Journaliste, diplômé en sémiologie et communication, spécialiste de la logistique internationale et communication d’entreprise, Anani Alex Gomez Logo quitte son pays le Togo en 1993 pour l’Allemagne. Après plus de dix ans d’exil dans le Schleswig Holstein, il immigre en France en 2005 où il fonde une petite société. A ses heures perdues, il prend sa plume dessine des mots qui fouillent l’actualité pour donner des vies à la vie. Cette nouvelle inédite « Taata, la natif de Kodjoviakopé » nous renseigne sur la vie de Kodjoviakopé du temps des Allemands et interroge sur le fameux incendie qui a dévasté le grand marché de Lomé.
Taata, le natif de Kodjoviakopé.
NOUVELLE de Anani Alex Gomez LOGO
Je dédie cette nouvelle à tous les défenseurs des droits de l’homme passés et présents,
A toutes les organisations de la société civile qui occupent les espaces chèrement acquis,
A Togo Cultures et au mouvement Notre Togo qui m’a inspiré le thème de cette nouvelle,
A tous ces silences d’éloquence…
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Prof Taata, le regard un peu absent, la démarche mal assurée, entra dans l’amphithéâtre ce matin du 26 Avril, veille de l’Indépendance de l’Autrive. Comme d’habitude la salle est restée bruyante. Quelques étudiants lui lancèrent, condescendants, de maigres « salut prof » qu’il reçut avec la morne indifférence que tout à l’heure, le murmure du ressac de cette mer sale qu’il venait de longer depuis le quartier Kodjoviakopé aux confins de la frontière Aflao.
Naguère bourgade aux mille et une anecdotes, Kodjoviakopé où réside prof Taata était un vaste domaine de seigneurie sur lequel régnait la bourgeoisie côtière, laquelle fit fortune dans le commerce humain et celui des noix de coco secs nommés coprahs. L’abolition de l’esclavage eut raison de cette gloire passée. Elle emporta avec elle la classe de roturiers véreux qui se dispersèrent dans la nature comme des pollens emportés par des vents marins ; les mêmes qui les essaimèrent un demi siècle plus tôt.
Natif de Kodjoviakopé, prof Taata hérita de son père qui lui-même la tenait de son ascendant, la maison achetée à presque rien à un ancien intérimaire esclavagiste qui dut s’en débarrasser avant de déguerpir du milieu devenu hostile. D’une allure fière, la bâtisse au style gothique trônait parmi les maisons souvent nues ou peintes en blanc. Dressée comme une grue, pointant, raide, vers le ciel sa cime surmontée de paratonnerre, elle fait partie de ces maisons de nantis dont certaines montraient des poutres rugueuses et nervées. Elles sont généralement élevées sur un ou deux étages, sans balcons, fendues de fenêtres rectangulaires protégées par des volets battants en lamelles de bois.
A un jet de pierre, la Cathédrale Sacré-Cœur surgissait triomphalement des fatras de tôles et de pierres tel un phallus de djoulègba fétiche tutélaire des peuples anlo. Un peu en contrebas, à quelques pâtés de maisons de la Cathédrale, se mure le Couvent du vodou Tron.
La Cathédrale et le Couvent se disputaient les fidèles qui trouvèrent le moyen de concilier les divinités en passant de l’Église au Couvent et du Couvent à l’Église avec une désinvolture qui déconcertait Monseigneur Wolf. Le prélat chargé de christianiser « ses brebis égarées » calfeutrées dans les huttes empuanties par l’exhalation d’huile rance mêlée à l’odeur ferreuse de sang de veaux et coqs immolés à des divinités dites « ancestrales », se consola en pensant à sa Bavière natale, à son Dieu unique, propre, encensé et, enfin, à sa noble et « divine mission » de civilisation.
Par ici, fortune et respect s’évaluèrent à l’aspect de sa demeure. La maison de prof Taata suscitait envie, convoitise et crainte révérencielle. De ce fait, conféra-t-elle au professeur un vernis de richesse et de respectabilité.
Prof Taata malgré son humilité caractérielle ne dédaigna cependant pas les atouts que lui eût consacrés la culture de classe. Ne put-il pas, lui, se permettre de tutoyer le régime autrivois, vieille dictature quinquagénaire, avatar d’une indépendance dévoyée ?
