De tous les talents exceptionnels dont regorge l’Afrique, il y a très peu d’artistes exerçant dans le domaine prestigieux de la sculpture monumentale. La preuve, la majorité des monuments qui existent sur le continent sont signés d’artistes européens, américains et souvent coréens. Dans ce corps de métier, rares sont ces artistes qui soient jeunes et polyvalents. Quelque part en Afrique de l’ouest, dans un petit pays nommé le Togo, nous sommes allés à la rencontre d’un talent hors-pair dont une partie des créations est exposée à l’heure actuel à l’Institut Français de Lomé.
L’homme et sa formation
A l’état civil, FUSS c’est Benoit Setonyo Koffi FUSSESSE. Ce patronyme éwé « fussesse« , sa langue maternelle traduit en français veut dire « l’os dur ». On comprend aisément le lien viscéral que l’artiste entretient avec la sculpture quand on sait que l’os fait partie des matériaux sculptables. La sculpture est une activité artistique qui consiste à concevoir et à réaliser des formes par modelage ou par assemblage. Le verbe “sculpter“ signifie “tailler“ ou “enlever“ des morceaux à un bois ou à une pierre … La sculpture est une œuvre que l’on obtient donc à partir de la matière. Les matériaux utilisés en sculpture sont généralement d’origine minérale : la pierre (marbre, granite, calcaire), le ciment (qui peut être mouillé ou coulé en béton), l’argile (porcelaine, terre cuite). Mais ces œuvres peuvent également être en métal (bronze, acier, aluminium, étain, laiton) ou d’origine animale (ivoire, l’os) ou végétale (le bois, la paille) etc.
FUSS est un technicien supérieur en génie civil depuis 2011, il a effectué un stage de mise en situation professionnelle durant la construction d’une grande centrale thermique au Port de Lomé. L’artiste est une synthèse, un juste milieu et un aller-retour entre Art, Architecture et Génie civil. Avec son art il va à la recherche de la sensation, de l’esthétique ; l’architecture lui montre la voie des différentes formes pendant que le génie civil lui permet de maîtriser les exigences de la matière, leur masse et leurs poids. Ces trois dimensions sont mises à juste titre au service de sa sculpture. Ainsi en sculpture il utilise des matériaux comme les bois, les alliages, le plâtre, les éléments de récupération, le granito, l’argile, etc…
C’est également grâce au génie civil que FUSS arrive à exécuter des travaux dans leurs dimensions monumentales avec des calculs pointus liés au dosage des matériaux, à la descente de charge, le calcul des concentrations, des forces de ventilation en vue de maintenir sur son socle le poids de l’œuvre, sa masse.
C’est ici qu’il y a lieu d’évoquer Paul Ahyi. Dans le déroulé de sa formation il y a eu la rencontre avec ce grand plasticien disparu qu’il a assidument fréquenté de 2003 à 2010. Le pionnier des arts plastiques au Togo a inculqué à son fils adoptif FUSS la rigueur relative au dessin d’art car même si généralement on nait artiste, on apprend à le devenir quel que soit le talent précoce. Paul Ahyi a également balisé la voie à FUSS surtout en lui montrant comment penser comme un artiste. Après la mort en 2010 du Maître Paul Ahyi, son père adoptif, l’artiste a entrepris dans une démarche identitaire et initiatique une série de voyages à la découverte du Togo profond, du Burkina Faso, du nord du Ghana et de la Côte d’Ivoire. Cette grande aventure lui a ouvert l’esprit et surtout permis de renforcer ses connaissances. Il a désormais une idée de ce qui se fait ailleurs dont il a pourra s’inspirer à dessein pour ses créations.
Ses œuvres
Les arts plastiques constituent un ensemble de disciplines artistiques consacrées à la beauté à l’expressivité des formes, des couleurs qui visent à donner des corps, des objets, une représentation et une impression. On peut avoir comme domaines la sculpture, la peinture, la photographie d’art, la vidéo d’art, le design, la performance, etc… La sculpture entre autres reste et demeure la chasse gardée de l’artiste FUSS.
La toute première véritable œuvre de FUSS a été la fresque géante, « la Fresque du Leadership » de l’Association Internationale des Etudiants en Sciences Economiques et Commerciales, AIESEC qui se trouve dans l’enceinte de l’Université de Lomé, œuvre réalisée en 2006. Cinq années plus tard, ce fut l’inauguration en présence de plus de deux mille personnes du Buste de Jean-Paul II à la chapelle de l’espace Saint Jean communément appelé Agora Senghor à Lomé juste après sa béatification. Mesurant 1,40m de hauteur et fait en béton et matériaux composites, ce monument honore aujourd’hui fièrement le pape Jean-Paul II, l’un des papes les plus charismatiques. D’un buste à une autre, celui du père de l’indépendance du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. Cette œuvre qui prolonge sa vie a été érigé au carrefour 3 K dans le but d’immortaliser ce génie. Le dévoilement solennel du buste érigé en mémoire de cet éminent Africain, homme d’État, poète, immortel de l’Académie française et un des Pères Fondateurs de la Francophonie a eu lieu en mars 2013. Ce monument patrimonial de grande portée mesure 5, 25 m de hauteur et est exécuté en béton, en résine et en matériaux composites.
