Santy Dorim

Interview de Santy Dorim : Etre artiste et ne pas avoir fréquenté expose à tous les abus

Santy Dorim
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Santy Dorim, nom d’artiste à l’état civil et sur ses albums, fait de la variété mais excelle en musique traditionnelle, sa spécialité. Elle a travaillé entre autres avec Afia Mala qu’elle aime appeler « Maman ». Elle est actuellement sélectionnée pour participer au « Kora » au Nigeria, événement musical déjà plusieurs fois reporté. Togocultures a rencontré Santy Dorim, une artiste qui fait distinguer nos valeurs à travers sa musique. Simple et sympathique, avant de se prêter au jeu de question –réponse, elle a tenu à partager son expérience de Passeport Music avec nous.

Santy Dorim a fait deux fois en 2000 le voyage du Canada pour représenter le Togo. Elle avait participé au Projet « Passeport Music » qui consiste en un jumelage entre un artiste canadien et un artiste africain. Son correspondant est l’artiste de la chanson canadienne Mario Chenart. Le principe du jumelage repose sur le fait pour chaque artiste de raconter sa vie, son enfance, ce qui lui plait, ce qui lui fait peur, les lieux où il a été heureux, comment il est arrivé à la musique, les lieux ou personnes qui l’ont marqué, les établissements scolaires qu’il a fréquentés, les restaurants qu’il affectionne. Au Canada, Mario Chenart a fait partager son parcours existentiel à Santy Dorim qui lui a rendu la réciproque au moment de son séjour au Togo. Les deux s’étaient rendus en pays Sola à Pagouda dans la Binah. Santy Dorim, enfant, avait une peur bleue des danseurs Solas. Chenart était intéressé par cette danse. A Pagouda, ils ont assisté pendant 4 h à cette danse qui a émerveillé l’artiste canadien et a fait connaissance avec le regretté Griot de Pagouda. Santy Dorim retourne au Canada cette fois-ci avec deux autres chanteurs togolais : Julie Akoussah et King Mensah, c’était dans le cadre de l’événement « Double Etoile » organisé du 28 mars au 16 avril 2000 par les promoteurs de « Passeport Music ». Y avaient également pris part, des artistes africains comme l’Ivoirien Frédéric Désiré Ehui, de son nom d’artiste Meiway ; Annie Flore du Cameroun Oumou Soumaré du Mali, et Sagbohon Danielo du Bénin. Aujourd’hui, on se rend compte que tous les autres musiciens ont eu à bénéficier d’un coup de pouce de leurs Etats, ce qui les a propulsé vers le devant de la scène internationale. Le Togo n’a pas cette culture de la promotion de ses artistes.

 

Togocultures : Vous revenez du Bénin dans le cadre professionnel. Est-ce qu’on peut savoir si vous y aviez donné un concert ?

Santy Dorim : Je suis allée au Bénin dans le cadre d’un Forum sur la musique organisé par le RAPEC, entendez « Réseau Africain des Promoteurs et Entrepreneurs Culturels » dirigé par le Togolais John Dossavi. C’était le 2ème forum du genre dont le thème cette année est : « La culture, levier du développement en Afrique ». La rencontre était soutenue par l’UNESCO et avait été rehaussée de la présence de Sa Majesté Houedogni BEHANZIN, Roi d’Abomey (qui nous reçut à la fin du forum dans son palais), de la Responsable du Bureau Afrique de l’UNESCO, Mme Elisabeth MOUNDA et du Ministre Béninois de la Culture. Le Togo était représenté par deux artistes, Frédéric Gakpara et moi-même. Le constat fait par les organisateurs est que, sur le continent, créer ou mettre en place un projet culturel, constitue une lutte de tous les jours pour les acteurs et professionnels des secteurs culturels, un véritable parcours de combattant.

 Santy Dorim pochetteTogocultures : Pourquoi cette situation, à votre avis ?

Santy Dorim : A cause de l’absence de politiques culturelles pertinentes dans de nombreux pays africains et le défaut de d’harmonisation des actions culturelles à l’échelle continentale.

 Togocultures : Est-ce que les autres artistes africains présents s’étaient eux aussi plaints qu’ils n’arrivent pas à vivre de leurs arts chez eux ?