Le flegme légendaire de cet honnête homme, s’est fendillé, profondément entamé quand soudainement les lieux emblématiques et les vieux édifices comme la cathédrale Sacré-Cœur se sont mis à bruler. Le doute s’empara de l’homme et ne le lâcha plus. Il se demanda comment des hommes dignes de ce nom pouvaient-ils se muer en pyromane, enjamber le sacré puis basculer aussi facilement dans les lieux sombres de la profanation?
Il en vint à se soucier de sa demeure dotée à ses yeux, autant que ces lieux que consumèrent les feux de haine, de la sacralité que confère une possession séculaire. Qu’on incendie les marchés et les lieux de commerces est un acte suffisamment grave. Les commerces portent à la paix et ces lieux d’échange permettent le brassage des peuples ; c’est des lieux de convivialité et de gaies complicités.
Taata n’en pouvait plus de se taire. Taata ne pouvait plus laisser faire. Taata n’en menait pas large.
Le preux professeur rédigea avec la verve ordinaire de celui qui sait, un pamphlet contre l’inculture et l’incurie de la classe dirigeante. Il exigea dans son libelle la séparation claire des pouvoirs et des réformes institutionnelles subséquentes. L’Autrive, écrivit-il, est une république et a vocation à le demeurer. Toute autre ratiocination développée entre gens cooptés est un délire d’intellectuels placébos.
Deux journaux à grand tirage consentirent à publier le brulot.
Le lendemain le professeur fut prestement convoqué à la Direction de la Police Judiciaire Autrivoise appelée DPJA. Il en sortit trois jours plus tard, un peu défait. À ses amis universitaires qui lui rendirent visite pour le soutenir, le professeur de sciences po se plaignit moins des sévices corporels subis que de la torture morale que lui infligea « l’ignare » qui dirigeait le Service et dont il dit avoir pitié.
Quelques jours après les incendies, la police mit la main sur un suspect présenté à la Télévision Nationale comme l’incendiaire présumé. L’homme arrêté reconnut avoir participé avec sept autres complices « à l’assaut » contre ce qu’il décrivait comme le Palais de la présidence. Il prétexta qu’il n’avait pour seules fins que de forcer la main au Président Sylvanus Olympio et l’amener ainsi à signer la démocratie par décret, puisqu’il se refusait à l’octroyer par des réformes évidentes.
Devant ce lilliputien frissonnant et tout en larme, bafouant et se pourléchant les commissures aux lèvres zébrées de goudron, l’agent qui l’interrogeait s’emporta :
— Hé, mon frère, tu parles de quoi là ? Église ou Palais ? Et puis il est mort depuis cinquante-combien, Olympio ! Dis donc, tu l’as vu toi, le père de l’indépendance Sylvanus Olympio ?
L’agent se signa trois fois et fixa des yeux ronds sur l’hurluberlu.
Le voyou acquiesça et se mit à bailler tout en marmonnant des paroles indistinctes.
Le vaillant gendarme agressé au visage par ce tsunami d’haleine fétide mal sassée par des dents jaunes et entartrées, lui flanqua une baffe qui l’envoya dans un coma dont on n’aurait su dire s’il en fut ressorti jamais. Plus rien ne filtra.
Kodjoviakopé la fière, s’étale en longueur face à sa sœur Aflao de la rive occidentale. Elle se prit à la snober. Mais malgré tout, la généreuse Aflao, fille adoptive du Gold Coast, lui prodiguait toujours mille soins : des denrées alimentaires à moitié prix jusqu’aux vêtements made in London. Le carburant n’y coutait mille fois rien. Les nuits, l’on pouvait s’y promener après les soirées d’enjaillement dans une joyeuse liberté grivoise. On choisissait son camp politique non en fonction d’une obscure fraternité tribale, mais compte tenu des retombées pour soi et pour les autres dont on restait solidaire.
Peu à peu Aflao s’était défaite de la réputation de repaire d’escrocs, de repaire de trafiquants flingueurs et de maquerelle régionale pourvoyeuse de chair fraiche et des belles sur le retour. Comme un corps, Aflao a lentement grandi. Elle fait mieux que la réputation que lui a faite sa voisine : « si ta poule franchit la frontière et va à Aflao, coupe lui la tête immédiatement sinon c’est ta bassecour qui deviendra un bordel ». Personne n’y croit plus.
