Dans les pas de Frédéric Bruly Bouabré et dans la grande tradition d’écriture d’artistes, Sokey Edorh a inventé son propre alphabet pour se départir des silences, Kossi Assou son écriture totémique, Richard Laté Lawson-Body quant à lui trace sa ligne vers la synesthésie, une abstraction onirique.
Son travail traite de l’abstraction, de vibration et objets en décomposition ; il va vers la microscopie pour donner forme à des objets qui semblent a priori insignifiants, invisibles à l’œil nu. Il est en dehors des jeux, des faits de société formels tels qu’on les voit : violence, sport, problèmes politiques, vie quotidienne… Il donne à voir ce que la nature offre d’admirable mais minés par nos vécus nous n’arrivons pas à percevoir. Son écriture s’oriente vers l’insignifiant, le microcosme pour révéler ce qui est caché aux yeux du commun des mortels.
Or, la porte d’entrée de l’art, c’est exprimer ce qu’on ressent, c’est exprimer ses émotions par ce qui est concret et matériel, et ensuite on se dépouille de tout pour aller vers l’abstrait. Mais Richard Laté Lawson-Body part de l’abstraction pour aller vers le figuratif. Il contemple les objets, les végétaux, les eaux et essaie de révéler leur quintessence, leur nature intrinsèque. Il travaille sur un concept microbiologique qu’il nomme « la décomposition ou la recomposition. Je m’intéresse à la pollution et à tout ce qui touche aux déchets et l’exploitation abusive de la nature par l’homme. Je créé actuellement des œuvres sur les moisissures. Auparavant j’ai travaillé sur la pollution aquatique et les fonds marins ».
Il s’intéresse aux micro-éléments de la nature à savoir moisissures, champignons, algues, virus : « Certains de ces éléments sont le produit d’une certaine décomposition des déchets solides que nous produisons et qui finissent par se recomposer en êtres vivants utiles pour la plupart du temps. Il suffit de pousser nos recherches en la matière et nous verrons que la nature est formidable. Prenons juste l’exemple du biogaz ou encore de la pénicilline. »
Le parcours atypique d’un peintre adepte de l’abstraction lyrique
Le parcours de ce jeune homme d’à peine 30 ans qui n’a fait aucune école d’arts plastiques est très surprenant. Il se définit lui-même comme plasticien, calligraphe et poète togolais. Mère ménagère, père frigoriste, il est l’ainé d’une fratrie de trois enfants et vit toujours dans sa famille. Il est né dans une famille chrétienne dont il a sûrement hérité de certains principes religieux et d’une discipline de vie. « La notion de clair-obscur, de lumière et ombre est inhérente au monde. Ainsi toutes créations résultent d’une coexistence d’éléments complémentaires ou contradictoires. » répond-il quand nous lui faisons remarquer que la plupart de ses œuvres sont un ballet d’ombres et de lumière.
« La pauvreté m’a personnellement formé et j’ai appris à définir des stratégies pour pouvoir en sortir ». A neuf ans, il découvre le métier de la plume par le biais de la calligraphie. Ses acquis en calligraphie l’ont orienté vers le dessin. Depuis l’école élémentaire jusqu’à l’Université, il a une passion avérée pour les études de l’art qu’il pratique en autodidacte. Une licence de « gestion marketing et stratégie » à l’Université de Lomé en poche, il se forme dans une grande imprimerie de Lomé sur les nouvelles techniques graphiques. Au cours de cette formation, il constate que les papiers, rebuts de la production sont souvent brûlés et décide donc de travailler sur du papier récupéré. Pour peindre, il utilise de l’acrylique, de l’huile, des encres et des pigments.
Au lieu de baisser les bras devant la presqu’indifférence des populations pauvres à la beauté et à l’art, il philosophe : « Pour faire vivre l’art, il faut des édifices, des bâtiments bref une bonne urbanisation et une bonne politique en la matière avec une vision claire qui encourage le mérite et l’excellence. Nous vivions dans un milieu à la limite de la misère et la priorité de nos populations n’est pas encore de se cultiver. Ils ont des besoins pressants notamment en termes de santé et d’éducation. Mais l’art c’est quelque chose de plus fort que la pauvreté et c’est un grand facteur de développement sur plusieurs plans. Je suis venu à l’art par passion et c’est devenu une mission que je fais avec foi. Le public togolais aime le beau et tout au long de notre histoire contemporaine il l’a démontré de plusieurs manières que ce soit sur le plan culinaire ou vestimentaire. » Il finit par croire qu’il est un vendeur de Bible devant une mosquée.
Richard Laté Lawson-Body : Son style et l’accueil réservé à ses œuvres
D’un côté, on perçoit sur ses toiles des gestes rapides, sauvages ou un peu plus maîtrisés qui s’apparentent au tachisme, ce courant qui était une réaction au cubisme et à l’abstraction géométrique. L’abstraction lyrique de Laté Richard Lawson-Body laisse la matière s’exprimer elle-même : transparence, superposition, mélange de techniques et d’écriture. Il faut prendre du recul pour entrer dans son travail. La lecture automatique anthropomorphique permet de dégager quelques formes, symboles ou silhouettes – ou dessins de petits personnages empêtrés dans des univers dès fois en noir et blanc. Matière et/ou gestualité sont affirmées puis détournées en quelques points pour y inscrire une « histoire » repérable… On découvre vite une abstraction plutôt onirique. Selon certains critiques, son travail se rapproche de Max Ernst et de Vassily Kandinsky. La vie même n’est –ce pas une unité résultante de la dualité de deux éléments différents : l’âme et le corps ? Une unité engendrée par la dualité de forces contradictoires ou complémentaires ? Il est à cheval entre l’abstrait et le surréaliste. Son œuvre est un peu difficile d’accès car Richard Laté Lawson est la nature elle-même. Son regard qui fait corps avec la nature et le laisse circuler dans des forêts symboles. Il établit des correspondances entre la nature et sa vision de la vie. C’est un brut, un écorché vif qui ne fait pas juste dans des effets chromatiques. Il s’efface de son œuvre comme s’il faisait la photographie de l’intérieur du fromage, d’une grotte, d’un marécage, …
Les œuvres de Laté Lawson-Body séduisent et sont vendues au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Japon et en France. Jean – Pierre Puyal de la ville de Valence qualifie le tableau de l’artiste « nous en sommes à l’étude du bois, de la pierre ou du bois pétrifié ? En tout cas c’est un travail remarquable. » Pour le professeur togolais Konrad Dagbovie : « La thématique de la dégradation, de la déchéance continue. La fin et l’exactitude des détails sont à apprécier (…) Je pense à Kossi Efoui… De lambeaux d’individus qui essaient de se reconstituer mais confrontés à une situation, à une force contraires à leur aspiration. » Très souvent au Togo, il doit vivre de félicitations et d’encouragement et se limiter à des œuvres alimentaires.
Il lui reste des chemins à parcourir, des niveaux à atteindre pour peaufiner son travail, agir sur ses œuvres, intervenir pour mieux les styliser afin que les clés apparaissent. Il ne doit aucunement laisser la nature souveraine prendre le dessus sur son écriture. L’homme est humble, patient et persévérant. Richard Laté Dodji Lawson-Body croit en son avenir. « Je continue de creuser et je sais que le bonheur est au bout de l’effort ».
Gaëtan Noussouglo© Togocultures
QUELQUES TABLEAUX DE Richard Laté Lawson-Body