Ayant une hauteur de 6 m, le monument de l’Œuf renversé est un giratoire au carrefour d’Agbalépédo à Lomé qui est en béton blanc sur une charpente métallique. D’autres éléments constitutifs sont de la résine et des matériaux composites. Bâti en 2014, c’est le symbole de la renaissance, de l’extension de la ville de Lomé qui est marquée par un nouveau visage avec ses grandes voies pour lui donner une esthétique futuriste.
Le plus célèbre et le plus gigantesque jusqu’à ce jour des œuvres de FUSS reste et demeure le Monument de la République, les Armoiries du Togo à Lomé dont la hauteur est 8 m. L’œuvre en béton et en matériel composite a été livrée en 2015. Les deux jeunes lions représentent le courage du peuple togolais. Ils tiennent l’arc et la flèche, moyen de combat traditionnel, pour montrer que la véritable liberté du peuple togolais est dans ses mains et que sa force réside avant tout dans ses propres traditions. Les lions debout et adossés expriment la vigilance du peuple togolais dans la garde de son indépendance, du levant au couchant.
L’artiste exécute également des commandes privées et ses œuvres se retrouvent naturellement dans des collections privées. Durant sa jeune carrière FUSS a été récompensé à travers différents prix.
L’exposition en cours à l’Institut français du Togo à Lomé
Du 17 janvier au 17 mars 2019, les jardins de l’Institut français du Togo à Lomé servent de cadre à l’exposition de l’artiste FUSS intitulée « Tans – Missions ». Il s’agit d’un ensemble de quatorze (14) œuvres déclinés en quatre (4) types d’œuvre :
- Bustes et têtes de sculpture en terre cuite : « Aisha, tête africaine » ; « Sidiki, buste africain » ; « Djeneba, buste de femme africaine » et«Sirina, tête africaine »
Dans ses œuvres, on sent une présence africaine jusqu’aux atours, surtout dans les visages de ses personnages aux têtes puissantes et fortes aux traits expressifs prêts à donner de la voix. Les fronts bombés surplombant les faces concaves creusées, délimitées par les arcades sourcilières arquées et les mentons curvilignes semblent souhaiter la bienvenue au visiteur.
- Sculpture en bois et en laiton : « Libation » ; « Transe » ; « Invocation » ; « Moussa le Touareg ».
Ici, la géométrie règne sur les volumes : le cylindre des têtes et des corps sont suggérés. Tout exprime la solidité et la force active. La surface lisse des sculptures luit.
- Monuments : grandes statues en béton et en fer représentant les cinq (5) régions intitulées « Grandes sculptures de l’Union ou de la Réconciliation » ;
« Transmission de savoirs », œuvre en bois, toile et éléments de récupération ;
« Transmission de biens, conflits terriens » en bois et tissu.
Il s’agit d’un ensemble d’unité de sens qui s’apparente à une installation d’œuvres d’art et non une installation classique d’éléments hétéroclites.
- Tableaux : « Scène de danse africaine » ; « Carrefour du destin » et « Paysage africain ».
De l’ensemble des œuvres, se dégage un centre d’intérêt qui a pour toile de fond la couleur ocre qui symbolise ici la terre africaine et ses richesses.
L’artiste FUSS dont l’atelier « Black and White » se situe à Agoè SORAD non loin de l’échangeur ne désemplit pas. Il accueille visiteurs et surtout ouvriers, apprentis et élèves. Chaque catégorie précitée sans distinction de genre a ses objectifs et cahiers de charges. C’est un cadre moderne où on peut s’initier à l’art, se former, se perfectionner et surtout emprunter une voie artistique. Mise à part la sculpture, FUSS dont l’art est protéiforme fait de la peinture acrylique, de la décoration murale et surtout le portrait en ce qui concerne tous les types d’œuvre.
On pourra dire des œuvres de FUSS qu’elles sont chargées d’émotion. On y retrouve une puissance de communion cosmique liée à une certaine véhémence et à une audace d’artiste contemporain. A l’instar d’un Ousmane Sow, d’un Siriki Ky, FUSS est avec Paul Ahyi presque les seuls artistes dont les œuvres alliant puissance de volumes aux matières nobles (sculptures monumentales contemporaines et les fresques) font partie du patrimoine urbain du Togo. Face à la politique des grands travaux d’infrastructures amorcées çà et là sur le continent, un nom comme FUSS est à retenir. Les grandes villes et autres places publiques en Afrique ont besoin d’une esthétique identitaire monumentale.
Adama AYIKOUE
Gestionnaire de Patrimoine culturel.