Au fil du temps, le bar Ricardo jouxtant à Kodjoviakopé les grillages matérialisant la frontière, se mua par une extraordinaire demande d’échos, en lieu de fraternisation complice autour de la moiteur accueillante et très peu farouche des filles de joie à la recherche des raideurs. La ligne frontalière devint la raie du cul entre ces deux sœurs qu’en réalité rien ne sépare. Le commerce du sexe devenant prospère comme jadis celui des bois d’ébène, l’on expulsa celles qui par la magie de la Société Des Nations (SDN) devinrent des étrangères. La prostitution se nationalisa pour ainsi dire.
Les gouvernants qui prélevèrent en nature sur toutes ces plantureuses autrivoises siliconées en S inversé, favorisèrent par leur indifférence l’exportation vers les pays limitrophes et même vers le Liban, la Syrie et l’Occident. Se développa en même temps que les maladies sexuellement transmissibles, une nouvelle classe de riches souteneurs, repris de justice au regard encrouté, délinquants efflanqués par les années noires passées dans une prison horriblement insalubre, coincée quelque part au nord-est de la fameuse Kodjoviakopé.
Contre la promesse d’une impunité, ces buchettes d’allumette s’adonnèrent avec zèle à la délation et livraient à la vindicte populaire et au bûcher les adversaires qu’ils couvraient avec une habileté démoniaque de quelque crime.
Aflao et Kodjoviakopé, villes sœurs, ont gardé néanmoins des liens plus forts que les petites pouilles qu’elles se cherchaient. Les Autrivois n’hébergeaient-ils pas à titre gracieux leurs frères et sœurs venus de l’autre côté, surpris par ces couvre-feux intempestifs à la fin des marchés le long de la frontière ? Et de l’autre côté, ne leur rendait-on pas assez- bien la monnaie même si les gens d’Aflao exigeaient de petites rétributions ? Les Autrivois comprenaient parfaitement cette manie anglo-saxonne à vouloir tirer profit de tout.
On se rappelle bien que tout au début des années quatre-vingt-dix, lorsque Kodjoviakopé devint l’arrière-base d’un mouvement contestataire qui embrasa toute l’Autrive, c’est avec fierté et amour sororal qu’Aflao libéra des places dans les foyers pour loger ses « brothers and sisters » refugiés, fuyant devant la répression militaro-policière. Des chercheurs consultées pour expliquer le phénoménal mouvement social communément appelé « Soulèvement populaire de 90 » dans le dessein de prévenir et circonscrire toute mutilation au sein des forces de sécurité, n’y voyaient qu’un mimétisme et une contagion venus de La Baule, de la Roumanie et du Libéria où le dictateur déchu fût trainé dans les rues, attaché à un véhicule comme les clochettes de mariés paradant sur les boulevards autrivois.
Prof Taata connait ces chroniques-là et lui davantage que la plupart des sociologues, des historiens et autres politologues labellisés experts ; gente scrofuleuse, spécialistes d’une Afrique désespérément exotique.
Lorsqu’il voulut parler de l’esclavage par exemple, le professeur fit une excursion mémorable avec ses étudiants à Nimagnan Kondji du roi Togbui Komahé, hameau situé dans la préfecture des lacs, à une trentaine de kilomètres de Kodjoviakopé. Il leur raconta que leurs arrières grands pères, avant de partir pour le voyage sans retour eussent été lavés avec l’eau du puits devant lequel ils se sont rassemblés. Un étudiant lui demanda, incrédule, si lui croyait à cette histoire. Il répond, anecdotique : « Comme le Koutammakou, le site est un patrimoine mondial protégé par l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Unesco ; Il faut l’en remercier ».
Le lendemain des excursions, alors que les étudiants attendaient des explications et un cours sur l’esclavage, il passa à la suite du programme avec cette autre laconique formule : « On ne peut pas raconter l’esclavage au passé, vous le vivez encore ! Et puis je n’ai pas le temps de commenter cette reliquaillerie quand la Mauritanie, oui cette Mauritanie-ci me démange encore ».
