Un rythme musical typiquement togolais n’existe pas encore. Les musiciens togolais font du rap, du rock, ou encore du reggae. Ils chantent parfois en anglais, d’autres exploitent les rythmes ivoiriens et congolais en vogue. Cependant, certains rythmes traditionnels comme le « kamou » ou l’ « akpèssè » sont arrangés grâce à certaines initiatives. La seule artiste chanteuse qui ait pu véritablement marquer son temps reste Bella Bellow. Elle a su s’imposer comme l’une des chanteuses phare de l’Afrique de l’Ouest dans les années 60 et 70. Véritable icône de la musique togolaise, elle en est à la fois le commencement, la césure et le point de référence depuis son décès. C’est justement de cette référence dont il est question avec la relève de Vanessa Worou, la jeune et talentueuse vedette de la chanson togolaise.
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La regrettée Bella Bellow
C’est après ses études à l’Ecole des Arts d’Abidjan que la carrière musicale de Bella Bellow débute réellement. De manifestations publiques, en rencontres officielles, Bella Bellow représente le Togo au Festival des Arts Nègres à Dakar en 1966, dépassant ainsi le cadre national. Sa carrière prend un tournant décisif en 1968 lorsque Gérard Akueson, premier éditeur phonographique africain la prend en charge. La qualité artistique de Bella Bellow réside dans la virtuosité de son verbe relayée par la recherche rythmique et mélodique de la musique. Accompagnée de Manu Dibango au clavier, de Slim Pezin à la guitare et de Jeanot Mandengue à la basse, elle enregistre « Rockia », dans laquelle une musique aux accents « hindrixien » fait écho à sa voix à tonalité orientale. Le succès est immédiat. En choisissant de chanter dans les dialectes nationaux, elle accentue le caractère identitaire de sa création, emboîtant le pas à Myriam Makeba. D’autres titres suivront comme « Blewu », rhapsodie autour du thème d’une vie après la mort. « Denyigban » quant à lui célèbre l’importance de la terre natale. Dans ses oratorios, elle parvient à mélanger tous les genres, passant des contes traditionnels aux drames psychologiques ou aux textes bibliques. Jamais, elle n’épaissit le trait, une allégresse et une énergie se dégagent de sa voix. Sur scène, armée de son chasse-mouches comme seul attribut, elle électrise les foules.
Avec elle, c’était aussi une époque, un « âge d’or ». Le choix de ses textes, son entrain, ses tenues où le pagne wax est mis à la mode, tout concourt à faire d’elle un héraut de cette courte période de gloire de la musique togolaise. Après sa mort, d’autres noms continuent par écrire l’histoire de la musique togolaise : Afia Mala, Fifi Rafiatou, Jimmy Hope, King Mensah et Vanessa Worou son héritière.
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L’héritière Vanessa Worou:
Vanessa Paradis, Céline Dion, Angélique Kidjo, Bibi Brigdwater, Ella Fidgerald… On ne prête qu’aux riches et Vanessa Worou est riche de ces antonomases. Aussi les superlatifs ne manquent-ils pas pour qualifier la voix de rossignol de la jeune auteur et compositeur Vanessa Worou. Née en 1979 à Lomé, Vanessa Worou réclame volontiers le riche patrimoine musical de Bella Bellow aujourd’hui et beaucoup d’observateurs avertis de la scène musicale togolaise pensent qu’elle reste et demeure véritablement sa seule et unique héritière jusqu’à ce jour. De ce point de vue, sur son site Internet l’artiste affirme :
« Je dirai sur la musique, ce que Bella Bellow dit dans sa chanson « Senye » (Mon âme) : « Toi seul(e) est mon souffle, toi seul(e) est ma vie.″ » [1]
De parents intellectuels, elle avait l’obligation à ses débuts surtout de « sauter à l’oreille » de ses parents pour les vaincre (et non les convaincre) qu’elle est douée pour commencer une véritable carrière musicale. Mais bien avant la sortie de son premier album en 2007 il y a eu le parcours du combattant et de l’apprenant qui a duré au moins dix ans dans les chœurs d’autres chanteurs et musiciens togolais déjà confirmés tels King Mensah, Julie Akofa Akoussa, Dee Kwarel… Ensuite est venue « la reconnaissance diplomatique » pour la jeune choriste dans les jardins de la résidence de l’ambassadeur de France à Lomé un soir de 14 juillet 2004. Invitée pour interpréter « La Marseillaise », l’hymne de la République française et « Terre de nos Aïeux », celui du Togo, Vanessa Worou a fait ses preuves grâce à sa voix à la fois langoureuse, suave et tonitruante à volonté qui a séduit plus d’un. Ce coup d’essai en solo qui était devenu un coup de maître lui a valu les soutiens de tous genres devant aboutir à la sortie de l’album « Eke » qui veut dire en mina sa langue maternelle « un nouveau jour », « une nouvelle aube ». N’allons-nous pas donner raison à l’écrivain brésilien Paulo Coelho qui écrit dans son best-seller L’Alchimiste : « quand tu veux ardemment quelque chose, tout l’Univers conspire à te permettre de réaliser ton désir ? »[2] Le CD comporte quatorze (14) titres dont « Ayé », « Boubé », Kankandodzi », « Némifon », « A toi, ma voix », « D’autres cieux et lieux »… qui ont réellement quelque chose de la Grande Bella Bellow. La chanteuse connaît enfin le succès tant attendu : les chaînes de radios et de télévisions diffusent ses chansons à longueur de journée et elle multiplie les concerts. Les manchettes des journaux relayent les évènements que constituent la sortie de son album et ses spectacles.
