Lilyan KESTELOOT, la pionnière de l’histoire et de la critique littéraire africaine s’en est allée hier à 87 ans. (Confirmation de son éditeur, Kangni Alem dixit). Le milieu littéraire africain en est affligé et lui doit des hommages mérités.
Pour ma part, je ne me serais certainement pas orienté vers la critique littéraire si, en classe de seconde, et sur indications de mon professeur de lettres à l’époque, je ne m’étais pas outillé de son ouvrage fondateur, ‘’Anthologie de la littérature négro-africaine’’, dont l’étude m’avait contraint à remonter le temps pour lire sa thèse de Doctorat (Les écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature ‘’) , par laquelle, elle révéla au grand jour le corps de savoir que l’Université reconnait aujourd’hui sous la dénomination ‘’Littérature Africaine d’expression Française’’.
Par ses travaux de précurseur, elle a défini le cadre théorique et la démarche d’analyse des premiers textes de la littérature africaine, des pistes qui seront empruntées et élargies par enrichissement par les Chevrier et autres anthologistes de la ‘’littérature africaine’’. Même si la déclinaison sémantique de la dénomination de ce nouveau corps de savoir va varier suivant les analystes (Littérature nègre, Littérature africaine, Littérature d’Afrique noire…), pendant longtemps, la grille de lecture privilégiée sera ‘’Historico-thématique’’. Ainsi, tout en lui reconnaissant ce mérite, je regrette que ce choix ait contribué à la marginalisation arbitraire de la littérature togolaise, pendant un certain nombre d’années.
En effet, sa méthode d’analyse privilégiait sur l’axe diachronique les thèmes récurrents des textes littéraires produits par les Africains qu’elle prenait pour des ‘’universaux’’. C’étaient essentiellement ‘’La célébration d’une Afrique traditionnelle paradisiaque’’ et ‘’La dénonciation du système colonial Français’’. Or les auteurs togolais, à l’époque, étaient plutôt préoccupés par l’analyse et la critique des faits sociaux endogènes si ce n’était pas la dénonciation des pratiques religieuses traditionnelles. Ce faisant, ils s’excluaient des anthologies et autres florilèges de la littérature africaine. Le cas le plus ‘’scandaleux’’ fut la réalisation, dans les années 70, de manuels de littérature africaine au Togo, par des enseignants et autres experts en la matière, togolais, à l’usage des Lycées du Togo. Ayant opté pour la grille ‘’Historico-thématique’’, ils n’ont retenu aucun texte écrit par un Togolais qui serait étudié par les élèves des classes de Seconde et de Première des lycées et collèges du pays. Il faut le faire !
Toutefois, loin de moi tout procès ingrat de l’œuvre de l’illustre disparue. C’est plutôt l’occasion d’esquisser un bilan en termes d’atouts et de défis selon le principe de l’innutrition. D’ailleurs, il y a de quoi se réjouir aujourd’hui puisque la nouvelle génération des universitaires togolais s’efforce de plus en plus de donner plus de lisibilité à la Littérature Togolaise par des travaux scientifiques crédibles et originaux.
La photo d’illustration de l’article a été prise sur l’article de BBC Afrique: Décès de l’universitaire Lilyan Kesteloot
Guy K. MISSODEY
Prof. de Lettres – Critique littéraire