Roman: Les romans de théo Ananissoh

Théo Ananissoh
Théo Ananissoh

Théo Ananissoh – de son vrai nom Théodore Laté Lawson – est né en 1962 en Centrafrique. Ses parents, Togolais, reviennent s’installer au Togo alors qu’il a douze ans. Il y fait ses études secondaires, puis deux années de Lettres Modernes à l’université de Lomé (ex-université du Bénin). Il est titulaire d’un doctorat en Littérature générale et comparée obtenu à l’université de Paris III, Sorbonne Nouvelle. Il vénère des sensibles et des moralistes de race comme André

Gide ou Thomas Mann.  » C’est un esprit littéraire auquel répugnent le désorganisé et le spirituellement indigent. A part un Nimrod (du Tchad), l’Afrique littéraire dite francophone n’en produit guère, et pour cause. Outre des nouvelles parues dans des revues et des ouvrages collectifs, il a publié deux romans chez Gallimard,  coll. Continents noirs : Lisahohé, 2005, Un Reptile par habitant, 2007

Un reptile par habitant Par Kangni ALEM

Théo Ananissoh, écrivain calme et rigoureux dans ses désirs comme un de ses personnages, le nommé Zupitzer, frappe le lecteur droit au cœur, emballe son imaginaire par un récit court et dense qui emprunte l’essentiel de sa trame aux techniques du polar. Enfin, du polar, c’est vite dit, puisqu’une grande partie du livre ressemble plutôt à un roman des mœurs, si tant est que cette catégorie littéraire existe vraiment. Comprenez mon trouble, ce livre est inclassable et c’est peut-être ce qui fait son charme ! Quand j’ai fini de le lire, j’ai eu l’idée de l’offrir à un ami officier à Lomé. Sa réaction fut curieuse : « Mais c’est un manuel d’assassinat politique qu’il a écrit ton copain ! » Je me suis empressé de mentir, que Théo n’était pas un pote à moi, que je ne le connais que de nom, et que nous n’avions jamais pris un pot ensemble, ni chez notre ancien prof Apedo-Amah, ni sur un quai de Mülheim.

Plus sérieusement, je peux comprendre la réaction du lecteur ordinaire, devant la morale contenue dans le titre du roman, à chacun son reptile, et la démarche de Zupitzer, lequel a décidé de mener une croisade personnelle contre les « reptiles » pullulant dans son environnement. Oui, il y a une morale dans ce roman, et presque une injonction dont la finesse n’a pas échappé à l’ami officier : si chaque habitant en son pays faune pouvait abattre le reptile qui l’empêche de vivre, peut-être que… etc. Mais je voudrais aller plus loin, et pointer du doigt ce qui me semble le plus important dans ce roman, la question de la volonté, seule capable de transcender ce qui peut paraître une fatalité. Admirateur de Thomas Mann et d’André Gide, l’écrivain togolais a la ferveur sensuelle et le cynisme sans éclats de ses modèles, tel qu’on peut en trouver des exemples dans La montagne magique et La porte étroite. Dans Un reptile par habitant, il y a des pages admirables sur les motivations contradictoires des personnages principaux du roman, à savoir le narrateur lui-même et Zupitzer. Tandis que le premier s’abîme dans la volupté mécanique de la consommation des vagins, le second s’interroge sur le sens d’une telle dépense d’énergie et la possibilité de reconvertir cette énergie en carburant de l’action. C’est vrai, il suffit de voir dans nos sociétés le nombre impressionnant de gens qui dépensent des fortunes à courir après un sexe et sont incapables d’investir dans autre chose. La rencontre des deux personnages, à un moment clé du récit, porte à son point culminant l’équation essentielle du récit : si le crime peut être la voie royale pour secouer l’injustice des gouvernants, encore faudrait-il avoir la volonté nécessaire de passer à l’acte. Et si l’affirmation de la volonté de l’un peut paraître aller de soi, les rebuffades de l’autre ne sont pas toujours à mettre au compte d’un manque de courage, car la vraie volonté se nourrit à d’autres sources que celles simplistes de la force ou la faiblesse d’âme. Et c’est là où la fiction du romancier devient presque vertigineuse.

Si j’avais un reproche à faire à ce roman ? Court, trop court, voire énervant, agaçant, parce qu’il se clôt juste au moment où le lecteur, hypocrite et voyeur, croit avoir l’occasion d’entrer, enfin, dans l’univers sans pitié du justicier solitaire Zupitzer. On crie à l’injustice, en refermant le livre : pourquoi diable Ananissoh nous fait-il tant souffrir, pourquoi nous laisse-t-il deviner (le pourrions-nous d’ailleurs ?) la suite de l’équipée folle de Zupitzer, personnage rigide mais si complexe ? On ose à peine suggérer à l’auteur une suite à ce roman surprenant.

Théo Ananissoh, Un reptile par habitant, Gallimard, Continents noirs, 2007.

