« Nana Benz, Parcours de vie » ou le testament dévoilé

Parce que adulées ou redoutées, enviées ou respectées, les Nanas Benz du Togo continuent d’être perçues comme des mythes, et, à ce titre, leur parcours correspond à l’évolution de tout mythe, telle qu’elle est étudiée par la mytho critique, et que la critique littéraire appelle la palingénésie.

En effet, tout mythe émerge, grandit, se développe, rayonne, décline et se rabougrit avant de connaitre sa renaissance. C’est la palingénésie des mythes. Ce schéma d’analyse pertinent et crédible, sur le plan universitaire s’approprie légitimement le mythe des Nana Benz et le déstructure en ses mythèmes qui sont nécessaires, c’est-à-dire, non inter changeables. Aussi, comprenons-nous qu’après les années 80, retenues par bien d’observateurs avertis comme l’âge d’or des Nana Benz, leur parcours va subir un déclin, consécutifs aux différents facteurs sur lesquels nous ne reviendrons pas ici, parce que non seulement, ils ont été longuement analysés par des spécialistes, mais surtout le livre qui nous réunit ce soir n’aborde pas cet aspect. Toutefois, heureusement que par la conjugaison de plusieurs facteurs qui ne relèvent d’aucun hasard, comme tout mythe, celui des Nana Benz, à la suite de son déclin, peut et doit renaître. Ces facteurs sont d’ordre économique, politique, socioculturel et entretiennent des interactions. La parution du livre de Dalé Hélène LABITEY Nana Benz, Parcours de vie, s’inscrit dans cette dynamique et c’est pourquoi il s’imbrique harmonieusement dans les actions initiées par la Chambre de Commerce et d’Industrie du Togo qui entendent revaloriser le pagne à tous les niveaux. De ce fait, sa lecture est d’évidence et intentionnellement orientées puisqu’il s’agit d’une écriture de circonstance ou circonstanciée.

Mais alors, quelle écriture ! Quels délices !
En effet, le livre de Dalé Hélène LABITEY se lit à la fois comme un conte, un témoignage, une histoire de vies, les résultats de recherches historiques. Cette nature protéiforme de l’ouvrage, qui crédibilise son originalité et qui réconcilie un lectorat disparate ne peut que nous interpeler, nous autres professionnels de l’art et de la littérature. C’est ce qui justifie mon plaisir de partager avec vous mes impressions de lecteur averti dudit ouvrage : Nana Benz, Parcours de vie.

I. Présentation physique et structure formelle

Dalé Hélène LABITEY
Dalé Hélène LABITEY

Dalé Hélène LABITEY déroule sur plus d’une centaine de pages, un pan de la vie de 28 femmes représentatives de la première génération des Nana Benz du Togo (encore que « du Togo » et un pléonasme car Togo est le référentiel spatial des Nana Benz). Deux séries de para textes ouvrent et clôturent ces « parcours de vie ». Il s’agit, d’une part, des mots du Président de la République, du Ministre du Commerce, du Président de la CCIT qui précèdent la préface de Gervais Koffi DJONDO et l’avant propos de l’auteur ; et d’autre part, de témoignages successifs du Professeur Messan Adimado ADOUAYOM, Monseigneur Robert-Casimir DOSSEH-ANYRON, Mme Saréteka Véronique AISSAH-BITHO, MM. Gervais Koffi DJONDO, Edem KODJO, Henri Koudjolou DOGO, Roggy PAASS, Max Kodjo OSSEYI, en somme, des voix très autorisées qui fondent , non seulement la dimension nationale et historique du livre, mais surtout sa dimension patriotique. Je rappelle et réitère la proposition du Président de la CCIT d’attribuer les noms de ces Nana Benz aux rues et places du Togo.

L’intervalle de vies des 28 Nana Benz va de 1902 (année de naissance de Dédégan AKPOKLI) à 2014 (puisque 4 d’entre elles sont encore vivantes (Hélène Dovi FRANKLIN-FABRE, Pauline EFOE-ATTI-FABRE, Dédé Rose CREPPY et Povi ATTIVI-de SOUZA). Elles auraient dû être 5 à la parution de ce livre, puisque « le 25 mars dernier, quelques jours après avoir évoqué l’époque glorieuse des Nana Benz, commenté ses diverses prises de vue et validé la présente biographie avec l’éditeur, Geneviève Coco DOE-BRUCE-AMEGNIZIN est passée de l’autre côté de la rive. Paix à son âme ».

La Biographie de chaque Nana Benz est concise et va à l’essentiel qui permet de la cerner. Et aucun détail n’est surabondant. Exceptionnellement, quelques développements sont allés au-delà de trois pages, compte tenu de la personnalité de la Nana Benz, comme Epé SANVEE. La police de caractère, sa taille et la disposition en deux colonnes contribuent à l’aération de chaque page, et les photos (de chaque Nana Ben et de trois motifs de pagne en couleurs accompagnés de leur nom par lesquels celle-ci est identifiée) réconcilient différentes catégories de lecteurs de NaNa Benz, Parcours de vie. Et comme toute Nana Benz qui se respecte, le beau livre est drapé dans Makayiva, uniforme des membres de l’Association Professionnelle des Revendeuse de Tissus.
Je le disais tantôt, ce chef-d’œuvre qui se prête au plaisir des yeux, se délecte également pour le plaisir du texte.

