Dans la mythologie grecque, Télémaque, fils d’Ulysse et de Pénélope, entreprit des voyages pour retrouver les traces du père errant, tandis que la mère, pour tromper les nombreux prétendants qui voulaient prendre la place de l’absent, travaillait interminablement sa fameuse tapisserie. Ulysse finit par symboliser l’errance forcée, tandis que Télémaque la quête du père, la quête identitaire. Immigration, exil, quête identitaire, violence et racisme sont les principaux thèmes qu’aborde l’écrivain togolais Edem Awumey, dans son deuxième roman.
Partant d’une analogie avec la mythologie, Edem Awumey remet au goût du jour la thématique de l’immigration sous toutes ses formes, telle qu’elle s’est illustrée dans le temps, dans les destins individuels : départ forcé ou volontaire de chez soi pour goûter l’espoir des cieux plus cléments, pour plus de sécurité. Cela fait écho violemment à l’actualité telle que les images des télévisions la mettent en exergue : frêles embarcations dévorées par les eaux de la Méditerranée dans le pire des cas, ou échouées sur les plages de Lampedusa ou sur les côtes espagnoles ou maltaises. L’errance des gens du Sud vers les rivages occidentaux. Est-ce un cliché ? L’errance commence d’abord par un rêve : « Là-bas de l’autre côté de la mer, ce sera comme le Royaume des Cieux. Vous habiterez un palais avec vue sur l’éternité des plaisirs. Vous n’aurez plus faim… Pour dire les choses en des termes plus pratiques».
Comment parler de ces tentatives pour le bonheur, de ces malaventures individuelles ou collectives sous forme romanesque sans tomber dans la facilité du reportage journalistique ? Mouvoir dans le déjà écrit sans paraître dans la redite ? C’est ici qu’il faut reconnaître à l’écrivain son talent, en sachant éviter l’écueil avec ce nouveau roman, cousu dans une langue assez triste et monotone qui chante en fond sonore le blues et le jazz, la longue amertume de l’errance et de l’exil. L’exil c’est la musique du jazz, le « A » Train de Duke Ellington et les notes mélancoliques de Miles Davis.
L’histoire du roman revient donc à inventer des vies qui s’arrachent de leur pays, pour une raison ou une autre, pour des terres étrangères. Comme dans son premier roman, Port-Melo, le récit se présente comme une superposition de destins individuels. C’est l’histoire d’Askia, qui vient d’un pays imaginaire aux confins du Sahel, dont les pieds ont soulevé la poussière, et qui, comme frappé par la malédiction de son peuple, répondant à l’appel de l’ailleurs, partit pour Paris. Tout comme Olia, Bulgare bohémienne, photographe immigrée à Paris pour échapper à la dictature à l’intérieur du Rideau de fer. Ou comme Ali, professeur de lettres venu d’Egypte pour enseigner le poète Abu Nuwas à Paris.
Mais le voyage et l’exil peuvent devenir illusion, se présenter comme échec, et dans ce cas les itinérants se présentent à la fin comme des gens sans feu ni lieu, poursuivis par les bruits de la terre natale. Illustration faite de la vie d’Askia, taxi qui erre à Paris en poursuivant les ombres du père, Sidi Mohammed, le premier à partir vers les rivages européens, à en croire la mère. Il en est ainsi d’Olia en proie à l’appel atavique des gens du voyage. Il en est également d’Ali, nostalgique de Port-Saïd, avec ses « cônes et ses pyramides de papier pour rappeler le pays. »
La question de la nostalgie du pays, tourment des âmes, montre bien que l’immigration n’est pas à sens unique, toujours du Sud vers le Nord, et que l’homme n’a pas réellement de patrie. L’errance se fait également du Nord vers le Sud, à l’instar de Petite-Guinée, fanatique du Bembeya Jazz de Guinée, Blanc amoureux de la terre d’Afrique et pourtant marchand des armes qui sèment la désolation sur le continent, désolation que fuient les gens du Sud vers le Nord.
L’immigration c’est aussi la violence, le racisme et l’intolérance de l’Occident, comme ces skinheads meurtriers d’immigrés et profanateurs de tombe. Mais il en est ainsi sur tous les continents, l’intolérance et le racisme ne sont pas que l’apanage des seuls occidentaux. Ces fléaux sont partagés, aussi présents en Afrique qu’en Occident, comme l’illustrent les moqueries et les agressions verbales contre Askia et sa mère sur leurs chemins de déshérence en Afrique. Ainsi va le monde, comme le peint l’auteur qui sort des portraits binaires en présentant des personnages complexes, ni ange ni diable.
Face à l’échec d’un destin collectif en Afrique, la plupart des intellectuels Africains prennent la clé des champs. Mais les réalités de l’exil montrent l’envers du décor. Mais le retour est-il aussi possible ou souhaitable ? Vivant au Canada pour des raisons professionnelles depuis plusieurs années, Edem Awumey ramène ici un problème spécifiquement humain : l’homme n’est nulle part en paix chez lui.
Source : Cultures Sud, Littérature du sud