Nanette Jacomijn Snoep du Musée du Quai Branly Photo: Gaëtan Noussouglo

Jacomijn Nanette Snoep : « Exhibitions, une exposition pour comprendre l’histoire et les origines du racisme »

Nanette Jacomijn Snoep est conservatrice et responsable des collections histoires au Musée du Quai Branly à Paris. Elle enseigne  également l’histoire de l’art au Musée du Louvre. Elle connaît bien l’Afrique et particulièrement le Togo où elle a séjourné plusieurs fois à la découverte des richesses culturelles et artistiques du Togo. Elle a voulu répondre aux questions de Togocultures, le jour du vernissage de l’exposition « Exhibitions, l’invention du sauvage ». C’est une jeune dame qui maîtrise bien son sujet et  adore le travail bien fait. Elle s’est entièrement investie dans les recherches et la mise en scène de l’exposition avec Lilian Thuram, Pascal Blanchard.  L’exposition a débuté le 29 novembre 2011 et prendra fin le 3 juin 2012.

La famille africaine Togocultures : Comment est né le sauvage dans l’histoire ?

Jacominj Nanette Snoep :  C’est une histoire universelle. Les Grecs avaient leurs sauvages qui se trouvaient en Europe du Nord qui s’appelaient les Scythie. Les Japonais avaient leurs sauvages. En fait, chacun crée son sauvage.  Chacun crée une altérité  pour aussi se positionner soi-même.

 Togocultures : Les scientifiques européens n’ont-ils pas récupéré l’image du sauvage pour en faire une science.

Jacomijn Nanette Snoep: Tout au  long du XVIIIe vont naitre les premières théories sur la hiérarchie des races.  C’est l’époque des premières théories « racialistes » notamment l’histoire de la Venus Hottentote qui s’appelait Sarrtjie Baartman qui est amenée au du XIXe siècle par un fermier vénal. Elle arrive d’abord à Londres en 1810 et vient à Paris pour être exhibée dans les cafés, les cabarets. Et c’est Georges Cuvier, le fameux naturaliste du Museum d’Histoire naturelle, qui va l’inviter pour l’étudier, l’observer. Et le lendemain de sa mort, elle meurt à l’âge de 25 ans, c’était en fin d’année 1814, Cuvier demande à la Préfecture de Paris de la disséquer pour l’étudier. Et, cette femme était une curiosité non seulement vivante mais une curiosité qui permet de fonder la théorie des races. Cette curiosité fonde l’origine scientifique des sauvages qui va permettre de hiérarchiser les races. C’est une attitude typique du XIXe siècle, du discours qui va de paire avec le projet colonial, l’expansion coloniale du XIXe. La science devient alors un leurre au service de la colonisation. La science est allée jusqu’à l’invention des « indices d’intelligence ».

 « Le sauvage change de statuts, au gré des découvertes, au gré du voyage,  au gré du temps »

 Togocultures : Est-ce seulement les Noirs qui ont été exhibés ?

Jacomijn Nanette Snoep: Non! Ce n’est pas seulement une histoire de Noirs, c’est une histoire d’hommes, d’enfants, de femmes venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie qu’il faut savoir aussi. A la fin du XIXe siècle, la population la plus exhibée ce sont des Amérindiens

Yonas Müller dans le tableau au Musée du Quai Branly Photo: Gaëtan Noussouglo
Yonas Müller dans le tableau au Musée du Quai Branly Photo: Gaëtan Noussouglo

Togocultures : Donc, ce sont les Européens qui ont inventé la théorie du sauvage ?

Jacomijn Nanette Snoep: Non. Comme je le disais tout à l’heure, chacun a créé son sauvage. Les Japonais, les Grecs. Par contre l’industrie phénoménale, l’industrie du spectacle, ce phénomène de masse, c’est une invention européenne.

 Togocultures : En visitant l’exposition, on a l’impression que des sauvages regardent des sauvages exhibés, c’est comme si on entre dans une sorte de labyrinthe, un piège sans fin?

Jacomijn Nanette Snoep : C’est un piège sans fin. On parle dans cette exposition de 5 siècles de mise en images, de spectacles, de la différence, de l’invention de l’altérité. C’est une pure fabrication. C’est une sorte de  labyrinthe avec des miroirs  et à chaque fois ce sauvage change de statuts, au gré des découvertes, au gré du voyage,  au gré du temps et aussi  selon les pays.

 Togocultures : A un moment donné, en voyant les miroirs, on se découvre en pleine exposition comme si le sauvage, c’est nous-mêmes.

Jacomijn Nanette Snoep : Le sauvage, c’est vraiment nous-mêmes. On a mis ces miroirs pour se poser des questions  sur nous-mêmes: Est-ce qu’on est sur scène ? Est-ce qu’on est dans les coulisses ? Est-ce  qu’on est acteur, figurant ? Est-ce qu’on est spectateur ?  Ces miroirs nous renvoient à notre propre image. Cette exposition parle plutôt du regard de l’occident que des exhibés.

« C’est quoi ton sauvage ? Est-ce que tu te sens différent par rapport aux autres ou pas ? « .

Togocultures : Comment cette exposition peut-elle servir de lutte contre le racisme ?

Lilian Thuram au Musée  du Quai Branly Photo: Gaëtan Noussouglo
Lilian Thuram au Musée du Quai Branly Photo: Gaëtan Noussouglo

Jacomijn Nanette Snoep: C’est une idée de Lilian Thuram, sa fondation contre le racisme. Il a voulu montrer au public : Comment on a créé le racisme? Comment on a crée des stéréotypes? C’est quoi l’histoire des préjugés, des origines? Cette histoire commence vraiment dès la découverte du nouveau monde avec Christophe Colomb. Lorsqu’il revient de son premier voyage, il ramène 6 Amérindiens pour les montrer  à la cour espagnole. Au cours d’un autre voyage, il en ramène trente. Alors, c’est 5 siècles  qui permettent de comprendre les origines du racisme…l’historique et la profondeur historique  du racisme. L’exposition ouvre des débats et suscite des discussions étonnement de la part des es enfants et de grandes personnes sur la réalité du racisme. Ça, c’est une bonne chose.

 Togocultures : Qui est le sauvage aujourd’hui ?

Jacomijn Nanette Snoep: C’est la question qu’on se pose aujourd’hui. On a invité un artiste français qui s’appelle Vincent Elka qui a créé une installation. Aux populations stigmatisées, homosexuels, transsexuels,  Noirs, un banlieusard, un trisomique, il va leur demander « C’est quoi ton sauvage ? Est-ce que tu te sens différent par rapport aux autres ou pas ? ». Cette exposition permet de donner des clés aux visiteurs pour se positionner, pour se poser la question « Quel est mon sauvage aujourd’hui ?». C’est quoi cette figure de l’altérité que chacun a créée.

 Propos recueilli par Gaëtan Noussouglo © Togocultures

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