Un nom n’est jamais choisi au hasard dans la société… Pour chaque donneur, l’étiologie du nom est en rapport avec une motivation. Il peut s’inspirer des expériences vécues, des faits réels, des situations sociales, économiques, religieuses ou spirituelles. Par exemple: Mawuena, Mawuli, Mawuta, Mawupemo, Akpedjenemawu, Mawulom, etc. Sur ce modèle, on a des noms qui expriment souvent la grandeur, la puissance, la déférence ou l’amour envers AFAN ou l’espoir et la confiance en AFAN : Afantchao, Afandina, Afantodji, Afangninou, Afanwoubo, Afanyomé, Afanou, Afantchè, Afanvi, Afanssi, Afantoè, Afanjinou, Afandoudji, Afankponou, Afangbédji, Afandémo, Afangnon, Afanssimé, etc. Ainsi, l’ouvrage de Kossi ASSOU a pour corpus AFAN. Chaque milieu naturel, chaque continent, chaque société a ses réalités propres et ses pratiques religieuses imprégnées de la culture sur laquelle des peuples se fondent pour interpréter les phénomènes de la vie. Le FA sert de voies et de moyens appropriés par lesquels les humains sont éclairés sur leur destin, leur passé, leur présent et leur avenir à travers les lois et préceptes de la vie, leur permettant ainsi d’éviter les obstacles qui se dressent sur leurs chemins.
Présentation de l’auteur :
Artiste plasticien, designer, commissaire d’exposition, enseignant-chercheur, entrepreneur culturel et essayiste, Kossi Hemadzro ASSOU est togolais. Diplômé de l’École des Beaux-Arts d’Abidjan, il a su imposer son style et son discours artistique sur la scène internationale. Ses œuvres font partie de collections prestigieuses à travers le monde, et son nom est souvent cité dans des publications tant africaines qu’internationales. Mais son engagement va bien au-delà de la simple création artistique. Grâce à ses initiatives telles que Ewolé et Afrodesign, il contribue à renforcer la visibilité de la création contemporaine africaine sur la scène mondiale. Pour son immense contribution à l’art et à la culture, Kossi ASSOU a reçu de nombreuses distinctions. En 2007, il a été fait Trésor Humain Vivant par le ministère togolais de la Culture, une reconnaissance qui consacre son rôle essentiel dans la préservation et la promotion du riche patrimoine artistique africain. Aussi a t-il été classé parmi les 100 acteurs culturels les plus influents au monde par Cultures France, et il a figuré également parmi les 100 personnalités ayant marqué le continent africain. Son engagement et son dévouement envers la culture lui ont valu d’être élevé au rang d’Officier de l’Ordre National du Mérite au Togo.
La structure de l’œuvre :
Le livre est structuré en 11 chapitres que l’auteur a baptisé FRAGMENTS. Ce sont : Vodou, une spiritualité endogène en Afrique occidentale ; Définition et présentation de l’homme dans l’aire culturelle vodou ; Afan, un système de connaissance multiple ; Afan comme système de géomancie divinatoire ; Afan comme système didactique et éducatif ; Afan comme système numérique ; Afan comme système chromatique ; Afan comme système géométrique ; Afan comme système fractal ; Afan, l’autre de l’homme ou la relation de similitude entre l’homme et Afan et enfin la Genèse ifique (ou la genèse selon le Afan). 122 figures illustrent le texte qui comporte plusieurs néologismes dont le plus usité est l’adjectif qualificatif ifique (relatif au FA). A propos de la nécessité d’inventions de figures, l’essayiste précise : « Il est plus aisé et plus commode de matérialiser les pensées, les concepts par des représentations. Ces représentations peuvent être graphiques, picturales, géométriques, à deux dimensions (2D) ou en trois dimensions (3D), fixes ou animés (…) Les figures (sont) de ma propre invention pour mieux exprimer et matérialiser des schémas mentaux individuels et/ou collectifs.» (p. 27)
Le contenu de l’ouvrage:
La géomancie du FA est une pratique que l’on retrouve en Afrique de l’Ouest (Nigéria, Bénin, Togo, Ghana). On l’a retrouve aussi outre-Atlantique (Brésil, Cuba, Haïti…) Citons Kossi ASSOU lui-même : « Afan, connu surtout par beaucoup comme système géomantique de divination, est plutôt un système complexe de connaissances mis à la disposition de l’Homme. (…) Le contenu de cet ouvrage est le fruit de plusieurs années d’observation, d’entretiens, de recherches et d’immersion… C’est dire donc que mes propos, loin d’être de la spéculation, sont la restitution de constats, d’analyses, d’enseignements reçus, de révélations et de phénomènes vécus, une forme de relation de l’intérieur et de partage d’expériences et donc de connaissances. » (p. 23)
Le FA ici a été disséqué à l’aide de différents faisceaux de méthodes analytiques empruntées à d’autres champs du savoir. Les angles d’attaque présentent le FA comme non seulement une tradition, mais surtout comme un objet d’étude, un corpus scientifique soumis à une investigation pluridisciplinaire sur toute la ligne. Tel un laborantin, l’essayiste a converti les 256 signes du FA (y compris l’ensemble des 16 signes majeurs) en nombres binaires, puis en nombres décimaux qui sont mis en parallèle avec les valeurs numériques des couleurs et toutes les figures qui en découlent à chaque étape. Il a démontré que AFAN qui est Etre et Connaissance est une entité vivante en ce qu’il est énergies, vibrations, nombres, couleurs, proportions, rythmes, etc.