Santy Dorim : Non. Surtout les collègues ghanéens et nigérians présents ont dit qu’ils ne se plaignent pas. Et le débat a tourné autour de pourquoi ça ne marche pas dans certains pays africains. Certains ont estimé que c’est mieux chez les anglophones à cause de leurs anciens colonisateurs. Mais globalement, il n’y avait pas d’explication sur le fait qu ça ne marche pas ici, mais que ça va là-bas.

 Togocultures : Comment avez-vous été reçue au Bénin ?

Santy Dorim : Il est vrai qu’il n’y avait pas de concert, mais on nous avait demandé de faire des prestations individuelles et de l’acapella. Le public était surpris. Les Togolais présents eux me découvraient, étonnés. En fait, les togolais ont l’habitude de me remarquer surtout à l’étranger, peut être parce qu’à l’intérieur, ils ont tellement d’artistes à écouter qu’ils ne font pas attention aux spécificités et aux talents des uns et des autres pris séparément. Le président du forum, séduit, a dit que j’avais fait sa joie et sa fierté et il voulait m’entraîner vers le Mali où il tenait une réunion similaire. Mon calendrier ne me le permettait pas. Je n’ai pas regretté ma dernière sortie. Ça avait l’air petit, mais c’était grand.

 Togocultures : Plusieurs personnes disent que vous résidez en fait en Europe. Est-ce vrai ou est-ce parce que vous êtes mariée à un Français ?

Santy Dorim : En réalité, c’est faux. Il est vrai que je bouge beaucoup. De là à dire que je ne vis pas au Togo… La seule fois où j’ai été absente longtemps, c’était pendant 6 mois, pour préparer un album à Paris. Et puis, c’est vrai que j’étais mariée à un Français. Mon mariage appartient malheureusement au passé justement à cause de ma prédilection à vouloir vivre au Togo. Nous avons un enfant dont j’ai la garde jusqu’à sa majorité.

 Togocultures : Le public vous connaît comme faisant de la valorisation de notre musique traditionnelle, notamment celle de votre ville d’origine, Niamtougou. C’est du folklore que vous faites ?

Santy Dorim : Je fais de la musique ancrée dans la tradition de chez moi mais avec des instruments modernes comme la guitare, le piano, tout ce qu’il faut pour une musique actuellement. Mais vous y trouvez aussi nos instruments : les castagnettes, les cors, les flûtes, le talking drum, etc. Pour moi, c’est fondamental. Comment puis-je être l’ambassadrice de la musique togolaise si hors de mon pays les gens m’entendent chanter du zouk, du funk ou autre chose ? Ma satisfaction est, dès que je démarre, tout le monde est emballé. Je vais vous dire, au Bénin, les gens se demandaient dans quelle langue je chantais ; ça semblait correspondre à une langue d’Afrique australe. J’ai dit c’est ma langue maternelle, une langue du Togo. C’était une agréable surprise pour eux.

 Togocultures : Comment expliquez-vous que le public apprécie ce type de musique ?

Santy Dorim : A mon avis, tout dépend de comment vous présentez votre produit. Mon option de chanter dans ma langue maternelle me réussit toujours et j’arrive à entraîner l’adhésion et l’enthousiasme des autres. Cela me rend d’autant plus fière que je ne copie pas les autres, les américains, … Pour moi, la recherche est fondamentale dans ce que je fais.

 Santy Dorim albumsTogocultures : Avez-vous grandi chez vous ? Sinon, d’où vous vient cette maîtrise des connaissances de votre terroir ? Comment êtes-vous venue à la chanson ?

Santy Dorim : Mon père était médecin, ce qui fait que nous bougions beaucoup. Mais nous passions toutes nos vacances au village. Je n’ai pas de problème à parler ma langue maternelle, tout au contraire. J’aimais chanter enfant. Je le tiens de ma mère qui chantait pour vous pousser à faire ci ou ça. Quand elle chantait au moment où tu refusais de rendre tel ou tel service, tu y vas immédiatement. J’avais commencé par aimer ce côté flatteur de la musique. Au collège chez les sœurs à Atakpamé, en classe de 6ème, je faisais partie de la chorale et avais été détectée comme possédant la meilleure voix. Notre directrice à l’époque, la sœur Vovor se moquait de moi : « Comment Dieu donne-t-il de belles choses aux paresseux », disait-elle pour me taquiner. Dans la chorale, j’ai souvent fait la voix lead.

