Quand mon ami Gaëtan Noussouglo de Togocultures.com me demanda, à l’annonce du décès de Césaire, de rendre hommage au poète, j’imaginais à sa juste valeur les paroles de Bossuet au sujet du Grand Condé : « Nous ne pouvons rien pour la gloire des âmes extraordinaires, leurs seules actions les peuvent louer, toute autre louange languit auprès des grands noms. »
En effet, comment par quelques lignes liminaires sur la toile rendre un hommage digne de la mémoire de ce géant Laminaire, ce « nègre fondamental » dont l’envergure dépasse de loin le « petit rien ellipsoïdal » ? Quels mots pour le dire ? Quels mots-outils pour « racler les profondeurs » de cet Océan, et faire écho à cet « homme-rabordaille » ?
Certes, l’ami Gaëtan connaît depuis des décennies mon attachement au tandem de la Négritude. Mais je n’ai pas eu l’honneur et le privilège de rencontrer Césaire, contrairement à Senghor. Le souvenir d’Aimé Césaire demeure en moi associé au sûr charme de sa poésie agressive et néologique, aux longs entretiens que j’eus en 1994 à son propos à Dakar avec quelques-uns de ses familiers ; notamment Lylian Kesteloot à l’IFAN (Institut Fondamental d’Afrique Noire) et Mohamadou Kane à son domicile à Fann. Le regretté critique coordonnait, à l’époque, un recueil d’hommages pour les 80 ans du poète. Je ne puis donc pas penser à Césaire sans que renaisse en moi l’émotion admirative de ces longues discussions qui m’ont permis de relire autrement le poète révolté. Je fus particulièrement touché par son dernier recueil au titre profond et évocateur : Moi, laminaire publié en 1982, véritable dévoilement de la force des mots, des « mots inséparables des images » à valeur et valence magiques.
S’il est indéniable que la poésie césairienne est une césarienne sans péridurale des cris du monde noir, cette poésie s’emparait peu à peu de moi, comme une laminaire s’emparait du rocher. L’identification de Césaire à cette algue cramponnée au rocher et ballottée par la mer, révèle sa hantise identitaire, sa « blessure sacrée. » Au-delà du symbole d’ancrage et d’ouverture de cette phéophycée, l’œuvre de Césaire semble dégager une force créative, voire mystérieuse dont je m’inspire pour le poème que voici :
LE SOUFFLE
Cordon ombilical du franc flanc chtonien
Thalle ophidien enlaçant le roc de l’espoir
Tel Damballah-wédo soufflant le cor isiaque
Amlima ! signal au grand cheval Noir-Rouge-Blanc
Qu’enfante le temps souterrain et souverain
Qu’enfourche le Noir reviviscent césairien
Conchiant chiens couchants et charognards chassés
Soleil sur nos desseins couleur dos de hareng
Pluie sur Wagadou à la gadoue fertile
Rigueur et vigueur pour nos mains bâtisseuses
Qui cueilliront à coup sûr les fruits du travail !
Car pirogue sur eau ne connaît pas de mite
Par Eloi Koussawo, Bruxelles, Mai 2008
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