C’était toujours sa méthode et les étudiants, obligés d’aller se documenter par eux-mêmes, le suivaient parfois mal.
Le matin du 26 avril précisément, le professeur de sciences po est censé donner un cours sur les indépendances africaines et particulièrement celui de son pays. Pas un étudiant ne manqua. L’amphi ne pouvant tous les contenir, le tiers de l’effectif se retrouva au dehors. Ceux-là se bousculèrent pour avoir l’oreille près des fenêtres -d’où sera sorti la voix à peine audible de l’enseignant bien obligé, lui, de crier pour se faire entendre. Personne ne fut en retard. Mais les étudiants craignirent que le cours ne durât que quelques minutes comme souvent. Ils appréhendaient de ne pas pouvoir connaitre assez de ce jour exceptionnel : « Indépendance de l’Autrive » ! Ils en discutaient entre eux. Ils préparèrent des questions à poser. Une solidarité rampante et diffuse entre gens de même bord naquit. Un sentiment chauviniste flotta dans l’amphi comme l’esprit mouvant sur les eaux de l’histoire. Les rivalités tribales artificiellement entretenues par les officiels sont précipitées depuis les pentes escarpées de l’ignorance dans la mer de l’oubli.
L’inimitié fit relâche : les étudiants se désignèrent selon les régions sans que cela offusquât qui que ce soit. On parlait du Nord, du Sud, de Kabou, Agbodrafo, Atakpamé, Gamè, Niamtougou, Kpagouda et on se taquinait sur les particularités régionales. On disait à l’un que les houes sont dépassées et que son grand père prit la forme d’une équerre à force de passer sa vie courbé sur sa terre. A l’autre on disait que son pet pue le haricot faisandé ; que ses parents devraient changer de culture afin que le pays empeste moins. On faisait de l’esprit, tel celui qui raconte avoir vu Victor Schœlcher, l’Abolition ; un film de Paul Vecchiali dans lequel il a été établi, pérorait-il avec emphase, que les Africains n’eussent jamais rien connu à la liberté et n’eussent jamais su quoi en faire. Lorsque, relatait-il, le maitre manifestement inquiet avait interrogé son majordome sur son avenir après cette abolition d’avril 1848, ce dernier s’était gratté la tête et avait marmonné : « Moi aussi je vais continuer le travail de la terre et je m’achèterais bien deux ou trois esclaves ». Cette histoire déclencha l’hilarité générale avec des « menteur » gentiment lancés au camarade conteur qui se mit à esquisser des pas de danse tem kotokoli. Enthousiastes, les étudiants s’échangèrent numéros et adresses. On riait « grave » et les jolies filles filaient leurs « 09 ».
Lorsqu’un peu de calme revint, ils se mirent à se répartir comme des rôles au théâtre les questions à poser au professeur. Ils étaient impatients.
Prof Taata dépose sur la chaire ses affaires, se racle la gorge puis déclare tout de go qu’il s’agit du dernier cours de l’année. Des murmures de protestation répondirent aussitôt à cette annonce.
Un étudiant l’apostropha et lui reprocha la ternissure programmée de la jeunesse du fait que les futurs administrateurs de l’Autrive n’aient pas connu l’histoire de leur pays.
— A la veille de la fête de l’Indépendance de notre pays, monsieur, nous voulons tout savoir et tout comprendre. Il n’est plus question monsieur, de vous débiner ; essaya-t-il maladroitement de conclure d’une voix déjà enrayée, gêné par le bruissement alentour.
Au moment de reprendre, prof Taata l’arrêta d’un geste sec et autoritaire.