C’est ainsi que l’auteur compositeur et artiste interprète Vanessa Worou évoque le contenu et la nature de ses chansons en ces termes :
« Je chante le quotidien qui parle de Dieu, de l’homme et de la nature. Ce sont des thèmes simples. Dieu est au centre de ma vie. Je le chante, pas à la manière du gospel européen mais, sur mon africanité, sur mon tam-tam. Ensuite les hommes avec leurs sentiments quotidiens, la haine, l’amour etc. ; enfin la nature qui est une créature de Dieu. Je fais du religieux en chantant l’homme et la nature, les fleurs, les arbres etc. Je fais en sorte que tout le monde, le musulman, le chrétien, l’animiste se retrouvent dans mes chansons (…) Je fais un style « Afro-variété » qui est une rencontre du folklore togolais avec une touche classique et une petite touche de jazz. »[3]
Se définissant comme une chanteuse afro-classique, Vanessa Worou a conquis les oreilles et le cœur des mélomanes togolais. En écoutant ses chansons nous ne pouvons jamais perdre de vue la définition que donne dans Conscience de tracteur l’écrivain congolais Sony Labou Tansi de la musique :
« La musique est un monde, une vie, une âme qui s’ajoute à notre âme. Quand doucement elle vous troue le sang, vous vous sentez dans un autre monde, en possession d’une autre chair. Ce langage là, ce n’est pas seulement un vin, ce n’est pas seulement une drogue, c’est une cascade de mondes. C’est l’une de ces grandes choses qui nous enseignent que l’homme n’est ni un ancien, ni un futur singe (…) C’est comme un petit ruisseau d’idées. Des idées solides. Et les instruments deviennent comme des pierres contre lesquelles ces idées se cognent. »[4]
Nous espérons pour elle qu’elle travaillera encore davantage et qu’elle continuera ses recherches pour se hisser au niveau de la notoriété et du talent de Bella Bellow, son idole et son modèle dans sa jeune carrière musicale. Pour le moment, sur les traces de Bella Bellow, il manque à la vedette de la chanson togolaise une réelle reconnaissance au-delà des frontières nationales. Heureusement que Vanessa Worou a représenté le Togo aux Jeux de la Francophonie de Beyrouth au Liban du 27 septembre au 6 octobre 2009 dans la catégorie Chanson. De même, l’artiste togolaise de la chanson était pré-sélectionnée pour le Prix RFI Musique 2009. Nous pouvons globalement résumer l’actuel parcours de Vanessa Worou en évoquant à juste titre cette formule de Paulo Coelho :
« Une quête commence toujours par la Chance du Débutant. Et s’achève toujours par l’Epreuve du Conquérant. »[5]
Pour conclure
La choriste, auteur compositeur et artiste interprète Vanessa Worou est comparée à Bella Bellow dont elle assume et assure l’immense patrimoine musical. Après avoir gagné la bataille de la notoriété nationale, la jeune chanteuse afro-classique est plus que jamais dans les starting-blocks d’une reconnaissance internationale qui ne sera que la confirmation de la qualité et des dimensions à la fois exceptionnelles et protéiformes de sa voix. Ce n’est que le début d’une carrière riche en sons, en lumières et en couleurs. Vanessa Worou fait déjà le point en réalisant le chemin parcouru. N’a-t-elle pas raison quand elle exprime son état d’âme de chanteuse et sa prise de conscience d’être mise sur orbite : « ma voix a presque trouvé sa voie »[6] ?
Par Adama AYIKOUE
[1] Le site Internet de Vanessa Worou : www.vanessaworou.com
[2] COELHO Paulo, L’Alchimiste, Editions Anne Carrière, Paris, 1994, p. 37.
[3] WOROU Vanessa, «La nouvelle aube de Vanessa Worou», interview publiée le 12 juin 2008 sur www.republicoftogo.com
[4] SONY LABOU TANSI, Conscience de tracteur, Editions NEA/CLE, Dakar/Yaoundé, 1979, p.37.
[5] COELHO Paulo, L’Alchimiste, Op. Cit. p.155.
[6] WOROU Vanessa, sur la pochette du CD « Eke », 2007.