 Togocultures : Quel artiste vous inspire le plus ?

Santy Dorim : Je vais vous étonner. J’aime rester moi-même. C’est mon souci constant. Si je copie les autres, quand aurais-je ma propre identité ? Je déteste qu’on dise que Santy chante comme X ou comme Y. J’aime quand on m’écoute qu’on sente qu’il y a des différences toutes les fois venant du travail de recherches que j’effectue. En écoutant l’album « Africa Foga » (femme africaine), certains ont dit que je fais une musique « mystique ». Ça me fait sourire. C’est de la recherche, c’est tout. C’est pourquoi je n’aime pas écouter la musique des autres pour travailler, mais seulement pour me distraire. Ma source d’inspiration, c’est le folklore, voilà ce que je peux répondre.

Togocultures : Le public vous connaît votre chanson zouk « Hédé » (Au revoir, Adieu en mina, langue du Sud Togo). Tout dernièrement, on vous a vu faire du duo avec Eric M.C. Quel esprit donner à une telle « association » ?

Santy Dorim : J’ai fait « Hédé » (2ème album) et « Djédjévi » avec Assou et Sèvi. À l’époque, ils n’avaient pas encore enregistré d’albums. Dernièrement, Eric est venu me voir parce que ma chanson lui plaît. Et on a fait du « futuring » sur son initiative et sur son nouvel album, c’est tout. « Hédé » chante l’amour perdu. C’est une histoire d’amour entre un homme et une femme. L’homme a abandonné femme et enfants et il revient demander pardon voyant que la femme s’est tirée d’affaire. Mais on lui a dit niet, « hédé », pas de pardon. Mais chez Eric, le pardon est accordé. C’est un choix.

Togocultures : Que pensez-vous de la musique togolaise ?

Santy Dorim : La musique togolaise est encore malade, faute de moyens. Il y a un léger mieux par rapport à ce qui se faisait.

 Togocultures : A votre avis, ce sont les moyens qui manquent ?

Santy Dorim : Oui, ce sont les moyens qui manquent malgré la volonté des artistes de faire avancer les choses. Avec la volonté mais sans moyens, où peut-on aller ? Par exemple, il n’ y a pas de sponsoring. Tu mets 10 dossiers dans le circuit lorsque tu organises un concert ; après 3 mois, un seul sponsor répond. Tu repousses la date de l’événement pour espérer avoir plus. Le premier qui a répondu se fâche et dit que tu ne respectes pas les délais. Tu veux enregistrer au studio ; il n’ y a pas de producteur. En réalité, ce sont les fans et les connaissances qui nous font vivre et espérer. Avec eux, on avance véritablement et c’est avec eux qu’on fait sortir nos albums. C’est pour les spectacles qu’on cherche des sponsors qu’on ne trouve pas.

 Togocultures : Combien avez-vous d’albums ?

Santy Dorim : Quatre. Le 1er, c’est « Prudence » sorti en janvier 1999 ; le second : « Yala Kpaté » (le mariage sans frontières, on peut se marier à qui et où on veut) ; le 3ème : « Stop à la violence » (sous toutes ses formes) ; enfin, le 4ème : « Ma source d’eau vive ».

Togocultures : Vous avez été sélectionnée pour compétir au prochain « Kora » prévu pour le mois de décembre, « Kora » dont le représentant au Togo est l’artiste King Nee. Qu’attendez-vous de cette participation ?

Santy Dorim : Nous serons 4 artistes togolais à y participer. Qu’on revienne avec 4 trophées pour porter haut et loin le flambeau de la musique togolaise. Ainsi, dans le monde entier, la musique togolaise connaîtra un grand essor, un boom en avant. Ce n’est pas de l’utopie. En attendant, nous devons travailler dur pour être à la hauteur.

Togocultures: Quel est votre message pour la jeunesse ?

Santy Dorim  : Rien ne sert de courir, il faut d’abord se concentrer sur les études et cesser de faire les stars d’aujourd’hui. Ceux qui se sentent des vocations et abandonnent l’école, qu’il sache qu’on peut faire de la musique à tous les âges, même qu’on peut obtenir le doctorat avant de s’y lancer. C’est une œuvre de longue haleine. Donc, pas de précipitation. Être artiste et ne pas avoir fréquenté expose à tous les abus.

Cyriaque Kodjo Noussouglo ©Togocultures

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