Il est spiritualité, mathématiques, géométrie, littérature, orature, fractale, médecine, botanique, géobiologie, cymatique, physique quantique, etc. Dans le Fragment Afan comme système géométrique par exemple, Kossi ASSOU a représenté des graphiques qui chacun en ce qui le concerne traduit quelques traits principaux du FA : la circularité ou la sphéricité, la centralité (le point), le rayonnement, l’expansion et la spiralité.
L’auteur plante le décor : « Le Fa est un génie solaire et une énergie qui sort du disque solaire. Il est un condensé de l’immensité du Monde avec ses lois. Voilà pourquoi le Fa prédit, écrit, prescrit, interdit, oriente, etc., selon les lois cosmiques. En définitive, le Fa n’est pas que géomancie. Il est un système complexe et infini de bases de données mis à la disposition de l’humain, sans distinction de race et de culture. » (p. 69)
Il témoigne : « La plupart des informations qu’il contient sont des « trouvailles » découlant de mes expériences, observations, études, remarques et analyse » (p. 23)
Les composantes du FA que sont les contes, légendes, mythes, chants, proverbes instruisent sur les lois de la causalité inhérentes au cosmos et contribuent ainsi à une plus grande sagesse de l’humanité en la sauvant de l’obscurantisme et en lui ouvrant les voies qui mènent à la réalisation de sa destinée. Ici à travers les lignes de ce livre se révèlent les caractéristiques propres, les spécificités de l’homme en tant qu’entité cosmique, le reflet du naturel et du surnaturel, du concret et de l’abstrait, du monde visible et invisible, de la vie et de la mort.
Les thèmes du retour aux sources culturelles africaines, la connaissance ancestrale de Afan, Fa ou Ifa sont ainsi développés dans un style pédagogique et accessible grâce aux nombreuses illustrations. Il est temps de renverser la tendance décrite par Paul AHYI en 1983 dans sa Réflexion, l’art et la culture en Afrique : « A ma connaissance aucun grand « féticheur » ou éminent guérisseur n’est doyen dans aucune grande université africaine et pire encore, leur savoir aux yeux de ceux-là mêmes qui crient authenticité, africanisme, n’est pas suffisamment convaincant pour les faire admettre de plein droit au cénacle des « Savants ». »
« Il est courant d’entendre dire que le FA est un messager, mieux la langue de l’Univers et de Dieu. » (p. 30) écrit Kossi ASSOU. Plusieurs ouvrages traitent du FA sous sa forme de système divinatoire. Ici l’auteur fait le choix de parler manifestement de la complexité du FA et de toucher du doigt certains de ses aspects tels que sa dimension numérique, cosmique, universelle, opérative, pédagogique, géométrique, fractale, géobiologique, vibratoire, spirituelle… « Comme une abeille après avoir butiné tant de fleurs disséminées à travers la nature, transforme sa récolte en un miel savoureux et homogène, nous devons fondre tous nos acquis en une substance compatible avec notre être et avec son devenir », conseille Paul AHYI toujours dans ses réflexions. Protéiforme, le FA s’est révélé sous la plume de l’essayiste comme un véritable patrimoine culturel immatériel. L’accent est mis sur la contribution du FA dans l’accomplissement du destin de l’humanité en harmonie avec les principes fondamentaux de la vie dans l’univers. Il lève un coin de voile sur les réalités cachées des valeurs relatives aux pratiques traditionnelles ancestrales, source de la réussite de l’humanité comme Kossi ASSOU l’exprime si bien : « Cet ouvrage doit donc être pris aussi comme un acte de sauvegarde, de promotion et de transmission, autrement dit un acte de contribution à la restauration de ce noyau principiel pour la consolidation de l’internalité indispensable au développement et à l’émergence de notre cher continent, l’Afrique. » (p. 31)
Adama AYIKOUE, Critique.