 Lisahoé de Théo Ananissoh par Kangni Alem

Lisahoe de theoananissohLa quatrième de couverture l’annonce comme le « premier roman » de son auteur. Dommage, car depuis Territoires du Nord (L’Harmattan, 1992), cet auteur togolais né en République Centrafricaine et vivant en Allemagne avait déjà annoncé son ton, si particulier : celui de l’écrivain qui jamais n’aborde de front les histoires, préférant laisser le lecteur débrouiller tout seul l’écheveau des pistes, des sentiments et des émotions. On le remarque dans ce deuxième roman où même le choix du décor n’est pas innocent. Loin des agitations des grandes capitales, l’auteur promène son regard et ses personnages dans le cadre faussement assoupi d’une ville de province.

Quinze ans après son départ, le narrateur revient à Lisahohé, ancienne villégiature pour colons allemands, dans le nord du Togo. Sans savoir d’ailleurs pourquoi. « Maintenant que j’étais à Lisahohé, je m’apercevais que je n’avais rien prévu de particulier quant au contenu de mon séjour» (p.18). Alors commence l’exploration forcée de la mémoire, lorsque les amis qu’on recherche ont disparu, comme les amours d’autrefois. Un homme va le prendre en charge, un ancien ami de lycée, devenu le personnage le plus puissant des lieux. Cet homme est une pièce maîtresse dans le système dictatorial qui régente tout, jusqu’au destin des populations, jusqu’à leur vie privée. Lisahohé et ses mystères, ses touristes allemandes aux mœurs lesbiennes, sa fosse au lion, autant de sujets qui hantent les pensées solitaires du narrateur. Un temps, le récit semble avoir trouvé son point focal : comprendre si l’ancien prof d’histoire Didier Somok est réellement impliqué, comme le prétend la rumeur, dans l’assassinat de Félix Bagamo, ministre de l’Intérieur pendant les années de braise qu’a connues le pays. Mais tout est évanescent, pire que les traces des fantômes de la colonisation allemande dans ce coin perdu de la savane togolaise.

Pourtant, on sent bien qu’il y de l’embrouille dans cette histoire de retour au pays. Et si au fond, c’était moins le passé de la ville, les histoires des amis que sa propre histoire, sentimentale et familiale que le narrateur était venu éprouver ? Fugitifs mais documentés, des pans entiers du récit sont consacrés à la figure de son père. Un personnage pathétique, amoureux de la même fille que son fils. Leurs « retrouvailles » sont tristes et terribles, comme si, quelque part, la parole rompue, au même titre que la dégradation du pays, relevait du naufrage éternel : « Dans le cimetière… où il reposait, nous passâmes des minutes à chercher l’emplacement. Entre les tombes, il y avait des plantes épineuses et des déjections humaines… » (p. 136).

On ne résume pas le roman d’Ananissoh, on se laisse porter par ses phrases, classiques et ténues : « Elle portait une robe qui s’arrêtait à mi-cuisse. En s’asseyant, elle releva les genoux ; le vêtement se retira un peu. » (p.133) Qu’est-ce qu’on songe au Gide de la Porte étroite en lisant certains passages. Normal, l’écriture se ressent de l’admiration à peine celée que Théo Ananissoh porte à l’auteur des Faux-Monnayeurs, lequel, prétend un aubergiste du coin (vérité ou mensonge commerciale ?) aurait séjourné à Lisahohé vers la fin de 1925 ! Une citation du Journal des Faux-Monnayeurs constitue l’exergue de Lisahohé : « Le renoncement à la vertu par abdication de l’orgueil. » Comme celle de son modèle, on peut dire d’Ananissoh que son « écriture… est comme inaccessible à la corruption, même quand il fait des aveux sur les affres du corps » (p. 62), au grand dam du lecteur, parfois floué par tant de retenue.

Théo ANANISSOH, Lisahohé, Roman, Continents Noirs, Gallimard, 2005, 144 p., 13 €.

 © Togocultures

 Voyage à Lisahohé par Tirthankar Chanda

(MFI) Avec Lisahohé, le Togolais Théo Ananissoh livre un premier roman nostalgique et très littéraire. Mariant habilement la nostalgie du pays natal et les thématiques habituelles de la littérature engagée postcoloniale, ce jeune écrivain a construit un récit touchant de quête personnelle, sur fond de turbulences politiques. L’action de ce roman se déroule dans une petite ville de province dans un pays africain répondant au beau nom de Lisahohé (« la maison blanche de Lisa »). Le narrateur, qui est originaire de ce pays, y revient après quinze années d’absence, avec la vague volonté d’y puiser la matière d’un livre. Il descend dans un hôtel pittoresque où aurait logé autrefois André Gide. L’ombre du grand écrivain français plane sur le récit dès les premières pages où une phrase du Journal des Faux-Monnayeurs est citée en exergue. Mais ce sont plutôt le Voyage au Congo et le Retour du Tchad qui sont rappelés à la mémoire par l’implacable réquisitoire sur le pouvoir issu de l’indépendance par lequel s’achève le roman d’Ananissoh. Si l’écriture de ce dernier ressent par endroits la composition scolaire, son art très sophistiqué de raconter une histoire mêlant le personnel et l’historique, le réel et le mythique, emporte la conviction.

Lisahohé, Théo Ananissoh. Ed. Gallimard, « Continents noirs », 136 pages.

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