Plusieurs éléments dans nos traditions ancestrales procèdent de mystères. C’est le cas du rituel « Dziku ou Dzikudziku» « naître, mourir ». Le bonheur du mariage d’une femme se butte à une série de décès inexpliqués de ses nouveaux nés, ce qui va pousser les garants de la tradition à intervenir pour arrêter le « mal ». En effet, frappée par une succession de décès de ses nouveaux nés, la femme aux abois se livre à des rituels. Dans le but d’empêcher cette répétition du malheur qui prend l’allure d’une malédiction, à la naissance d’un troisième enfant, elle va soit le jeter au dépotoir ou le mettre en route vers le pays des morts, en symbolisant son enterrement dans la rue. Dziku n’est pas un acte de rejet ou de désespoir comme le prétendent certains. Dziku ou Dzikudziku, c’est l’abandon ritualisé d’un nouveau-né pour l’arracher aux griffes de la mort et réduire ainsi la mortalité infantile au sein d’un couple. Quelles sont les raisons qui sous-tendent ces pratiques ? Le rituel Dziku ou Dzikudziku existe-t-il encore de nos jours sur la côte du Togo, du Bénin, du Ghana et du Nigéria, un univers où la science a beaucoup progressé et les églises chrétiennes sont légions ?
La pratique de l’abandon familial du nouveau-né est tolérée et ritualisée si sa vie est en danger de mort en restant avec ses géniteurs. Tout dépend des clans où l’enfant est né. Les causes sont liées à la sorcellerie, à une promesse non tenue des parents envers une divinité et à un mauvais tour d’un enfant unique qui établit des va-et-vient entre l’univers des morts et des vivants. C’est à l’oracle de déterminer l’origine du malheur et le type d’abandon à privilégier.
« Si le courant de la rivière est trop fort, il faut parfois renoncer à l’affronter ». N’en pouvant plus et conformément à la tradition, à la naissance du troisième ou du cinquième enfant, un conseil de famille se réunit, la veille. A la première heure le lendemain, la mère s’enfuit de la maison avec son enfant pour soit procéder à son enterrement symbolique soit à son abandon au dépotoir ou en dehors du village.
L’abandon, l’enterrement et la récupération de l’enfant
C’est une sorte de mise en scène de la mort qui révèle le caractère dérisoire de l’être. Devant la maison d’un parent ou d’un membre de la famille ou dans la rue, la mère met son enfant au sol bien emmailloté et creuse un trou. La mère y dépose ensuite le nouveau-né en criant : « mon enfant mourra dans tous les cas. Je préfère l’enterrer vivant avant que la mort vorace ne vienne le faucher. ». Dans certains clans, un membre de la famille vient à la rescousse de la mère et enlève l’enfant de sa tombe et le garde chez lui. Dans d’autres clans, c’est une personne aux us et coutumes différents qui prend en charge le bébé, lui donnera un nom dérisoire et ridicule ou le nom de sa propre communauté et l’élèvera : « Fofoé », « enfant trouvé » ou bien « Abalo » ou « Lakinya », si c’est une communauté kabyé du Togo, par exemple, qui trouve l’enfant.
Dans les temps anciens, c’est bien dans une forêt ou dans une contrée éloignée que le bébé est abandonné. Ceux qui trouveront l’enfant ont l’obligation de crier dans leur village qu’un bébé vient d’être trouvé dans la rue. Symboliquement la famille de l’enfant proposera, plus tard, une certaine somme pour reprendre l’enfant. Cet acte de rachat est un code qui permet de reconnaître sa famille génitrice. Le bébé sera confié au vodou des esclaves et des personnes rachetées. Le peigne ne passera dans les cheveux de l’enfant entre 6 et 18 ans selon les familles, il devient un « ameflefle » ou « Kluivi », c’est-à-dire esclave ou vodouvi. Avec l’avènement des écoles, les cérémonies sont écourtées pour permettre à l’enfant de suivre normalement sa scolarité.
Dans bien des cas, l’enfant reste dans un délai relativement long ou pour toujours dans sa famille d’adoption. Chez les Ewé, par exemple, il incombera à la mère de venir allaiter l’enfant dans sa famille d’adoption. Dans bien des cas, l’identité véritable de la génitrice ne sera jamais révélée. Certaines familles ne relatent les circonstances de la découverte et de l’adoption de l’enfant, une fois adulte car il faut laisser la forêt pousser sans bruit.
L’abandon au dépotoir et le sens du rituel
Dans un second cas, la mère pourra être amenée par la force de ses souffrances à aller déposer l’enfant sur un dépotoir et cet enfant ramassé par un tiers portera le nom de « Kokoli », ce qui signifie dépotoir.
Dans les deux cas, le rituel consiste à provoquer la mort, à la ridiculiser, à faire comme si on abandonnait l’enfant. Les prénoms portés ainsi par l’enfant indiquent qu’il n’a pas de valeur. La mort n’aime que de belles choses et n’accepterait jamais se nourrir de charogne ou aller chercher sa pitance au dépotoir. Le dépotoir est déjà dans la tradition l’univers des morts. Quand un être meurt, il devient une « chose du dépotoir ». L’enfant enterré ne pourra donc plus mourir. La mort n’en voudra plus. Deuxième symbole de la mise en scène. Le personnage qui vient chercher l’enfant n’étant pas la maman ne pourra pas être poursuivie par le même sort que la génitrice. Et enfin, cette mise en scène révèle également que la maman semble indifférente au sort de cet enfant sans aucune valeur. Ce rituel arrête pour toujours la malédiction et permet à la famille de mettre au monde d’autres enfants.
Si d’aventure, la série de décès n’est pas liée à la sorcellerie et que c’est le même enfant qui fait la navette entre le monde des vivants et celui des morts, frustré cet être sera obligé de rester définitivement dans le monde des vivants libérant définitivement la mère qui pourra concevoir maintenant sans crainte de perdre un nouvel enfant.
Les noms des enfants
Plusieurs noms dévalorisants ou défiants la mort sont donnés à l’enfant, quel que soit son sexe.
Fofoé : enfant trouvé
Kokoli : dépotoir ou « chose » du dépotoir
Kpakpo
Vodouvi : enfant du vodou
Kluivi, Eklu ou Eklou, Klu ou Klou : Esclave
N’Kpényaglo : Ma honte est dépassée.
N’nékpéku : Honte à la mort
Kumédzina ou Koumédjina: mis au monde pour la mort
Kukuéli : malgré tout, il n’y a que la mort
Kudanlo : la mort s’est endormie
Kugbenu ou Kougbenou: la mort a refusé la « chose », sous-entendu, l’enfant.
Kugblénu : mort destructrice
Dziku ou dzikudziku aujourd’hui
Avec l’évolution de la science, beaucoup pensent que la consanguinité pourrait être à l’origine de la mort prématurée des enfants. Avec le développement des villes, l’exode massif et les écoles ont conduit au brassage des populations. Pour les pasteurs chrétiens, ces cérémonies rituelles sont dépassées. Les parents sont exorcisés, les enfants qui naissent sont très tôt pris en charge, à travers des cérémonies de délivrance. Dzikudziku, ce rituel qui consiste à déjouer la mort, à la faire fuir, continue dans certains milieux dont les traditions sont vivaces.
Cette métaphore ne compte-t-elle pas plus donner la mort à son nouveau-né ou bien l’abandonner comme un moins que rien dans la rue ?
Gaëtan Noussouglo