II- Une Nature protéiforme

Je l’ai dit, également, Nana Benz, Parcours d’une vie, est à la fois un document scientifique, une histoire de vies, un conte et un témoignage. Document scientifique puisque c’est le résultat d’une recherche menée par une universitaire qui ne s’est pas contenté de collecter des témoignages. Elle en a fait des données pour les avoir soumises à l’épreuve de la critique, interne et externe. Critique interne, parce que pour crédibiliser les informations afin qu’elles deviennent des données, elle procède par recoupements, soit en mettant deux vies en parallèle pour éviter les contradictions dans les témoignages ( le cas de la vie de Mme AGNENOU-ANTHONY, recoupée avec celles de Patience SANVEE, Massanvi ATTIVI, Kokoyi FRANKLIN, Fora EKUE-HETTAH, etc) ; soit en les confrontant aux évènements historiquement avérés (la visite officielle du Président Georges POMPIDOU au cours de laquelle les Nana Benz ont mis leurs Mercédès Benz à la disposition du Gouvernement togolais ( ou par références aux personnes ayant vécu ou des institutions scolaires où on peut retrouver les traces de vie des Nana Benz) . Critique externe, par le souci de confirmer les informations par des personnes autorisées (feu Monseigneur DOSSEY-ANYRON) qui confirme le soutien financier de ces Nana Benz à l’Eglise Catholique du Togo, entre autres.)

Une histoire de vies qui devient l’histoire d’un pays à un moment donné de son évolution. En effet, chaque biographie décrit certes chaque Nana Benz. Mais elle révèle également des faits politiques (la lutte pour l‘indépendance à laquelle certaines des Nana Benz ont activement participé, comme Mme ADABUNU, leur militantisme dans l’Union Nationale des Femmes du Togo, la situation politique actuelle : Patience SANVEE contradicteur du Président EYADEMA,) ; des faits socioculturels (le rôle des églises chrétiennes dans la vie de ces Nana Benz, et partant, des Togolais ; l’organisation du système éducatif : 11 des 28 avaient obtenu leur Certificat d’Etudes Primaire et Elémentaire, à l’époque !!!; des comportements sociaux encore en vigueur : Mme BOTRI-ATTIVI serait à l’origine de la collecte de 25f CFA au moins, par personne présente lors des obsèques, pour aider la famille éplorée) ; les réalités économiques, naturellement, ( le système des transactions économiques détenues par les grands groupes coloniaux, français et anglais, et qui ont gardé leur monopole après les indépendances : CFAO, SCOA, UAC, JOHN HOLT, etc) .

Enfin, Nana Benz, Parcours de vie se lit comme un conte. En effet, l’auteur ne s’est pas contenté de juxtaposer des récits de vie. D’abord, elle a privilégié ce qui fait l’originalité d’une vie et qui mérite d’être raconté. Ce faisant, elle a respecté l’un des principes du genre. Mais le plus intéressant réside dans son usage de l’onomastique. Nous savons tous que dans nos sociétés plus qu’ailleurs, le nom est porteur d’un projet de vie réalisé ou à réaliser. De ce fait la plupart des Nana Benz ont des pseudonymes que je me propose d’étudier dans un autre contexte mais qui, a priori, orientent l’écriture de Dalé Hélène LABITEY. Chaque fois elle réussit à nous persuader de l’adéquation entre la vie et le pseudonyme de la Nana Benz décrite : « Kpinkpin a ze » exprime l’élégance de Mme AHIAKPKOR-SEWOA et « Maîtresse » nous renseigne que Mme GBETI- DOEVI-AKUE fut d’abord institutrice, voire inspectrice, avant de devenir Nana Benz.

Par ailleurs tout texte est précédé d’une formule phare, sous forme d’épigraphe qui résume le parcours de la personne. Ainsi chaque épigraphe est le double du texte qui suit : « du tableau noir au tableau financier », « la perle rare », « la main ferme »…
Enfin, les biographies, sous la plume de Dalé Hélène LABITEY deviennent des contes de fée dont elles empruntent des constances : l’origine du personnage est souvent modeste, il y a en qui étaient orphelines comme Cendrillon. La courbe de leur vie est toujours ascendante et elle passe de vie à trépas, généralement satisfaite d’avoir combattu le bon combat. Elles s’en sont allées, pour la plupart, octogénaires ou proche. Seulement, elles sont plus fortes que Cendrillon puisque que la fée, (le merveilleux) réside dans leur volonté de réussir. Leur fée n’est pas ailleurs, elle est en elles-mêmes. Et c’est là tout le secret des Nana Benz, et pour moi l’ultime intérêt de cet ouvrage.

Si de leur vivant, la plupart des Nana Benz retenues dans le cadre de livre ont reçu des distinctions honorifiques nationales, c’est que l’autorité politique a très tôt compris leur contribution nécessaire au renforcement de notre économie nationale qui, dans les années 80 s’élevait à 40 % de notre Produit National Brut. Mais aujourd’hui chaque Togolais doit s’approprier cet héritage qui ne se réduit pas à sa dimension économique. La valeur testimoniale du livre de Dalé Hélène LABITEY, petite-fille de Nana Benz réside dans son message qui la rapproche des préoccupations de La Fontaine au XVII ième siècle : « Le travail est un trésor ». Les Nana Benz l’ont prouvé, Dalé Hélène LABITEY vient de le graver en lettres d’or dans les annales de la littérature togolaise. Merci ma Bien Aimée Sœur, tu rappelles à la postérité l’un des idéaux des Pères fondateurs et que reprend la chute du premier couplet de notre hymne national « Togolais viens, bâtissons la Cité !»

Guy Kokou MISSODEY
Professeur de Lettres
Critique Littéraire

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