— En voilà des manières ! C’est donc si contagieux cette paresse et ce gout immodéré des biscuits. Excusez-moi du peu ! Celui qui vient de parler n’aurait donc rien compris ? En regardant vos visages, il doit bien être seul, mon pauvre ami. Il n’y a rien à fêter. Aujourd’hui n’est la veille de rien ! Oh que si ! du décret d’abolition de l’esclavage de 1848 qui sonna le début d’une soumission plus subtile et bêtement consentie…
Les yeux se tournèrent vers l’Étudiant qui venait de commenter Paul Vecchiali. L’enseignant marqua une petite pause, surpris par cette convergence des regards. Il continua :
— De quelle indépendance parlez-vous ? Ce qu’il faut retenir, c’est la lutte qui a été menée ; ce que les hommes et les femmes ont fait et l’esprit dans lequel cela avait été fait. Ce n’est pas une histoire de date à célébrer. Notre tribut au passé, c’est la continuation de ce combat qu’on vous fait croire achevé depuis un demi siècle. En vérité tenez-le pour dit : c’est la géographie qui nous lie, Autrivois et Autrivoises. Et c’est cela surtout notre histoire commune. Il n’y a point de paradoxe. Comprenez : La géographie ce n’est pas que les plaines, les collines et les montagnes. Ce n’est pas que les steppes arides et le littoral marin. C’est les hommes et les femmes qui se déploient sur cette surface. C’est le lien que tissent ces hommes et ces femmes avec cet environnement ; entre eux aussi. Aflao et Kodjoviakopé que vous connaissez très bien ; eh ben c’est leur histoire d’amour ; depuis toujours. Une énergie commune dans la diversité des consciences qui s’assemblent et se soumettent à une vérité qui transcende les égos. Aflao n’arrête pas de montrer à sa sœur la direction du vent ! Voulez vous que les choses changent ? Forcément en bien elles changeront, de sorte qu’en changeant ces choses vous changent et vous bonifient ; vous fortifient sur cette aire que nous devons accepter en partage et en héritage. Ce pays, c’est le nôtre ; si petit soit-il. Cette terre, c’est à nous tous. Je vous le répète : Ceux qui restent ensemble et manifestent leur foi ne peuvent pas ne pas réussir ce à quoi ils croient. Je ne veux pas dire, chers compatriotes, qu’il faille forcément vous conglomérer physiquement. Qui que vous soyez, où que vous soyez : Il faut y croire tous ensemble, tout simplement. Il faut le vouloir tous ensemble, tout bonnement. Le cœur qui soupire vers la liberté ne défaille jamais…
Prof Taata regarda fixement ses étudiants. Quelques rictus distendent son visage. Il se tut. D’un geste lent il se mit à remballer ses affaires. De nouveaux murmures s’élevèrent puis un groupe d’étudiants presque spontanément s’avança vers la chaire, scandant : « On veut des cours, continuez les cours » !
Un projectile lancé du fond de l’amphi l’atteignit à la tête. Mais le professeur ne se démonta pas et descendit les trois marches de la chaire. Un autre groupe cette fois-ci lui barra la sortie ; les bras en croix. C’est alors qu’une voix forte se fit entendre :
— Arrêtez vos conneries ; tous à vos places !
C’était l’étudiant qui tout à l’heure faisait rire ses camarades avec l’histoire de l’esclave niais. Les étudiants reprirent leur place sans protester.
Le professeur qui se trouva maintenant à l’extérieur ne perçut pas ce que disait celui qui visiblement chauffait la salle. Ceux qui étaient au dehors se serraient pour entrer.
Là, accourt un quidam. Il se rua dans l’amphithéâtre sans faire attention au professeur :
— Mon Dieu, mon Dieu, c’est chaud à Kodjoviakopé ! La frontière Aflao n’existe plus walahi bilahi. Les gens viennent de partout ; tout le monde est debout ! Lança-t-il essoufflé.
Impassible, l’étudiant-conteur, désormais juché sur un banc, continuait à délivrer son message avec une facilité d’élocution qui mit tout le monde d’accord. Ses camarades l’écoutèrent presque avec dévotion.
Le prof sourit, mit les écouteurs de son baladeur puis son casque. Avant d’enfourcher sa moto, il lâcha à l’endroit de la procession qui fit mouvement vers l’amphi : « Vous avez un leadeur, prenez-en soin. Surtout, n’oubliez pas que vos adversaires ne sont pas vos ennemis ».
De dos on le vit dodeliner de la tête …
« … Have pity on those whose chances grow thinner…Sayin’, « One love, one heart
Let’s get together and feel all right. »… »
C’était One Love de Bob Marley.
© Gomalex Logo. Paris, avril 2017