De Lomé, loin des circuits dominants du jazz mondial, une batterie qui sonne autrement. Pas par la virtuosité. Ni par la fusion des genres. Mais par le rappel de cette conviction profonde que la musique peut être un canal spirituel. Cette voix, c’est celle de Kossi Mawun, percussionniste, compositeur et porteur de mémoire. Son dernier album, Culte, n’est pas une œuvre comme les autres: il s’inscrit dans une tradition vivante, où le son devient langage rituel.Ce portrait est le fruit d’une longue conversation avec l’artiste, au fil de laquelle il a déroulé sa vision, ses doutes, ses intuitions et la nature singulière de son travail.
Le Messager entre deux mondes
Kossi Mawun ne se présente pas comme un musicien. Il se voit comme un messager. Un relais entre deux mondes. Quand il compose, il ne cherche pas l’inspiration : il l’accueille. Il la reçoit. Il la reconnaît. « Il y a des moments, confie-t-il, où je sens que la mélodie ne vient pas de moi. Je sais que c’est un message. »
Pendant l’enregistrement de Culte, il dit avoir ressenti la présence de figures spirituelles familières : la Mère Lissa, Nan et Sakpatè. Leur énergie a traversé sa musique, guidant ses choix, son tempo, ses silences. Au studio, la création devient un acte de foi.
L’acte musical comme rite
Culte n’est pas un album pensé rien que pour plaire. C’est un espace sacré. Chaque morceau y est conçu comme un rite sonore : un moment de passage, une parole donnée aux ancêtres, une offrande. La batterie y joue un rôle central, non pas pour marquer le tempo, mais pour ouvrir des portes. Les percussions, au lieu d’accompagner, invoquent. Elles nomment, rappellent, relient. « La musique est un fait spirituel », dit-il « Et les tambours sont comme des bouches qu’on ne laisse parler qu’à certains moments. »
La structure même de l’album est pensée comme une montée, un chemin vers un état de connexion. Peu de place à l’improvisation au sens jazz classique : chaque pièce est préparée comme un rituel.
Une modernité ancrée
Si Culte est profondément enraciné, il n’est pas figé. Pour des raisons pratiques, Mawun a utilisé des instruments électroniques : un clavier numérique au lieu d’un piano acoustique, une basse électrique en remplacement de la contrebasse. Mais rien dans ce choix ne dilue le message.
« Même quand je n’ai pas les instruments que je veux, je ne change pas le message. » Le propos n’est pas esthétique. Il est fonctionnel et spirituel. Les outils servent l’intention. Et l’intention, elle, ne transige pas
Être là où la voix passe
Dans une industrie où les artistes africains sont souvent poussés à faire de la “world music” ou à s’adapter aux formats exportables, Kossi Mawun refuse l’exotisme. Il refuse aussi de faire du jazz “à la manière de”.
« Je ne veux pas sortir un album bebop comme les Américains. Je veux que mon identité soit dans chaque note. » Ce refus n’est pas une posture politique, mais un ancrage existentiel. L’artiste sait d’où il vient. Et il sait à qui il parle — ou plutôt : pour qui il parle.
Le silence après les tambours
Écouter Culte, c’est entrer dans une zone autre. Une zone où les silences sont pleins. Où le souffle a du poids. Où chaque vibration semble habitée par quelque chose qui nous dépasse. C’est une musique qui ne distrait pas. Elle rappelle. Elle réveille. Et quand l’album s’arrête, il reste une présence. Un battement ancien. Peut-être celui d’un monde qu’on croyait perdu, et qui, par la grâce d’un tambour bien frappé, nous parle à nouveau.
Franck KUWONU

3 réponses
Fier de toi frangin
Il faut espérer qu’il rejoigne le grand circuit
Bravo Kossi, tu es un excellent musicien et de nouvelles routes vont s’ouvrir à toi…