me demanda de la raccompagner à la séance de danse qui se tenait a « The Avalon ». Je répondis « oui » et elle raccrocha   sur un merci, puis rappela aussitôt. Elle me dit « Amoussa tu connais le grand écrivain Aime Césaire ? » Je répondis, « Oui ». Elle ajoute : « Il est mort aujourd’hui ». Puis Silence. Silence qui n’était que le début d’une interminable absence : celui d’Aimé Césaire.

Il est vrai que le nom de Césaire a été source de coups de bâton aux fesses pour l’élève de CEG de Nyekonakpoe que j’étais il y a une dizaine d’années. Comment espérer d’un pauvre petit contrebandier de Togbato, qui n’avait que pour objectif la survie dans cette jungle qu’était la vie à Nyekonakpoe, une lecture assidue de ce monsieur qui écrivait des choses que je ne comprenais pas à l’époque? Mais le Toffa de professeur de Français du moment m’y avait obligé à coups de bâtons sur mes fesses. Puis un beau matin, pour éviter les coups qui n’avait fait que trop durer jusqu’alors, je décidai de mémoriser une partie des difficiles écrits de monsieur Césaire. Et ce fut une partie de son « Discours sur la Colonisation ».

« l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture
on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d’excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot »

Je découvris une beauté dans cette sculpture de la langue du maître. Je disais à mes copains qu’il y a une musique-silence derrière ces mots, cette combinaison de mots, mais il y a une façon de les lires afin d’accéder à cette musique. Quelle façon ? C’est de reprendre les mêmes mots et de les remettre sur du papier. Voila comment je suis arrivé, dépaysé, feuille sous l’aisselle et crayon a la main, dans ce monde d’écriture. Puis je découvris « La tragédie du Roi Christophe » avec Douta Sek. Ce fut l’œuvre qui me donna envie de choisir mon orientation dans ce monde de l’écriture. Tellement cette pièce m’a secoué les tripes que j’ai décidé de devenir acteur pour la jouer. Mais aujourd’hui je ne vais pas la jouer, je vais la mettre en scènes.

La dernière fois que j’ai revu, je veux dire relu ou reparlé d’Aimé Césaire, c’était lors d’une rencontre littéraire autour du thème le « rôle de l’écrivain dans la société ? » organisée par le département de français de North Dakota State University. L’animatrice était Maryse Condé. Elle avait ouvert un débat autour d’Aimé… Césaire. Je me rappelle encore que j’avais dit que pour moi Aimé Césaire était /est symbole d’identité, de l’acceptation de soi. Quand pendant des siècles, notre identité en tant qu’être humain a été reniée, comme si elle ne l’est plus aujourd’hui, a cause de la senteur de la peau, il fallu des Negres de la gent d’Aimé Césaire pour dire :

« ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale  »

 

Césaire constitue la toute première marche de cette longue échelle de la recherche de notre « nous » et de l’affirmation de la personne a peau noire. Quand tu prends un peu de recul, ne serait-ce que pour quelques fractions de secondes, pour jeter un regard sur la condition de nègre dans le monde, le constat est clair et terrible : beaucoup de choses ont changé, juste pour maintenir la condition noire inchangée. Le grand récit de la vie des hommes a connu en ce qui concerne la lutte pour une meilleure condition de vie sur terre des hommes comme Césaire. Ils ont lutté avec des mots. Aujourd’hui ma question est celle-ci : Que reste –il de ces lignes? La honte ? La honte, parce que aujourd’hui, par des comportements de certains nègres de la gent de Christophe, des jeunes nègres sont contraints à aller vers l’ancien maître, les poings volontairement liés, l’anneau à la chevilles ou la muselière réhabiliter s’offrir, reproduisant ainsi le triste scénario de la traite négrière. Condition Noire.

Que reste-t-il de ses lignes ? L’incertitude de demain. Maintenant cette identité “nègre” semble reconnue, qu’est que nous en faisons nous les négrions ? Scander partout « I am proud to be black like God ». Condition Noire. Pour faire honneur au vieux, ce n’est pas répéter sans cesse je suis noir. C’est de prouver au monde ce dont nous sommes utiles, même pas parce qu’on a rien a prouver, mais être. Il a fallu des gens pour dire nous existons. Il faut maintenant des gens pour dire au monde qu’Aime n’avait pas tort quand il clamait haut et fort la reconnaissance de l’identité NEGRE. C’est comme si ce mot n’est plus dans le dictionnaire. En tout cas ma machine le souligne toujours comme n’étant pas dans le dico. A nous d’écrire le cahier d’avancer vers la terre promise.

Beaucoup reste à faire encore dans la lutte pour l’acceptation de cette couleur noire comme couleur d’une peau humaine au même titre que les autres couleurs auxquelles elle n’a rien à envier. Je suis parmi les meilleurs de mon université dans un monde multicolore ou les limites raciales sont en traits épais tracées. C’est ça être nègre au sens de Césaire. Cette fois-ci la lutte ne résidera pas dans les mots mais dans l’action. Il y a déjà eu les mots du grand Nègre Césaire. A nous négrions d’y joindre l’action. Cette nouvelle forme d’affirmation de notre humanité sera le plus beau cadeau que nous pourrons faire au Vieux, nous le déposerons chaque 1 Novembre sur sa tombe.

Amoussa, Fargo, USA, le 29 avril 2008

©Togocultures

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