La pratique artisanale pose en Afrique un certain nombre de problèmes : l’automatisme qui bloque la créativité et l’innovation, l’installation dans les traditions qui empêche la recherche de spécificités et d’identité, la reproduction de clichés et le fait de vouloir donner des images dépassées de l’Afrique à travers certaines formes artisanales… Tandis que l’art est créativité, capacité d’innover et de refaire les choses jamais à l’identique, l’artisanat consiste, au contraire, à reproduire presque mécaniquement des formes apprises. On pourrait avancer, en caricaturant, que des innovations ne pourraient être introduites dans l’artisanat que lorsque l’artisan réapprend d’autres pratiques et renouvelle ainsi les formes plastiques initialement apprises.
Pris ainsi de façon simplifiée, le sens de la création semble disparaître de l’artisanat. Si l’on ajoute à ce paramètre, le fait que beaucoup de gens entrent en apprentissage artisanal sans un grand niveau scolaire, on comprend que dans ce domaine, du moins dans les pays africains, on ne peut espérer des changements, des innovations que lorsque la possibilité est offerte pour des formations, des renforcements de capacités.
Le second problème est celui du caractère anonyme de la pratique. A la manière des traditions, beaucoup d’expressions et de formes artisanales se propagent de façon anonyme, laissant les spécialistes dans l’incapacité de situer très bien leurs origines.
Cet anonymat hypothèse l’identité de la pratique artisanale. Certes, ces propos ne sont pas valables dans tous les puisque certains pays et centres de production ont réussi à avoir des pratiques distinctives et spécifiques. A la manière des statuettes Nok dont la réputation mondiale est faite et l’identité nettement affichée, les sous-verres sénégalais sont spécifiques tout comme les poupées ashanti ou russes.
A l’heure de la promotion des expressions culturelles encouragée par l’UNESCO, il devient alors presque impératif que chaque pays explore ses propres possibilités.
Le troisième problème est celui des clichés et de l’influence du regard du touriste européen sur les formes reproduites.
En effet, à travers certaines expressions artisanales, la sculpture, la peinture, le batik décoratif…, les artisans plus soucieux de vendre que d’innover, se laissent aller à ce que le touriste blanc « aime ». Sinon pourquoi continuer toujours à reproduire des cocotiers et des cases rondes alors qu’avec l’urbanisation de plus en plus accélérée, beaucoup d’africains ne vivent plus dans des cases ? Pourquoi l’artisanat actuel ne peut évoluer avec son temps et être proche des réalités vécues ? Une artisane du village artisanal de Lomé se défend : « La dernière fois qu’un blanc est venu dans ma boutique, il a pris 3 batiks avec des cases rondes et des cocotiers en rejetant tous les autres ». Une autre de Kpalimé (ville située à 120 km au nord ouest de Lomé) dit son désarroi depuis qu’elle a exploré des motifs nouveaux.
Explorer des voies nouvelles
La voie du renouveau de l’artisanat, c’est qu’il faut explorer des voies nouvelles, pratiquer de nouvelles formes, faire un usage judicieux des couleurs. Cela passe par l’observation attentive de son propre environnement. A l’atelier de Kpalimé organisé par la Coalition Togolaise pour la Diversité Togolaise dans le cadre du projet de renforcement des capacités des professionnels des industries culturelles du Togo, soutenu par le Fonds International pour la Diversité Culturelle de l’UNESCO, le formateur, le plasticien Sokey Edorh, a invité les artisans à le suivre pour explorer les jardins du centre, à faire attention aux choses et aux gens, à contempler des œuvres humaines et naturelles (une termitière par exemple) qui y sont. Ils ont sillonné les rues des quartiers, se sont intéressés aux formes, aux volumes, aux perspectives, aux étalages des femmes du marché central. Il a sorti de la boutique du Centre artisanal une poupée ashanti et a expliqué qu’il y a mille possibilités de varier cette forme. L’exercice s’est montré concluant : 20 façons différentes de reprendre cette poupée ont été testées. Un spécialiste de la teinture de pagne à la malienne découvre qu’il peut, sur le même pagne, allier deux ou plusieurs motifs traditionnels ; une spécialiste du batik vestimentaire découvre qu’elle peut dessiner directement sur le tissu au lieu d’y appliquer des tampons aux motifs pré-dessinés. C’est dire que la créativité peut irradier l’artisanat d’art, lui donner un nouveau souffle et d’autres orientations : économique, identitaire et économique. La création d’emplois et la réduction de la pauvreté sont aussi à ce prix.
Kodjo Cyriaque Noussouglo © Togocultures